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Problèmes de comportements alimentaires chez les adolescents signes précurseurs et risques

signes précurseurs et risques

Élyanthe Nord  |  2021-04-30

Que dire à un jeune qui a des crises d’hyperphagie, recourt aux laxatifs ou suit un régime ? Ces symptômes sous-cliniques de troubles du comportement alimentaire peuvent être le reflet d’une souffrance. Et ils sont liés à des risques ultérieurs, révèle une nouvelle étude.

Certains jeunes présentent des symptômes sous-cliniques de troubles du comportement alimentaire. Ils peuvent avoir des crises d’hyperphagie, s’imposer des restrictions alimentaires, recourir aux laxatifs ou se faire vomir. Des gestes qui pourraient être plus nombreux en ces temps de pandémie.

Dr Pierre-Olivier Nadeau

« Ce sont des moyens de gérer une situation difficile. Les jeunes sont confinés, un peu coupés de leurs amis, doivent suivre leurs cours à distance. Ils vivent une situation d’isolement et de stress », explique le Dr Pierre-Olivier Nadeau, psychiatre au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, qui voit, depuis le début de la crise de la COVID-19, deux fois plus de cas de troubles alimentaires au Centre intégré des troubles de la conduite alimentaire, dont il est le coresponsable.

Mais même si les jeunes qui présentent seulement des symptômes sous-cliniques ne sont pas orientés vers ce centre, leurs problèmes sont associés à des risques. C’est ce qu’une étude européenne vient de montrer.

Des symptômes moins définis

Dans quelle mesure le fait de suivre un régime ou de recourir à des purges à 14 ans peut-il avoir des conséquences à 16 ou à 19 ans ? La Dre Lauren Robinson, du King’s College London, et ses collaborateurs apportent plusieurs réponses dans une étude aux multiples dimensions publiée dans le JAMA Network Open 1.

L’équipe a évalué 1623 jeunes de 14 ans venant de huit écoles secondaires européennes, puis effectué un suivi à 16 et à 19 ans. Les chercheurs ont interrogé les participants sur leur recours aux régimes, aux vomissements ou aux laxatifs et sur la présence de crises d’hyperphagie. Ils ont également recueilli des données, notamment sur l’indice de masse corporelle (IMC), les symptômes de santé mentale, la consommation de drogues ou d’alcool et des variables concernant la personnalité.

L’étude européenne confirme que les problèmes de comportement alimentaire sont fréquents chez les jeunes. Ainsi, à un moment ou à un autre de l’étude, 17 % des sujets ont eu des crises d’hyperphagie, 21 % ont recouru à la purge et 22 % se sont imposés des restrictions alimentaires.

« L’adolescence est souvent la période où apparaissent les troubles de santé mentale. Ces problèmes ne sont alors pas nécessairement très caractérisés. Chez l’adulte, on aura davantage des syndromes francs, comme l’anorexie ou la boulimie. Mais à l’adolescence, comme on en est au début, les symptômes sont souvent frustes. Ce sont comme des précurseurs, mais qui ne mènent pas forcément au trouble en tant que tel », précise le Dr Nadeau.

Problèmes de comportement alimentaire à 14 ans et risques

Quels sont les risques associés à un comportement alimentaire anormal à l’adolescence ? Les jeunes de 14 ans qui recouraient aux laxatifs ou se faisaient vomir avaient plus de risques d’éprouver des symptômes d’anxiété ou de dépression à 16 ou à 19 ans (tableau), ont noté la Dre Robinson et son équipe.

Tableau

Les participants de 14 ans qui, eux, suivaient des régimes étaient plus nombreux, au cours des années suivantes, non seulement à avoir des symptômes de dépression ou d’anxiété généralisée, mais aussi à se mutiler, à fumer et, dans une certaine mesure, à connaître des problèmes émotifs (tableau).

Les régimes semblaient, par ailleurs, constituer des pivots dans les problèmes de comportement alimentaire. Les sujets qui en avaient suivi à 14 ans présentaient plus de risque d’avoir à 16 ou à 19 ans des frénésies alimentaires, de se faire vomir ou d’utiliser des laxatifs (tableau).

Signes précurseurs

La Dre Robinson et ses collaborateurs se sont aussi intéressés aux jeunes qui avaient eu, à 16 ou à 19 ans, des comportements alimentaires anormaux. Y avait-il eu des signes précurseurs à 14 ans ?

Purge

Les jeunes qui recouraient aux laxatifs ou aux vomissements à 16 et à 19 ans avaient été plus nombreux à 14 ans à avoir pris de la drogue (rapport de cotes [RC] : 2,91) ou de l’alcool (RC : 1,31), à s’être mutilés (RC : 2,59) et à avoir eu des problèmes de comportement (RC : 1,42). Les chercheurs ont par ailleurs découvert que le trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) semblait aussi associé à la purge.

