Dossiers spéciaux

Pandémie de COVID-19

Au front dans les résidences

Nathalie Vallerand  |  2021-03-29

Depuis le début de la crise sanitaire, plusieurs médecins de famille se sont portés volontaires pour gérer des éclosions dans les résidences privées pour aînés ou y assurer un filet de sécurité. Témoignages.

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Dre Karine Fortier

Un vendredi de novembre, la Dre Karine Fortier apprend qu’un de ses patients a

la COVID-19. Le mercredi suivant, la résidence privée pour aînés (RPA) où habite l’homme dénombre plus de trente cas. La clinicienne sent le stress monter. Comme elle suit plusieurs résidents de l’établissement, c’est elle qui prendra la tête de l’équipe médicale d’intervention qui ira y prodiguer des soins. Font aussi partie de cette brigade de type SWAT les Drs Isabelle Lemieux et Sylvain Labbé, ainsi que deux infirmières praticiennes spécialisées en première ligne.

« À mon arrivée, c’était le branle-bas de combat. Des infirmières du CLSC avaient aménagé leur poste de travail dans l’un des grands salons de la résidence. J’ai installé le quartier général de mon équipe dans le bureau que j’utilise pour voir mes patients et je me suis mise à l’ouvrage », raconte la Dre Fortier qui pratique habituellement au GMF Bois-Francs et à l’unité de gériatrie de l’Hôtel-Dieu d’Arthabaska, à Victoriaville.

Dre Geneviève Pinchaud

Une ruche. C’est ce que pense pour sa part la Dre Geneviève Painchaud lorsqu’elle débarque sur les lieux de sa première éclosion en RPA au printemps dernier. Le tiers des cent résidents est contaminé. « C’était le début de la pandémie, et on n’était pas encore habitué aux équipements de protection individuelle, se souvient l’omnipraticienne du GMF-U Maizerets, à Québec. Il fallait délimiter des zones chaudes et froides, réviser les niveaux de soins des malades, discuter avec les pharmaciens de quartier, établir des protocoles. Tout était à repenser. On a construit l’avion en vol. »

Après cette première expérience, la Dre Painchaud s’est d’ailleurs vu confier la coordination du volet médical des brigades en zone chaude du CIUSSS de la Capitale-Nationale. « Mon mandat était de structurer un processus pour que la machine se mette rapidement en route lors des prochaines éclosions. »

Système D

Traiter des patients dans une RPA ou dans une ressource intermédiaire (RI) est un peu plus compliqué qu’en CHSLD. Les omnipraticiens qui sont allés prêter main-forte dans les établissements touchés par de grosses éclosions ont dû faire preuve de débrouillardise.

« Ces établissements n’ont pas les dossiers médicaux des résidents et ne connaissent pas leur niveau de soins. Cela donne lieu à des situations où le médecin essaie de déduire les antécédents médicaux d’un patient à partir de sa liste de médicaments. Ou parle de soins de confort avec la famille alors qu’elle n’est pas rendue là dans son cheminement », explique le Dr Philippe Cimon, qui coordonne les gardes en zone chaude dans les milieux de vie pour aînés en Outaouais, en plus de pratiquer à l’hôpital et au CLSC.

La gestion des médicaments dans les résidences privées a été une question importante pendant la première vague. « Pour envoyer moins de gens à l’hôpital, il fallait donner des soins de fin de vie sur place, relate la Dre Painchaud. Mais cela nécessite d’avoir sous la main des médicaments en injection, comme de la morphine, du glycopyrrolate ou de la scopolamine. » Or, il n’y a pas de pharmacie dans ces établissements.

Au début de la prise en charge de sa première éclosion, l’omnipraticienne a discuté avec le responsable de la pharmacie du CIUSSS et avec des pharmaciens d’officines pour mettre au point une solution : une trousse de médicaments d’urgence. « Cette mesure a vraiment constitué une grande amélioration », souligne la Dre Painchaud. Une idée qu’ont aussi eue d’autres brigades de médecins de famille déployées dans les RPA et les RI de diverses régions. Le ministère de la Santé et des Services sociaux a d’ailleurs officialisé cet outil dans une directive au début de l’année.

