la première cause de décès : le cancer
La médecine a fait de grands pas dans le traitement des personnes diabétiques. La principale cause de décès de ces patients n’est maintenant plus les maladies cardiovasculaires.
La première cause de décès des patients diabétiques ? Le cancer. Il a détrôné les maladies cardiovasculaires. Depuis vingt ans, la médecine a fait de grands progrès dans le traitement du diabète. La longévité des patients s’est accrue. Et les causes de leur mort se sont diversifiées : maladies respiratoires, démence, hypoglycémie, etc.
C’est ce nouveau portrait de la mortalité liée au diabète qui ressort d’une étude récente, publiée dans le Lancet Diabetes & Endocrinology1. En Angleterre, le Dr Jonathan Pearson-Stuttard, du Imperial College London, et son équipe ont eu accès aux données de 2001 à 2018 d’un nombre important de dossiers médicaux de première ligne. Ils ont ainsi pu créer une cohorte de presque 314 000 patients diabétiques et une autre de patients non diabétiques de la même taille. Les chercheurs ont ensuite croisé les données avec celles du Bureau du Royaume-Uni de la statistique nationale sur la mortalité.
Premier constat : en Angleterre, le taux de mortalité a chuté en 17 ans. Chez les hommes, par exemple, il a baissé de 32 % parmi les diabétiques et de 41 % parmi les non-diabétiques. Le taux de décès liés aux principales maladies a par ailleurs diminué. Une des seules exceptions : la démence, dont l’incidence a grimpé.
Chez les diabétiques, le tableau de la mortalité s’est grandement modifié. Devancées par le cancer, les maladies vasculaires arrivent maintenant au deuxième rang des causes de décès, suivies de la démence chez les femmes et des troubles respiratoires chez les hommes (tableau I).
La situation est-elle semblable au Canada ? « Je le pense. Les données du Royaume-Uni ressemblent à celles des États-Unis. Et notre système de santé se trouve entre les deux à bien des égards, affirme le Dr André Carpentier, directeur scientifique du Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS). C’est par ailleurs réconfortant de voir que la prise en charge plus vigoureuse du diabète et des facteurs de risque cardiovasculaires fonctionne. »
Le cancer a pris une nouvelle place dans la mortalité liée au diabète. Comme pour presque toutes les maladies, son taux de décès a diminué entre 2001 et 2018. Mais la baisse est beaucoup moins importante chez les diabétiques. Parmi les hommes, la diminution est ainsi trois fois moindre chez les diabétiques que chez les non-diabétiques (tableau II). Et chez les femmes, l’écart est encore plus marqué.
D’où vient cette différence entre diabétiques et non-diabétiques ? Elle pourrait s’expliquer par l’obésité, pense le Dr Carpentier, également endocrinologue au CIUSSS de l’Estrie-CHUS. L’indice de masse corporelle des diabétiques est généralement plus élevé que celui des non-diabétiques. Un facteur qui augmente la probabilité de certains cancers. « Les personnes obèses, en outre, seraient souvent moins examinées et auraient un dépistage moins rigoureux et moins précoce », indique le spécialiste.
Le risque de cancer chez les diabétiques n’a par ailleurs pas été jusqu’à présent une priorité en endocrinologie. Le fait que les patients aient passé des examens comme la mammographie, la coloscopie ou la recherche de sang dans les selles n’est ainsi pas toujours vérifié. Le Dr Carpentier, pour sa part, compte s’intéresser davantage à cet aspect.
« Tant en première qu’en deuxième ligne, on devrait se préoccuper de la question du cancer chez les patients diabétiques. Je crois qu’il faut commencer à changer nos guides de pratique. Des données comme celles de l’étude britannique constituent un signal d’alarme », estime le médecin chercheur de l’Université de Sherbrooke.
La démence fait de plus en plus de ravages. C’est une des seules causes de décès qui a progressé de 2001 à 2018 en Angleterre. Chez les diabétiques, l’augmentation a par ailleurs été de deux à trois fois plus élevée que chez les non-diabétiques. Les femmes diabétiques, par exemple, ont connu une hausse de 5,4 pour 1000 années-personnes contre 2,7 pour celles qui n’étaient pas diabétiques.
« On sait que le diabète constitue un facteur de risque important pour toutes les démences, que ce soit l’Alzheimer ou les démences vasculaires », précise le Dr Carpentier. Mais le surpoids pourrait aussi jouer un rôle. « Selon certaines études, l’obésité pourrait avoir un effet sur les maladies neurodégénératives, indépendamment du diabète. Actuellement, certaines études sur le déclin cognitif testent des agents diabétiques réduisant le poids. »
Comment atténuer le risque de démence des patients diabétiques ? « Il faut bien traiter les facteurs de risque cardiovasculaires, mais peut-être aussi penser aux mesures qui peuvent freiner le déclin cognitif comme l’activité physique régulière, la stimulation intellectuelle et les contacts sociaux », indique le chercheur.
La troisième cause de mortalité chez les hommes diabétiques : les affections respiratoires. Quelles sont-elles précisément ? Le Dr Carpentier voit chez ses patients des bronchopneumopathies chroniques obstructives, de l’apnée du sommeil et de l’hypertension pulmonaire. « Ces troubles sont plus fréquents chez les gens obèses. Je pense que le traitement du surpoids pourrait aider les personnes touchées. »
Chaque année, un certain nombre de patients meurent du diabète : d’hypoglycémie ou d’hyperglycémie. De 2001 à 2018, en Angleterre, ce type de décès a diminué. Chez les femmes, par exemple, il a baissé de 3,4 pour 1000 années-personnes. « C’est encourageant et cela prouve que la prise en charge médicale du diabète s’est améliorée », note le Dr Carpentier.