« Cette étude, si ses résultats sont confirmés, peut donner des clés selon le profil du jeune, indique le Dr Nadeau. On peut penser que le fait de bien traiter le TDAH et les problèmes de comportement ou d’impulsivité pourrait peut-être prévenir l’emploi des laxatifs ou le recours aux vomissements chez certains adolescents. »

Par ailleurs, que peut faire un médecin quand il a devant lui un jeune qui emploie des moyens purgatifs ? La première étape est de vérifier l’absence de complications médicales, conseille le pédopsychiatre. « Après, il faut voir si un trouble alimentaire est présent. Il peut arriver que des adolescents sautent des repas ou se fassent vomir. Mais même si ce sont des comportements inadéquats, cela ne signifie pas qu’ils souffrent d’un trouble alimentaire. Un tel trouble consiste, par définition, en l’envahissement de la pensée. La personne devient obsédée par des pensées comme «il faut que je réduise mon alimentation», «il faut que je me fasse vomir après chaque repas». Et là, il est très important de prendre le problème en charge. »

Frénésies alimentaires

Les chercheurs européens montrent également que les jeunes qui déclaraient à 16 et à 19 ans avoir eu des crises d’hyperphagie avaient plus de risque de s’être mutilés à 14 ans (RC : 2,18), mais aussi d’avoir eu des problèmes de comportement (RC : 1,41) et un haut degré de neurotisme (RC : 1,04). « Ces données semblent indiquer que la difficulté à réguler ses émotions est une importante caractéristique des personnes susceptibles d’être prises de frénésies alimentaires dans l’avenir », estiment-ils.

Les crises d’hyperphagie sont donc entourées d’un contexte délicat. Comment aborder cette question sensible avec le jeune ? « Souvent, il se sent coupable ou ne se sent pas bien à l’égard de ses frénésies alimentaires, explique le Dr Nadeau. La première étape est d’explorer ce qui se passe avec lui, sans porter de jugement, puis de l’informer que ses crises peuvent être la manifestation d’un malaise. Dans la culture populaire, on va dire «manger ses émotions». Les gens comprennent bien cette expression. On peut ensuite dire au jeune que ce serait important de regarder ce qu’il y a derrière. »

Régimes

Y avait-il des signes précurseurs chez les sujets de l’étude qui avaient fait des régimes à 16 ou à 19 ans ? Une plus grande proportion de ces participants présentait un IMC élevé à 14 ans, comparativement aux jeunes qui ne s’étaient jamais imposé de restrictions alimentaires (RC : 3,44).

Une discussion avec le jeune sur ses régimes peut aussi être difficile. « Il faut se centrer sur la santé : l’importance du sommeil, d’une alimentation saine, d’une bonne estime de soi, des relations avec les autres, etc. On peut informer le patient du fait que souvent les régimes ne fonctionnent pas. Ils provoquent fréquemment un effet de rebond et sont paradoxalement associés à l’obésité. Toutefois, il existe des moyens sains d’avoir un poids santé : manger de façon régulière, consommer moins de sucres raffinés, mais aussi s’en permettre à l’occasion. Faire régulièrement de l’exercice, mais pas de manière excessive. Il faut atteindre un équilibre. »

Le signe d’une souffrance

Les régimes, les frénésies alimentaires, le recours aux laxatifs ou aux vomissements sont ainsi parfois des signaux d’alerte. « Ils peuvent être le reflet d’une souffrance et mener à des troubles plus graves », souligne le Dr Nadeau.

Le rôle du médecin, devant ces symptômes sous-cliniques, peut alors être de conseiller le patient. « On peut sensibiliser le jeune au fait que ses gestes peuvent amener plus tard des problèmes. On peut aussi l’orienter vers les professionnels susceptibles de l’aider. On peut dire à un adolescent de 14 ans qui a déjà un profil anxieux ou dépressif et qui présente une certaine perte de contrôle alimentaire : «Je pense que ce serait important que tu voies un psychologue. Serais-tu disposé à en rencontrer un ? Parce que tes gestes peuvent constituer un signe de difficultés» », indique le psychiatre. //

Bibliographie

1. Robinson L , Zuo Zhang Z , Jia T et coll. Association of genetic and phenotypic assessments with onset of disordered eating behaviors and comorbid mental health problems among adolescents. JAMA Netw Open 2020 ; 3 (12) : e2026874. DOI : 10.1001/jamanetworkopen.2020.26874.