Dr Philippe Cimon

Le fait que la plupart des résidents des RPA vivent dans un appartement représente un autre défi. « Il faut éviter la propagation du virus, mais certaines personnes ne veulent rien savoir d’être confinées dans leur logement ni même d’être dépistées, affirme le Dr Cimon. C’est particulièrement difficile d’isoler les gens qui ont des troubles cognitifs. » Il se souvient en particulier d’une résidente contaminée qui a pris le transport adapté pour aller voir son médecin spécialiste à l’hôpital.

C’est également pour les résidents atteints qui vivaient en appartement que la Dre Karine Fortier s’inquiétait le plus. « On ne les avait pas sous les yeux, contrairement à ceux qui étaient hébergés dans l’unité de soins de la RPA. Comme l’état des personnes infectées peut vite empirer, la coordonnatrice des soins à domicile du CLSC et moi avons repéré les patients vulnérables pour qu’ils soient vus ou appelés chaque jour par une infirmière. Nous avons également fait en sorte que les résidents autonomes qui avaient le plus de symptômes soient transférés dans l’unité de soins lorsqu’une place se libérait après un décès. » Parmi les 75 personnes âgées de cette RPA de Victoriaville qui ont eu la COVID-19, 21 sont mortes pendant l’éclosion, dont 18 sur place. Il y a aussi eu des décès plus tardifs à la suite de complications de la maladie.

Entraide et dévouement

Les renforts dans les milieux de vie pour aînés viennent également de médecins spécialistes, comme le Dr Fadi Habbab, radiologiste au Centre hospitalier de St. Mary. Inspiré par la Dre Nadine Larente, directrice des Services professionnels du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal qui est venue, avec son conjoint et ses ados, à la rescousse des résidents du tristement célèbre CHSLD Herron, il a décidé d’apporter lui aussi son aide. Depuis avril, il a passé des dizaines et des dizaines d’heures à évaluer et à traiter des résidents de CHSLD, de RPA et de RI touchés par une éclosion.

« Même si c’est très différent de ma pratique habituelle, ma formation médicale de base m’a préparé à répondre à ce type de besoins, dit le radiologiste. Et puis, il y a une équipe autour de moi. Si j’ai un doute sur quelque chose, je contacte le médecin de famille ou le gériatre responsable. »

Avant la pandémie, le Dr Habbab n’avait jamais eu à certifier de décès. Depuis, il a accompli cette tâche une cinquantaine de fois. Néanmoins, il préfère mettre l’accent sur les « vies qui sont sauvées grâce aux efforts de chacun ».

Collaboration, travail d’équipe, dévouement… Ces mots décrivent bien ce qui s’est passé dans les milieux de vie des aînés depuis un an. « Dans notre région, beaucoup d’efforts sont faits pour garder les gens dans leur RPA au lieu de les hospitaliser, souligne la Dre Marie-Christine Fréchette, qui coordonne les gardes en zone chaude pour le réseau local de services de santé et de services sociaux d'Arthabaska-et-de-l’Érable. Des médecins ont travaillé plus de quinze heures par jour à s’occuper des patients et contenir les éclosions. »

Dépêchée au front, sa collègue, la Dre Karine Fortier, tient à saluer le travail des infirmières du CLSC « qui en avaient plein les bras ». Et que dire des ambulanciers qui sont allés dans les RPA la nuit pour prendre les signes vitaux des patients lorsqu’il manquait d’infirmières ?

