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Symptômes dépressifs chez les patients atteints de démence

Les traitements les plus efficaces ? Les méthodes non pharmacologiques

Élyanthe Nord  |  2021-05-27

Comment traiter un patient atteint de démence qui présente des symptômes dépressifs, mais ne souffre pas de dépression majeure ? Les antidépresseurs ne fonctionnent pas toujours très bien dans ces cas. Vers quoi se tourner ?

La solution résiderait dans les interventions non pharmacologiques. Trois approches donneraient de bons résultats, selon une étude canadienne récemment publiée dans le British Medical Journal (tableau1) :

h la stimulation cognitive associée à l’exercice et aux interactions sociales ;
h la stimulation cognitive ajoutée à la prise d’un inhibiteur de la cholinestérase ;
h le massage et le toucher thérapeutique.

 

Tableau

Ces trois interventions sont arrivées en tête parmi les méthodes qu’a étudiées une équipe dirigée par la Dre Jennifer Watt, de l’Université de Toronto. Les chercheurs ont effectué une revue de littérature et une méta-analyse en réseau à partir de 213 études réunissant plus de 25 000 patients atteints de démence et présentant des symptômes dépressifs, sans souffrir de dépression majeure. Parmi les soixante et une approches scrutées, sept se sont révélées plus efficaces que les soins habituels.

« Le classement des interventions semble indiquer que les méthodes non pharmacologiques, seules ou en association avec des médicaments, sont les meilleures pour réduire les symptômes dépressifs chez des personnes atteintes de démence sans diagnostic de dépression majeure », ont constaté les chercheurs1.

Dre Marie-Andree Bruneau

Comment choisir la bonne méthode ? Cela dépend du patient, répond la Dre Marie-Andrée Bruneau, gérontopsychiatre, qui a participé à la mise sur pied du Plan Alzheimer au Québec. « La recette gagnante, c’est de personnaliser l’approche et de l’adapter au patient, à ses intérêts, mais aussi au stade de la démence. Il y a des facultés, comme les sens, qui persistent plus longtemps au cours de la maladie d’Alzheimer. Les patients continuent ainsi d’avoir une mémoire sensorielle, de même qu’une mémoire ancienne, d’où l’intérêt des thérapies par la réminiscence. La stimulation cognitive, où l’on enseigne à la personne des stratégies pour se souvenir d’informations importantes, elle, fonctionne à un stade léger. À un stade avancé, elle peut provoquer de l’anxiété chez le patient qui est alors mis en face de ses déficits », indique la Dre Bruneau.

 

Et qu’en est-il des antidépresseurs ? « Les études sur les antidépresseurs chez des sujets atteints de troubles neurocognitifs majeurs sont décevantes, reconnaît la Dre Bruneau, également professeure au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal. Cependant, en clinique, quand un patient atteint de la maladie d’Alzheimer est très déprimé, et parfois même suicidaire, on va quand même le traiter avec des médicaments en espérant qu’ils fonctionnent. Toutefois, tous les guides de pratique recommandent de commencer par des approches non pharmaco­lo­gi­ques et de les prioriser. Et si on utilise un médicament, il faut toujours l’associer à des approches non pharmacologiques. »

Méta-analyse en réseau

La méta-analyse de l’équipe de Toronto semble avoir été faite dans les règles de l’art, mais comme toute étude de ce genre, elle a des limites, précise la Dre Bruneau. « Le problème dans ce type d’analyse statistique, c’est que l’on compare de façon indirecte différentes interventions qui n’ont pas été comparées l’une avec l’autre et on en tire des conclusions. »

Les protocoles des études analysées étaient par ailleurs très hétérogènes et de nombreuses données manquaient. En outre, les échelles employées, même si elles ont toutes été ramenées à celle de Cornell, une mesure de la dépression chez les patients atteints de démence, étaient souvent différentes, souligne la spécialiste.