Les affections du foie peuvent aussi emporter les patients diabétiques. En 17 ans, elles ont progressé de 0,1 pour 1000 années-personnes dans cette population.
D’où viendrait ce petit accroissement ? Selon le Dr Pearson-Stuttard et ses collaborateurs, « il peut s’expliquer par une hausse des facteurs de risque communs, comme l’obésité et une consommation d’alcool forte et prolongée. » La présence d’un foie gras pourrait en être la base. « Les patients atteints de diabète de type 2 en ont pratiquement tous un. C’est un problème intimement lié à la prise de poids », précise le Dr Carpentier.
La baisse des maladies vasculaires est impressionnante de 2001 à 2018, en Angleterre. Particulièrement chez les diabétiques. Les femmes atteintes ont ainsi connu une diminution 12,2 pour 1000 années-personnes et les hommes de 11 pour 1000 années-personnes.
« Ces chiffres montrent que les médecins ont bien travaillé. La prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaires a progressé à peu près partout dans le monde. Il y a eu une amélioration générale dans la lutte contre le tabagisme, le cholestérol, les gras trans et l’hypertension », affirme le Dr Carpentier.
Peut-on faire mieux ? « Il y a encore des gens dont les facteurs de risque ne sont pas parfaitement pris en charge, indique le spécialiste. On peut encore accroître l’adhésion au traitement et traiter plus de patients qui devraient l’être. »
Il reste aussi ces patients aux besoins plus pointus. « On oublie certains facteurs, comme la dyslipidémie postprandiale, qui joue probablement un rôle important dans les maladies cardiovasculaires. Certaines données semblent montrer l’utilité de la traiter. Malheureusement, les médicaments nécessaires ne sont pas remboursés. On peut donc encore améliorer le traitement de certains patients », souligne l’endocrinologue.
Les hommes et les femmes ne sont pas égaux devant le diabète. Les données britanniques le montrent : la mortalité en 2018 était plus élevée chez les femmes que chez les hommes diabétiques (29,5 contre 27,8 pour 1000 années-personnes).
« Les études indiquent que chez les diabétiques de 40 à 60 ans, environ une femme sur cinq meurt du diabète – à cause d’une hypoglycémie, de maladies cardiovasculaires ou d’autres complications –, contre un homme sur six. Il y a donc une surmortalité chez les femmes d’âge moyen attribuable au diabète », explique le Dr Carpentier.
Les maladies cardiovasculaires joueraient un rôle important. « Le diabète est un facteur qui frappe plus durement les femmes sur ce plan. À l’hôpital, quand on voit des femmes jeunes qui ont des problèmes cardiovasculaires, ce sont presque tout le temps des diabétiques, des prédiabétiques ou des diabétiques qui s’ignorent », précise le spécialiste.
Mais pourquoi, de manière globale, ces morts plus nombreuses chez les femmes ? « Il y a des différences entre les hommes et les femmes en ce qui concerne les facteurs de risque et leurs répercussions. Cependant, on ne comprend pas encore très bien pourquoi. Est-ce les doses de médicaments qui sont mal adaptées à un sexe ? Est-ce un problème d’adhésion au traitement ou de tolérance à certains médicaments ? Est-ce lié à la biologie ? Par exemple, la dyslipidémie postprandiale a-t-elle un effet plus marqué chez la femme que chez l’homme ? Ce sont des questions encore en suspens. »
À la lumière du nouveau tableau que brossent les données britanniques, doit-on changer la prise en charge du diabète ? Le Dr Pearson-Stuttard et ses collaborateurs le croient. « On doit élargir les efforts sur le plan clinique et préventif pour tenir compte de la diversité des risques de mortalité chez les personnes diabétiques », indiquent-ils. Le Dr Carpentier partage leur avis. « Je pense qu’il faut vraiment réexaminer la pratique en ce qui concerne le dépistage du cancer et la prévention de la démence », précise-t-il.
Une nouvelle cible pourrait par ailleurs apparaître : l’obésité. « Les médecins ont très bien pris en charge l’hypertension, le cholestérol et la glycémie chez les patients diabétiques. Mais l’obésité n’est pas maîtrisée et peut progresser allègrement. L’augmentation de la démence et la faible réduction du taux de mortalité par cancer semblent indiquer qu’un facteur comme celui-là pourrait être déterminant dans l’avenir », affirme l’endocrinologue.
Les études en chirurgie bariatrique donnent de l’espoir. « Si on regarde le suivi à long terme des cohortes de patients opérés, on note non seulement un déclin des maladies cardiovasculaires, mais aussi du cancer et d’autres maladies chroniques. Je pense qu’une meilleure prise en charge de l’obésité chez les gens diabétiques pourrait avoir des avantages sur différents plans. J’ai l’impression que l’avenir est dans le traitement rigoureux du surpoids par tous les moyens que l’on a à notre disposition », indique le Dr Carpentier. //
1. Pearson-Stuttard J, Bennett J, Cheng Y et coll. Trends in predominant causes of death in individuals with and without diabetes in England from 2001 to 2018: an epidemiological analysis of linked primary care records. Lancet Diabetes Endocrinol 2021 ; 9 (3) : 165-73. DOI : 10.1016/S2213-8587(20)30431-9.