intensification du nettoyage du cerveau et autres rôles
Au cours du sommeil, d’importantes activités se produisent, dont le nettoyage du cerveau qui permet l’élimination de substances neurotoxiques, comme les protéines bêta-amyloïde et tau. Le mauvais fonctionnement de ce mécanisme pourrait jouer un rôle dans la maladie d’Alzheimer.
Pourquoi dormons-nous ? « On cherche encore le principal rôle du sommeil. On lui a cependant découvert diverses fonctions », affirme la Dre Nadia Gosselin, directrice scientifique du Centre d’études avancées en médecine du sommeil, à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal. On sait ainsi que plusieurs activités importantes se déroulent pendant cette phase de repos. Et l’une d’elles est l’élimination des déchets du cerveau.
L’encéphale se nettoie littéralement. « Les neurones et les cellules gliales ont un taux métabolique élevé et produisent beaucoup de déchets, dont des substances toxiques, comme le lactate et deux molécules clés dans la maladie d’Alzheimer : les protéines bêta-amyloïdes et tau. Ces substances endommagent facilement les neurones et les cellules gliales, et, par conséquent, doivent être éliminées efficacement », explique dans un récent article du Journal of the American Medical Association, le Dr Anthony Komaroff, de la Faculté de médecine de Harvard, à Boston1.
Les déchets sont expulsés grâce à une structure découverte depuis peu : le système glymphatique. Il s’agit d’un « système de drainage qui mélange du liquide cérébrospinal «neuf» au liquide interstitiel chargé de déchets et les évacue ensemble du cerveau, pour les déverser dans la circulation générale », indique le Dr Komaroff.
Comment cela se passe-t-il ? Le système glymphatique est composé de vaisseaux périartériels, des conduits qui entourent les artères du cerveau comme un tube extérieur et dans lesquels circule du liquide cérébrospinal nouvellement produit. Ce fluide quitte ensuite l’espace périartériel par des « canaux à eau », un peu comme à travers une passoire, pour se rendre à l’extérieur. Il arrive dans l’espace interstitiel entre les neurones et les cellules gliales où se sont accumulés les déchets. Le nouveau fluide se mêle alors au liquide interstitiel rempli de produits neurotoxiques et l’entraîne dans le système glymphatique périveineux consistant en des tubes enveloppant les veines du cerveau. Une fois dans ces conduits périveineux, liquides et déchets rejoignent le système lymphatique du cou, puis la circulation générale. Le cerveau est alors nettoyé.
Quel est le rôle du sommeil dans ce mécanisme ? « On s’est rendu compte que le système glymphatique est plus actif lorsque nous dormons. Il y aurait un plus grand mouvement de liquide interstitiel », explique la Dre Gosselin, neuropsychologue et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les troubles du sommeil et la santé du cerveau.
Le liquide interstitiel cérébral s’accroîtrait ainsi de 60 % pendant le sommeil. Les neurones et les cellules gliales relâcheraient une partie de leur liquide à l’extérieur et rétréciraient. « Il y aurait alors un espace plus important entre les neurones et un plus grand flot qui permettrait aux déchets de sortir des cellules pour se rendre dans le liquide céphalorachidien et le système glymphatique », mentionne la chercheuse.
L’importante découverte du système glymphatique, en 2012, a rapidement eu des répercussions en neurologie. « Les impacts ont été énormes, parce qu’on sait que les personnes chez qui les protéines bêta-amyloïdes et tau s’accumulent de façon anormale dans le cerveau risquent davantage d’être atteintes de la maladie d’Alzheimer. On s’est ainsi rendu compte qu’un mauvais sommeil pouvait favoriser certains processus neurodégénératifs », explique la Dre Gosselin, également professeure au Département de psychologie de l’Université de Montréal.
En empêchant l’accumulation des protéines bêta-amyloïdes et tau dans le cerveau, le système glymphatique pourrait donc réduire le développement des plaques amyloïdes et des enchevêtrements neurofibrillaires tau, tous les deux en cause dans la maladie d’Alzheimer. « La privation totale de sommeil, même pendant une seule nuit, provoque une augmentation des protéines bêta-amyloïdes dans l’hippocampe et le thalamus », précise le Dr Komaroff.
Y aurait-il moyen de prévenir la maladie d’Alzheimer en évitant ce processus ? Peut-être. Le traitement des troubles du sommeil pourrait être une avenue. « Une étude faite sur une grande cohorte de sujets souffrant d’apnée du sommeil a montré que ceux qui utilisaient un appareil à pression positive continue pendant la nuit étaient atteints de la maladie d’Alzheimer dix ans plus tard que les participants qui ne recouraient pas à ce traitement2 », dit la Dre Gosselin.
Ces résultats pourraient être directement liés au système glymphatique. « Une étude de cas a révélé qu’après le traitement de l’apnée du sommeil, la concentration de bêta-amyloïde revenait presque à la normale dans le liquide céphalorachidien. Il s’agit toutefois de résultats très préliminaires », précise la neuropsychologue3.