Autre exemple d’entraide, cette fois-ci entre les régions du CIUSSS de la Capitale-Nationale. « Lorsque nous avons eu plus de 40 éclosions à gérer en même temps dans des RPA, des RI et des CHSLD de Québec, les équipes de Portneuf ont envoyé des médecins tandis que celles de Charlevoix ont accueilli des patients », indique la Dre Andréane Lalumière-Saindon qui a succédé à la Dre Geneviève Painchaud comme responsable des brigades médicales en zone chaude.

Dre Lalumière

Une équipe SIAD prend les choses en main

Dre Gaillardetz

Une éclosion de COVID-19 dans une résidence privée pour aînés ou une ressource intermédiaire? « C’est dans notre cour ! lance la Dre Eveline Gaillardetz, cheffe de l’équipe des soins intensifs à domicile (SIAD) du CLSC de Verdun. Nos médecins, toutes des femmes, ont une grande expérience des patients âgés instables et des soins de fin de vie. De plus, avant la pandémie, elles allaient déjà voir des patients dans ces milieux de vie. C’est logique d’utiliser leurs compétences pour gérer les éclosions au lieu de faire appel à des équipes ad hoc. »

Il faut dire qu’avec douze cliniciennes, soit l’équivalent de trois médecins à temps plein, l’équipe SIAD de Verdun est l’une des plus grosses du Québec. De plus, elle a mis en place une garde médicale en disponibilité les soirs, les nuits et les fins de semaine. Elle travaille aussi de concert avec les infirmières d’urgence des « soins à domicile de courte durée », une sorte de 911 pour les patients qui ne veulent pas aller à l’hôpital. Et elle peut compter sur une « armée d’infirmières et de professionnels en soins à domicile », mentionne la Dre Gaillardetz. Heureusement, car depuis la dernière année, l’équipe a été à pied d’œuvre lors de six éclosions importantes dans des RPA et des RI. « À un endroit, 56 des 85 résidents ont été infectés, indique l’omnipraticienne. Comme environ 90 % des malades avaient des niveaux de soins C et D, nous avons surtout prodigué des soins de confort. »

Visiter quelques dizaines de patients demande du temps. Les médecins de l'équipe de soins intensifs à domicile de Verdun ont mis au point une méthode originale pour accélérer cette tournée quotidienne. En gros, il s’agit de déléguer la prise de notes cliniques. Ainsi, après avoir vu un patient, l’omnipraticienne sur le terrain téléphone à la collègue qui fait office de médecin « scribe » ce jour-là pour lui résumer les résultats de son anamnèse et de son examen et lui communiquer son plan de traitement. « J’en profite parfois pour lui demander d’appeler un proche du patient pour lui donner des nouvelles », raconte la Dre Gaillardetz.

Par ailleurs, lorsque plusieurs résidents vulnérables sont contaminés, des infirmières du CLSC sont déployées dans l’établissement jour et nuit. « Si on veut traiter ces personnes dans leur milieu de vie, c’est ce qu’il faut faire », affirme la médecin de famille en indiquant que les soins de confort ne font pas partie des services offerts dans les RPA.

Si la COVID-19 a mis le réseau de la santé sous pression, ce dernier était déjà surchargé par ce que la Dre Eveline Gaillardetz qualifie de « pandémie du vieillissement accéléré de la population ». Selon elle, les personnes âgées, hypothéquées par des maladies chroniques, ont besoin de soins, mais pas nécessairement du plateau technique de l’hôpital. « Avec la COVID-19, on a vu qu'il est possible de traiter ces patients dans leur milieu de vie. Pour diminuer le fardeau des hôpitaux, il faut continuer dans cette voie. »

Dre Vaudreuil

Lieux inusités et solidarité

Plusieurs médecins de famille se portent volontaires pour travailler dans les zones tampons qui accueillent des résidents de RPA, de RI et de CHSLD atteints de la COVID-19. Des zones tampons qui sont parfois aménagées dans des « sites non traditionnels ». En octobre, la Dre Élodie Vaudreuil s’est ainsi retrouvée à l’École nationale de police du Québec, à Nicolet. Une mission d’une semaine qui l’a doublement sortie de sa zone de confort.

