Intéressée depuis quelques années par les aspects légaux de l’organisation des services médicaux dans notre réseau de soins, la Dre Touchette aimerait s’inscrire à un programme de maîtrise en droit de la santé à l’université. Invitée à une entrevue de sélection afin de déterminer si elle possède les connaissances minimales nécessaires à la réussite du programme, on lui demande si elle connaît un tant soit peu le cadre législatif dans lequel évolue le réseau. À la place de la Dre Touchette, sauriez-vous donner les bonnes réponses ?
Me Pierre Belzile, avocat, est directeur du Service juridique de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.
Le but de cette chronique, encore une fois, n’est pas de s’enfoncer dans les moindres méandres de la loi et des règlements qui encadrent notre réseau public de services de santé. Un tel exercice est impossible dans un article de deux pages. La matière à couvrir est trop vaste. Nous tâcherons donc plutôt de vous donner une vue d’ensemble. Mais là encore, dans ce domaine, vous constaterez à quel point il peut être difficile d’effleurer le sujet sans l’approfondir…
La Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS) est la loi-cadre du réseau québécois de la santé et des services sociaux. Cette loi a créé notre régime de services de santé et de services sociaux et en établit le mode d’organisation des ressources humaines, matérielles et financières. Son but est que tous les Québécois aient accès à des services de santé et à des services sociaux sur une base continue.
Tous ces services sont fournis par un réseau d’établissements, principalement les centres intégrés de santé et de services sociaux et les centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux, mieux connus respectivement sous les noms de CISSS et de CIUSSS. Ces établissements sont présents dans toutes les régions du Québec (voir notre article du mois de février 2021 sur ce sujet).
Il est à noter que les cliniques médicales, qu’elles soient reconnues comme un GMF ou non, ne sont pas des installations de ces établissements et restent des cabinets privés au sens de la loi.
Voici quelques-uns des nombreux éléments de cette loi qui se répercutent sur la vie professionnelle des médecins de famille. C’est ainsi que cette loi :
Les lois qui interagissent avec la LSSSS sont très nombreuses. Il n’est pas pertinent (ni possible en quelques pages) de toutes les mentionner. On peut toutefois en nommer quelques-unes dont les médecins ont davantage entendu parler ces dernières années. Voyons sommairement à ce chapitre les lois 10, 20 et 130.
La Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales a été adoptée en février 2015. Mieux connue sous le nom de « loi 10 », elle avait entraîné la disparition des agences régionales de santé et des centres de santé et de services sociaux, les CSSS, au profit des méga-établissements que sont aujourd’hui les CISSS et les CIUSSS. La loi 10 instaurait une nouvelle gouvernance des établissements et accordait de nouveaux pouvoirs au ministre de la Santé et des Services sociaux.
Pour les médecins, outre les contraintes occasionnées par la taille surdimensionnée des établissements sur les instances médicales, notamment les CMDP, la loi 10 introduit un nouveau principe. Elle prévoit ainsi qu’en cas de problèmes urgents d’accès à des services dans une installation donnée, un médecin peut dorénavant être affecté à une autre installation de l’établissement où il n’a pas nécessairement de privilèges, et ce, collectivement avec les autres membres de son service ou de son département. Ce principe se raffinera, on le verra, à l’occasion de l’adoption de la loi 130.
La Loi édictant la Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière de procréation assistée, la tristement célèbre « loi 20 », a, quant à elle, été adoptée en novembre 2015.
Tous ceux qui s’intéressent à l’actualité médicale n’ont pas oublié que cette loi visait notamment, de façon très dure, à forcer les médecins omnipraticiens à travailler en établissement, tout en assurant le suivi d’un nombre minimal de patients en première ligne. À la suite d’une levée de boucliers orchestrée par la FMOQ, les dispositions qui s’appliquaient directement aux médecins de famille ne sont, heureusement, jamais entrées en vigueur, une entente de principe obtenue par la Fédération les ayant écartées.
D’autres dispositions de la loi sont néanmoins en vigueur depuis sa sanction par l’État en 2015 et touchent directement la LSSSS, dont des dispositions qui sont venues asseoir encore davantage l’ascendant personnel du ministre de la Santé et des Services sociaux sur la gestion des établissements.
Adoptée en 2017, la Loi modifiant certaines dispositions relatives à l’organisation clinique et à la gestion des établissements de santé et de services sociaux fut la dernière pièce législative de l’ancien gouvernement à l’égard de l’organisation du réseau.
Pour les médecins, ce fut une autre tentative de coup de force sur leurs conditions de pratique, la loi prévoyant diverses mesures qui devaient, croyait-on, favoriser l’accessibilité aux services. Ainsi, la loi 130 modifiait certaines règles relatives à la gouvernance médicale d’un établissement et aux statuts et privilèges de pratique accordés aux médecins. En langage clair, l’idée du ministre de l’époque était notamment de rendre l’octroi de privilèges en établissement conditionnel à l’accomplissement d’activités en première ligne, d’une manière législative encore une fois.
La loi 130 est également venue resserrer un principe d’abord mis de l’avant par la loi 10, c’est-à-dire celui faisant en sorte que les privilèges accordés à un médecin dans un établissement le sont, d’emblée, pour l’ensemble de ses installations. Heureusement, la Fédération a convenu d’une autre entente de principe quant à l’application et à la mise en œuvre de cette loi. Cette entente a notamment permis de baliser la portée géographique des avis de nomination, d’établir le cadre se rattachant aux obligations générales ou spécifiques liées à l’exercice des privilèges et d’octroyer de nouveaux droits aux médecins de famille en matière de congés parentaux en établissement.
Comme les lois 10 et 20, cependant, la loi 130 a elle aussi transformé la LSSSS et accru encore une fois les pouvoirs du ministre sur la destinée des établissements. Par exemple, tout projet de règlement du conseil d’administration d’un établissement, d’un CMDP, des autres conseils d’un établissement et tout projet de règlement d’un DRMG doivent dorénavant être autorisés par le ministre lui-même et peuvent être modifiés par ce dernier.
Un mot sur cet important règlement d’application. La LSSSS comporte plusieurs règlements qui viennent expliquer les modalités d’application des principes qu’elle établit. Par exemple, les responsabilités des différents comités du CMDP ne sont pas toutes expliquées dans la LSSSS. Elles le sont dans le règlement. Il en va de même des divers statuts pouvant être octroyés à un médecin.
Ce règlement, dont plusieurs dispositions datent d’il y a plus de quarante ans, mériterait une refonte majeure tant certains de ses aspects sont désuets. Pensons notamment aux sections traitant de l’organisation médico-administrative des services en CLSC et dans d’autres types de centres.
Comme on vient de le voir, les lois qui encadrent la destinée du réseau des services de santé et des services sociaux bougent et s’entrecroisent régulièrement au fil des années et des gouvernements. Il faut savoir les connaître et les lire en parallèle. Ce qui n’est pas toujours simple. Elles peuvent également avoir beaucoup de répercussions sur l’exercice de la médecine et sur les conditions de pratique des médecins omnipraticiens. Il est certain que la FMOQ doit en permanence rester à l’affût de tout changement pouvant influer sur ces conditions. Voir que des médecins, sur une base individuelle, s’intéressent aussi à ces questions est toujours une bonne nouvelle. //