Pourrait-on stimuler directement le système glymphatique ? « On sait que c’est au cours du sommeil lent profond qu’il entre en action. Et il n’y a pas beaucoup de façons d’augmenter ce stade du sommeil. Néanmoins, se coucher à des heures régulières et faire de l’exercice durant la journée peut l’accroître. »
Certains chercheurs tentent toutefois des traitements expérimentaux, comme la stimulation magnétique transcrânienne. Une technique, effectuée à l’aide d’un appareil posé sur la tête, qui envoie des impulsions magnétiques dans le cortex. « Cette stimulation permettrait aux neurones de s’activer de façon plus synchronisée pendant le sommeil et de créer un sommeil lent profond. Pendant cette phase, les neurones fonctionnent en même temps et restent silencieux en même temps. Les chercheurs tentent donc de voir si on peut augmenter de façon expérimentale le sommeil lent profond chez les personnes âgées, parce que cette portion du sommeil diminue à partir de 55 ans. Si l’on y parvient, est-ce que cela réduira les risques d’alzheimer ? C’est encore très hypothétique. Les études sont en cours », dit la Dre Gosselin.
Certains facteurs semblent rendre le système glymphatique moins performant. L’un d’eux : le vieillissement. Avec l’âge, le nombre de canaux à eau, ces orifices par lesquels le liquide céphalorachidien s’échappe des vaisseaux périartériels ou revient dans les conduits périveineux, diminuerait, explique le Dr Komaroff.
Le système glymphatique serait, en outre, affecté par tout problème neurologique, affirme la Dre Gosselin. « Ce peut être un traumatisme crânien, la sclérose en plaques, un accident vasculaire cérébral. » Des maladies comme l’obésité, l’hypertension ou le diabète seraient aussi susceptibles de nuire à la fonction glymphatique.
Les perturbations du cycle circadien pourraient également nuire au système glymphatique, selon le Dr Komaroff. « Le fait de travailler la nuit et de dormir le jour modifie le sommeil. Il est possible que ce changement réduise le sommeil lent profond et altère ainsi le fonctionnement du système glymphatique. Ce n’est cependant qu’une hypothèse », précise la Dre Gosselin.
« La privation totale de sommeil, même pendant une seule nuit, cause une augmentation des protéines bêta-amyloïdes dans l’hippocampe et le thalamus. » – Dr Anthony Komaroff |
Quelles seraient les autres fonctions du sommeil ? Le fait de dormir serait important pour la mémoire. Les connaissances récemment assimilées se consolideraient alors. « Au début des années 2000, des études ont montré que si l’on fait une nouvelle tâche dans la journée, par exemple, si on apprend un mouvement dans un sport et que l’on dort ensuite, le lendemain on aura une meilleure performance que si l’on passe la même période de temps éveillé pendant la journée. On sait maintenant que le sommeil renforce les nouvelles connexions entre les neurones et participe à la plasticité cérébrale », affirme la Dre Gosselin.
Le fait de dormir permettrait aussi d’éliminer les synapses inutilisées. Ce mécanisme consoliderait les connexions plus importantes, un peu comme un arbuste que l’on taille. « Le sommeil rend ainsi tout notre cerveau plus efficace. »
Il influe sur la santé du cerveau, mais aussi sur la santé générale. « Un mauvais sommeil accroît, par exemple, les risques de diabète, d’hypertension, et d’obésité. Il a des effets sur bien des systèmes », précise la directrice scientifique du Centre d’études avancées en médecine du sommeil.
Les problèmes de sommeil sont par ailleurs fréquents. Mais ils sont sous-diagnostiqués. « Le quart des patients en première ligne mentionnent avoir des troubles du sommeil. Et ces derniers devraient être soignés. Presque la moitié des personnes âgées, par exemple, souffrent d’apnée obstructive du sommeil, mais seulement 20 % sont traitées. En ce qui concerne l’insomnie, environ 10 % de la population affirmeraient en faire », dit la Dre Gosselin. Un mauvais sommeil est ainsi maintenant un facteur de risque à plusieurs égards. Et ses conséquences peuvent se répercuter jusque sur le fonctionnement cognitif. //
1. Komaroff A. Does sleep flush wastes from the brain? JAMA 2021. Publié initialement en ligne le 17 mai. DOI : 10.1001/jama.2021.5631.
2. Osorio R, Gumb T, Pirraglia E et coll. Sleep-disordered breathing advances cognitive decline in the elderly. Neurology 2015 ; 84 (19) : 1964-71. DOI : 10.1212/WNL.
3. Liguori C, Chiaravalloti A, Izzi F et coll. Sleep apnoeas may represent a reversible risk factor for amyloid-b pathology. Brain 2017 ; 140 (12) : e75. DOI : 10.1093/brain/awx281.