« Je n’étais pas familière avec ce type de pratique. Pour me préparer, j’ai révisé les principes de base des soins gériatriques et des soins palliatifs », indique l’omnipraticienne qui exerce au GMF de Princeville et à la clinique de santé sexuelle du CLSC de Victoriaville.

Comme les autres médecins venus prêter main-forte à Nicolet, la Dre Vaudreuil était de garde jour et nuit. Elle a donc séjourné à l’hôtel… mini-confinement en prime ! « La municipalité voulait réduire les risques de contagion. Alors, je ne pouvais pas sortir après mes heures de travail, même pas pour aller marcher », explique-t-elle.

Dre Breault

De son côté, la Dre Pascale Breault a remplacé au pied levé une omnipraticienne dans le « site non traditionnel » qu’était devenu l’Hôtel-Dieu de Montréal. Sa collègue avait attrapé le coronavirus. C’était le 30 décembre. La Dre Breault a écourté son congé de maternité de quelques semaines. « Trouver un médecin libre dans un si court délai alors que les omnipraticiens étaient sollicités de partout était un défi. La médecin qui m’a contactée peinait à le croire quand je lui ai dit oui. Elle-même était débordée. Les ressources manquaient partout. Les besoins étaient alors énormes et imprévisibles. On ne savait pas jusqu’où irait la vague. Je voulais faire ma part », dit cette médecin du GMF-U du Nord-de-Lanaudière et de l’hôpital de Joliette.

Apprendre sur le tas

La médecine dans les zones tampons est à mi-chemin entre la pratique hospitalière et celle en CHSLD, explique la Dre Breault, qui avait vingt-six patients sous sa responsabilité à l’Hôtel-Dieu. « Certains arrivent sans symptômes, mais leur état peut se détériorer rapidement. Avec la COVID-19, il ne faut jamais rien tenir pour acquis. »

La Dre Vaudreuil a pu constater, elle aussi, combien ce virus est sournois. « J’ai eu un patient qui allait relativement bien. Deux heures plus tard, il a commencé à être essoufflé. Il est décédé en l'espace de quarante-huit heures. J’ai alors vu pour la première fois la rapidité avec laquelle la COVID-19 peut tuer. »

Le fait que les équipes de soins sont souvent composées d’employés venant d'autres milieux constitue un défi supplémentaire. Pendant son expérience d’un mois en zone tampon, la Dre Breault a ainsi travaillé avec des infirmières de bloc opératoire, de recherche, de conseil clinique, de vaccination de même que des retraitées. « Elles n’avaient pas d’expérience avec des patients âgés lourdement hypothéqués, mais elles étaient pleines de bonne volonté, affirme-t-elle. On leur montrait quels signes cliniques annoncent une complication chez ces patients ou encore comment évaluer une détresse respiratoire. Cette situation exigeait une double vigilance des médecins, surtout que c’était un nouveau milieu de soins pour nous aussi ! En fait, c’était un travail d’équipe où tout le monde apprenait ensemble à soigner le mieux possible ces patients. »

La Dre Vaudreuil souligne elle aussi « cette belle collaboration entre des gens de différentes professions qui sont sortis de leur routine pour pousser à la roue ». Elle garde notamment un souvenir ému de cet éducateur physique auprès des personnes ayant un trouble de santé mentale qui a été catapulté comme intervenant psychosocial dans le « site non traditionnel » qu’était devenue l’École de police. « Il accompagnait les malades en fin de vie et leurs proches avec tellement d’empathie et de respect. C’était beau à voir. »

D’après la Dre Lalumière-Saindon, du GMF-U Quatre-Bourgeois à Québec, il y aura du positif qui va ressortir de cette crise sanitaire en matière d’efficacité, de collaboration et d’organisation des soins. « La COVID-19 a notamment ouvert la porte à une interdisciplinarité jamais vue auparavant, et je pense que cela va rester », conclut-elle. //