L’étude torontoise a néanmoins permis de faire ressortir parmi les 61 approches étudiées, sept qui se sont révélées plus performantes que les soins habituels. Cependant, leur classement n’est peut-être pas très fiable, avertit la Dre Bruneau.

Exercice, interactions sociales et stimulation cognitive

Une des méthodes qui semblent réduire efficacement les symptômes dépressifs chez des patients atteints de démence est un trio : activité physique (exercices d’aérobie, de résistance ou d’équilibre), interactions sociales et stimulation cognitive (séances régulières pouvant comprendre des exercices d’orientation, de réminiscence, de la thérapie par l’art ou des jeux pour stimuler la fonction cognitive).

La Dre Bruneau n’est pas étonnée de l’efficacité de cette triple approche. « Même si on a des troubles cognitifs, on a besoin de bouger, de voir des gens et d’avoir une occupation intellectuelle gratifiante. Ce sont des activités qui diminuent l’ennui et la solitude, et donc les symptômes dépressifs. C’est un peu le gros bon sens », résume la gérontopsychiatre, également chercheuse au Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal.

Même chez les patients dont la démence a progressé, certaines de ces mesures resteraient encore utiles. « Plusieurs CHSLD organisent des séances d’exercice physique adaptées dans lesquelles les résidents peuvent être ensemble, parce que même si certains ont perdu le langage, le fait d’avoir des interactions avec les autres grâce à des classes d’exercice ou d’art est bénéfique. »

Stimulation cognitive et inhibiteur de la cholinestérase

L’une des interventions qui fonctionnaient le mieux était également l’association de la stimulation cognitive et de la prise d’un inhibiteur de la cholinestérase. Normalement, ce type de médicament n’est pas prescrit pour traiter les symptômes dépressifs. « Les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase sont utilisés au début de la maladie d’Alzheimer pour ralentir la progression des troubles cognitifs. Ils pourraient néanmoins avoir un effet stimulant et réduire l’apathie. Ils rendraient ainsi les gens un peu plus actifs. Il faut préciser que dans l’étude torontoise, ils semblaient être efficaces sur les symptômes dépressifs, et non sur la dépression majeure », précise la Dre Bruneau.

Massage et thérapie par le toucher

Le massage, l’acupression et le toucher thérapeutique se sont révélés efficaces pour réduire les symptômes de dépression. « Ces techniques impliquent les sens. La mémoire sensorielle est préservée tout au long de la maladie d’Alzheimer. On peut avoir recours au toucher, mais aussi à l’ouïe avec la musique, à la proprioception par exemple avec des couvertures lourdes ainsi que à la vue avec des images significatives », explique la spécialiste. Ce type d’intervention serait d’ailleurs étudié au Québec. « Il y a une cohorte de patients en CHSLD, à un stade avancé de la maladie d’Alzheimer, auprès de laquelle l’approche sensorielle est utilisée. Cela marche bien. »

Thérapie occupationnelle

Plus efficace que les soins habituels, mais pas que les anti­dépresseurs, selon l’étude torontoise, la thérapie occupa­tionnelle peut être une intervention intéressante (tableau1). « Elle consiste à trouver des activités dans la journée qui correspondent aux intérêts du patient. Par exemple, dans un CHSLD, on va quelquefois demander à des personnes qui aiment les tâches ménagères d’aider à plier du linge ou encore à une ancienne infirmière de s’asseoir au poste. On va donc permettre aux patients d’avoir des occupations qui les intéressent. Ça aussi, c’est toujours utile », affirme la Dre Bruneau.

Thérapie par la réminiscence

La thérapie par la réminiscence repose sur des activités ravivant de vieux souvenirs. Selon la méta-analyse canadienne, ses résultats dépassent un peu ceux des soins habituels.

