quelles sont les répercussions de la pandémie sur les nouveaux arrivants ?
Si la crise sanitaire affecte l’ensemble de la population à différents degrés, elle fragilise davantage les groupes plus vulnérables. C’est le cas notamment des demandeurs d’asile, des réfugiés, des personnes sans statut et des nouveaux arrivants en général.
Être démuni financièrement, travailler dans un secteur à haut risque d’exposition à la COVID-19, être allophone, avoir un faible degré de littératie, être au pays depuis peu et avoir un statut migratoire précaire font partie des facteurs qui amplifient les effets négatifs de la pandémie sur les personnes issues de la diversité culturelle, selon une étude de l’Institut universitaire Sherpa.
Lors d’une enquête exploratoire destinée à comprendre les difficultés éprouvées par ces minorités, les chercheuses Janet Cleveland, Jill Hanley, Annie Jaimes et Tamar Wolofsky ont interrogé une cinquantaine d’acteurs clés des quartiers pluriethniques de Montréal pendant la première vague : intervenants d’organismes communautaires, leaders de groupes religieux et membres de groupes d’entraide.
Les communautés culturelles ne forment pas un bloc homogène, rappellent les chercheuses dans leur rapport. L’identité ethnoculturelle a d’ailleurs très peu à voir avec la vulnérabilité face à la COVID-19. « C’est plutôt lorsque plusieurs facteurs socio-économiques de vulnérabilité interagissent que les personnes sont plus susceptibles de subir des conséquences négatives », explique Janet Cleveland.
Les immigrants à statut précaire, par exemple, sont particulièrement touchés. Plusieurs d’entre eux travaillent pour des agences de placement. Or, le fait de changer fréquemment d’établissement ou d’être transporté à son lieu de travail dans un minibus bondé augmente le risque de contamination. De plus, ces personnes sont souvent réticentes à porter plainte si l’employeur applique mal les consignes sanitaires, indiquent les chercheuses, car ils craignent d’être dénoncés aux autorités de l’immigration ou de réduire leurs chances d’être acceptés comme réfugiés.
D’autres préoccupations soulevées par Janet Cleveland et son équipe concernent les enfants. Ainsi, la fermeture des écoles et les cours en ligne auraient un effet négatif considérable chez certains au point, peut-être, de compromettre leur cheminement scolaire. Pourquoi ? « Un parent qui ne parle pas français ou qui a un faible degré de littératie peut difficilement aider son enfant à faire ses travaux scolaires, répond Mme Cleveland. En outre, les demandeurs d’asile et les réfugiés n’ont souvent pas les moyens de se procurer un ordinateur et une connexion Internet. Pour eux, l’école en ligne, c’est compliqué. »
Les chercheuses s’inquiètent également pour les enfants d’âge préscolaire qui ont été privés de la stimulation nécessaire à leur développement pendant le confinement. C’est que des mères monoparentales, demandeuses d’asile ou immigrantes de première génération étaient isolées avec leurs enfants dans des logements exigus, sans Internet et avec peu de jouets. Plusieurs étaient stressées, dépassées et déprimées, ce qui a pu se répercuter sur les petits.
Vivre dans un pays sans en parler la langue constitue toujours un défi. Pendant une pandémie, encore plus, ont pu constater les chercheuses. Elles signalent que des personnes allophones présentant des symptômes ont eu de la difficulté à obtenir des renseignements sur le dépistage. Elles font aussi état d’une certaine confusion à propos des directives sanitaires. Par exemple, au début de la crise, des membres de certaines communautés ont cru qu’il fallait rester enfermé à la maison, sans sortir prendre l’air. Une situation qui a été éprouvante pour les familles nombreuses entassées dans de petits logements.
La pandémie accentue également les problèmes de communication entre le personnel soignant et les patients allophones qui ne peuvent plus toujours se faire accompagner par un proche pour traduire. Les conséquences sont parfois tragiques. L’étude de Janet Cleveland rapporte le cas d’une demandeuse d’asile mexicaine de 24 ans qui s’est rendue à l’hôpital pour des maux de tête intenses, une douleur à l’œil et des vomissements. Elle a été renvoyée chez elle avec de l’acétaminophène, sans avoir passé de test. Elle est décédée subitement quelques semaines plus tard, devant son fils de 4 ans.
Si le conjoint de cette patiente avait pu l’accompagner et bien faire comprendre ses symptômes au personnel médical, serait-elle encore en vie ? Cette question restera sans réponse. On sait toutefois que la recherche montre que les problèmes de communication nuisent à la qualité des soins. Diagnostics manqués, examens inutiles et gestion inadéquate des maladies chroniques figurent parmi les conséquences connues.
Mme Bilkis Vissandjée
Dans la situation actuelle où les médecins doivent discuter de niveaux de soins dans des conditions de moins en moins optimales, le consentement prend une place encore plus marquante, selon Mme Bilkis Vissandjée, professeure à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal et chercheuse au Centre de recherche Sherpa du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal. « Il faut parfois expliquer à une personne les choix qu’elle aura, lui parler d’intubation, des conséquences de certaines interventions, etc. Ce n’est pas évident d’obtenir et de valider un consentement éclairé lorsqu’il y a une barrière linguistique. »
Pour Mme Cleveland, les difficultés de communication avec les patients allophones constituent un problème généralisé qui est exacerbé par la pandémie. Le recours à des interprètes professionnels peut toutefois faciliter les échanges. Le réseau de la santé fait déjà affaire avec plusieurs. Par exemple, la couronne montréalaise est desservie par la Banque interrégionale d’interprètes du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. Les régions de Québec et du Bas-Saint-Laurent, par la Banque d’interprètes de la Capitale-Nationale. À Sherbrooke et dans les régions de la Mauricie et du Centre-du-Québec, on peut recourir au Service d’aide aux Néo-Canadiens. Il y a des frais, mais ils peuvent être assumés par les établissements de santé.
« Avec la pandémie, nous nous rendons compte qu’il est urgent de faciliter l’accès à ces services dans notre système de santé, car c’est compliqué en ce moment », estime Mme Vissandjée, qui est également présidente du Comité provincial pour la prestation des services de santé et des services sociaux aux personnes issues des communautés ethnoculturelles. Elle a toutefois bon espoir que la situation s’améliore, car le ministère de la Santé et des Services sociaux a publié en 2018 des orientations sur les services d’interprétariat où il annonce sa volonté de créer une banque d’interprètes du Québec pour le réseau de la santé. Les services seraient harmonisés d’un établissement à l’autre et offerts à toute heure du jour et de la nuit dans toutes les régions. //