« Les taux d’intérêt pourraient rester bas pendant toute une génération. »
- Stephen Poloz, ancien gouverneur de la Banque du Canada (octobre 2020)
Difficile de maintenir un portefeuille équilibré lorsque les obligations du gouvernement canadien offrent des taux d’intérêt si bas. Par exemple, en début d’année, les obligations canadiennes à 10 ans ne procuraient qu’un maigre rendement de 0,7 %. L’investisseur avisé aura compris que ce taux ne couvre même pas l’inflation observée pour la même période (1 %), ni même celle anticipée sur la durée de vie de l’obligation (2 %). Il n’est donc pas si surprenant de constater une forte demande pour les actifs boursiers, plus risqués certes, mais permettant d’espérer un rendement meilleur.
Depuis la débâcle des premières heures de la pandémie, le TSX affiche une progression de 40 %. L’appétit pour les valeurs boursières est sans contredit nourri par la faiblesse des taux d’intérêt.
En réponse à la pandémie, les banques centrales partout dans le monde ont déployé leur arsenal. Dans un premier temps, les taux d’intérêt directeurs ont rejoint, pour la plupart, leur valeur plancher. Ainsi, le taux directeur canadien s’affiche à 0,25 % depuis le 27 mars 2020. Devant la faiblesse de l’inflation, la Banque du Canada s’engage par ailleurs à maintenir ce taux jusqu’à ce que les capacités excédentaires dans l’économie se résorbent, de sorte que la cible d’inflation de 2 % soit atteinte de manière durable. Une conjonction d’étoiles qui ne devrait se produire qu’au cours de 2023 selon les observateurs les plus sérieux.
Pour renforcer cet engagement, plusieurs banques centrales ont également convenu de garder les taux d’intérêt bas sur toute la courbe de rendement à terme en utilisant les méthodes dites non conventionnelles. Bien que plusieurs juridictions, dont les États-Unis et l’Europe, y aient eu recours lors de la crise financière de 2008-2009, c’est la première fois qu’un tel programme d’assouplissement quantitatif est utilisé au Canada. Ce vaste programme d’achat de dette publique contribue à réduire les taux d’intérêt à plus longue échéance et par le fait même les coûts d’emprunt pour les entreprises et les ménages. Signe des temps, la taille du bilan de la Banque du Canada a presque quintuplé depuis le début de la pandémie.
Tout indique que le programme se poursuivra. La Banque du Canada a déjà annoncé son désir de maintenir un niveau de détente monétaire important, nécessaire à son avis, pour soutenir la reprise et atteindre la cible d’inflation. Chose certaine, nos banquiers centraux opèrent en terra incognita. Difficile alors pour eux et les boursicoteurs de prévoir le moment, ni même l’ampleur de l’effet du retrait des politiques monétaires accommodantes sur les taux d’intérêt, l’activité économique et les rendements boursiers.
Aucun doute, beaucoup d’efforts ont été déployés de la part des banques centrales pour maintenir les taux à long terme le plus bas possible. Néanmoins, la pente de la courbe des rendements à terme a amorcé sa remontée dès la mi-février, un signe que les participants de marché anticipent une hausse des taux d’intérêt. Deux scénarios, avec des conséquences très différentes sur les rendements boursiers espérés, se dessinent pour expliquer ce rebond subit. Voyons-les tour à tour.
La poussée récente des taux d’intérêt à long terme et l’accentuation de la pente de la courbe des rendements à terme pourraient s’expliquer par la hausse graduelle attendue du taux d’intérêt réel. Cette dernière deviendra éventuellement nécessaire pour contenir le rebond plus important que prévu de l’activité économique, la bonne performance du marché de l’emploi, particulièrement au Québec, et le regain de vie des consommateurs qui voudront exprimer la demande refoulée pendant la pandémie. Dans ce scénario, les participants de marché ont pleinement confiance en la Banque de Canada et en sa capacité à assurer le retour vers le plein emploi tout en évitant la surchauffe. La hausse des taux d’intérêt à long terme ne serait alors que le reflet d’une économie plus robuste que prévu. Mené avec succès, ce resserrement de la politique monétaire ne freine généralement pas l’élan des marchés boursiers, puisque la croissance se poursuit, tout en permettant un rééquilibrage souhaitable de l’actif entre marchés boursier et obligataire.
Pour certains observateurs, le risque d’inflation est présentement sous-estimé. Ces derniers douteraient des capacités de la banque centrale à maîtriser l’inflation. Ce serait donc la hausse des attentes d’inflation qui explique l’augmentation récente des taux d’intérêt à long terme. Pour eux, la reprise économique plus rapide qu’anticipée signifie la surchauffe à venir de l’économie et la résurgence de l’inflation lorsque l’immunité collective sera acquise. Pour soutenir cette thèse, ils pointeront naturellement en direction de la hausse importante des liquidités disponibles, des généreux programmes de relance gouvernementaux canadien et américain, de la hausse phénoménale du revenu disponible des ménages, du jamais vu en temps de crise, de la hausse déjà évidente des coûts de construction, sans oublier les pressions sur les coûts provenant d’un réaménagement des chaînes d’approvisionnement mondiales. Autant de signes que la demande pourrait outrepasser les capacités de production dans les mois à venir et soutenir la recrudescence des attentes d’inflation. Un scénario inquiétant puisque des attentes d’inflation plus élevées ont le pouvoir de devenir autoréalisatrices. Les travailleurs anticipant un coût de la vie plus élevé exigeront des hausses salariales et des entreprises prévoyantes augmenteront leurs prix.
Dans ce second scénario, les banques centrales resserreront également leur politique, mais de façon plus agressive, dans le double objectif de ralentir une croissance économique jugée trop forte et d’endiguer l’inflation. À court terme, ce positionnement politique met à mal la croissance du profit et force généralement un réalignement marqué des portefeuilles favorisant le marché obligataire au détriment du marché boursier.
Depuis la fin de janvier, les taux d’intérêt ont augmenté sensiblement sur le marché obligataire, surtout pour les titres à long terme, plus risqués. Ainsi, le rendement des obligations américaines à 10 ans a atteint 1,7 %, tandis que leur équivalent canadien s’est établi à 1,6 % à la fin du mois de mars. Dans les deux cas, il s’agit d’un gain appréciable avoisinant les 100 points de base.
Ce mouvement rapide laisse transparaître une grande volatilité sur le marché boursier à la fin février début mars. Un signe que les boursicoteurs sont en quête de réponse quant à la prépondérance entre nos deux scénarios. Pour l’instant la majorité des intervenants, les banquiers centraux en premier lieu, croient davantage aux vertus du premier scénario. Il serait alors permis de penser que la grande majorité de la hausse des taux à long terme s’appuie présentement sur le reflet d’une économie en saine reprise.
Cela dit, l’incertitude quant à la sortie de crise demeure élevée et les risques d’inflation sont bien réels. Même si comme le suggérait récemment Stephen Poloz, ancien gouverneur de la Banque du Canada, les taux à long terme devraient rester faibles en comparaison à l’histoire, bien malin celui qui peut cartographier avec précision les contours de la hausse à venir. Il apparaît clair toutefois qu’au fil de la reprise, la rotation ordonnée de l’actif entre marchés boursier et obligataire s’appuiera sur la capacité des banques centrales à contenir l’inflation et à en ancrer les attentes. //
Note de la rédaction. Ce texte a été écrit, révisé et mis en pages par Conseil et Investissement Fonds FMOQ inc. et ses mandataires. Il n’engage que ses auteurs.