« La thérapie par la réminiscence, faite en groupe ou seul avec un membre de la famille, permet au patient de se remémorer des souvenirs grâce à de vieilles photos ou à des musiques d’antan, parce que la mémoire ancienne demeure plus longtemps que celle à court terme. Ce type de thérapie offre aussi aux gens l’occasion d’avoir un contact social, d’engager la conversation et de ressentir du plaisir, des éléments qui les aident », dit la gérontopsychiatre.

Stimulation cognitive

Employée seule, la stimulation cognitive serait moins efficace pour atténuer les symptômes dépressifs chez les patients atteints de démence que lorsqu’elle est associée à d’autres méthodes. « Les programmes que je connais sont surtout utilisés au stade précoce de la maladie, explique la clinicienne. Les gens n’ont alors que quelques déficits cognitifs qui n’ont pas encore un grand impact sur leur fonctionnement quotidien. On va leur enseigner des stratégies pour retenir certaines informations, comme des trucs mnémotechniques ou l’emploi d’un agenda. La stimulation cognitive peut aussi consister en des activités, comme des jeux adaptés, vidéos ou autres, qui font travailler la mémoire ou l’attention. »

Soins multidisciplinaires

Les soins multidisciplinaires seraient plus performants que les soins habituels. La Dre Bruneau croit en leur efficacité. Elle a d’ailleurs participé à la mise en place d’équipes interprofessionnelles pour la prise en charge des symptômes neuropsychiatriques chez les patients atteints de démence. « Dans ces équipes, il peut y avoir une infirmière qui s’occupe des aspects médicaux, évalue la douleur ou les autres besoins du patient ; un psychologue qui se penche sur les problèmes liés au stress, au deuil et aux relations interpersonnelles ; un ergothérapeute qui, entre autres, analyse l’environnement et les perceptions sensorielles, puis met en place des stratégies. On recourt ainsi à différents intervenants pour créer un plan de soins. Le but est de déployer de telles équipes sur tout le territoire québécois et d’aider à prendre en charge les patients atteints de démence, tant à domicile qu’en CHSLD ou en résidence privée en privilégiant les approches non pharmacologiques. »

Actuellement, la gérontopsychiatre codirige un comité ministériel qui examine la mise en place de ces équipes. « La difficulté principale est toujours d’avoir du personnel stable et formé qui a du temps pour évaluer les symptômes du patient et réfléchir à un plan de traitement. »

La meilleure approche ?

Et si on n’avait à privilégier qu’une approche dans les CHSLD ou les résidences pour aînés pour diminuer les symptômes dépressifs, quelle serait-elle ? « La musique est souvent un outil puissant, indique la Dre Bruneau. On peut donc préparer des listes de musique personnalisées pour le patient. Il faudrait aussi que ce dernier puisse avoir des contacts sociaux, ne serait-ce que par téléphone ou avec une tablette. On doit également l’aider à bouger un peu et ne pas le confiner à sa chambre. »

Est-il réaliste de penser qu’on pourra offrir ces mesures à toutes les personnes atteintes de démence présentant des symptômes dépressifs ? « On a de la difficulté à simplement donner les soins de base, reconnaît la spécialiste. Cependant, on ne se rend pas compte qu’on se nuit en ne fournissant pas assez de personnel pour mettre ces approches en place. Le fait de laisser sans traitement des patients qui ont des symptômes psychiatriques ou des troubles de comportement n’est pas sans conséquence. Ils peuvent se blesser, blesser les autres, avoir davantage de problèmes médicaux, être plus hospitalisés, etc. Il y a donc des coûts à ne pas prendre en charge correctement les patients atteints de démence. C’est pour cette raison qu’on essaie de mettre en place le Plan Alzheimer au Québec. » //

Bibliographie

1. Watt J, Goodarzi Z, Veroniki A et coll. Comparative efficacy of interventions for reducing symptoms of depression in people with dementia: systematic review and network meta-analysis. BMJ 2021 ; 372 : n532. DOI : 10.1136/bmj.n532.