Entrevues

Entrevue avec le président de l’association de la Mauricie

Des plateaux techniques réservés à la première ligne

Élyanthe Nord  |  2021-06-25

Président de l’Association des médecins omnipraticiens de la Mauricie, le Dr Pierre Martin préconise la création de centres d’examen destinés uniquement à la première ligne. Une mesure qui permettrait aux médecins des groupes de médecine de famille (GMF) de traiter plus facilement les patients non inscrits.

M.Q. — Que pensez-vous du nouveau service pour patients sans médecin de famille qu’offriront les GMF ?

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P.M. – Le fait que, jusqu’à présent, les GMF ne donnaient de services qu’à leur propre clientèle constituait un problème. Cela a fait gonfler les guichets d’accès à un médecin de famille qui constituaient pratiquement le seul moyen d’entrer dans le réseau de la santé. Le gouvernement s’était fixé comme objectif l’inscription de 85 % de la population. Mais dans beaucoup de régions du Québec, comme en Mauricie, ce taux atteint maintenant 88 %, sans que les guichets se vident pour autant. Le nôtre compte 41 000 personnes. Il faut par conséquent que des GMF acceptent de voir ces patients. Cependant, pour y parvenir, ils ont besoin de plus de soutien.

M.Q. — De quoi les GMF ont-ils besoin ?

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P.M. – Il faut que les médecins de famille aient accès à un plateau technique équivalant à celui d’une urgence. Quand on voit un patient à l’urgence et que l’on demande une tomodensitométrie, on l’a la journée même. Ce n’est pas normal qu’au GMF il faille attendre un an pour obtenir une résonance magnétique. Voir un patient que l’on ne connaît pas lorsqu’on n’est pas équipé pour l’évaluer, c’est affreux. Par contre, le voir quand on peut avoir des réponses rapidement, ça peut être intéressant. Un accès rapide à un plateau technique n’est pas dans le programme des GMF, mais il faut que ce soit offert dans le réseau.

M.Q. — Comment cet accès rapide pourrait-il être organisé ?

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P.M. – Il devrait y avoir des centres d’examen réservés à la première ligne. Là, il y aurait des prises de sang, des rayons X, des tomodensitométries et tout ce dont on a besoin. Les heures d’ouverture de ces plateaux devraient être aussi étendues que celles des GMF. S’ils desservent un GMF-R ouvert 84 heures par semaine, il faudrait qu’ils le soient aussi. Les résultats seraient ensuite accessibles rapidement. On aurait une prise de sang en une heure, un rayon X ou une tomodensitométrie en 24 heures. En l’espace d’une journée, tout au plus deux, on aurait le rapport dans le dossier médical électronique. Il faudrait aussi que le volume d’activité de ces centres d’examens soit égal à la demande. Ainsi, dès qu’un médecin aurait besoin de prescrire un examen, c’est là qu’il enverrait son patient. Ce n’est pas compliqué à organiser, mais il faut la volonté de le faire.

M.Q. — Est-ce que les médecins de GMF ont besoin d’autres types de soutien ?

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P.M. – Ce qui nous manque aussi ce sont des réponses rapides aux demandes de consultation en spécialité. Un délai d’un an avant d’obtenir une consultation, comme c’est le cas dans certaines spécialités, est à mon sens une hérésie. Ce délai doit être ramené à un maximum de six mois. Il faut que les spécialistes nous aident.

M.Q. — Dans le nouveau programme des GMF, les patients non inscrits pourront voir directement des professionnels autres que le médecin.

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P.M. – C’est une bonne chose. Un médecin de famille n’est pas un aiguilleur de demandes. Certains estiment que, bon an mal an, environ 30 % des demandes de service ne devraient pas transiter par le médecin de famille. Si un patient a les oreilles bouchées, il peut être envoyé directement vers une infirmière. S’il a encore des problèmes d’audition, il peut être dirigé vers un audiologiste. Un patient qui a mal au dos pourrait être immédiatement orienté en physiothérapie. L’ajustement de doses de certains médicaments peut aussi se faire dans les cliniques multidisciplinaires de suivi des maladies chroniques à l’hôpital. Pourquoi passer tout le temps par un omnipraticien ?
Il y a toutefois des corridors de service à améliorer pour que les patients puissent avoir accès à des services sans prescription d’un médecin. Combien de fois des patients nous disent : « Mon père est en perte d’autonomie, et on aimerait que quelqu’un vienne à la maison évaluer ses besoins, mais on nous a demandé une ordonnance. »
Le ministère de la Santé et des Services sociaux a mis sur pied, en collaboration avec certains départements régionaux de médecine générale, ce qu’il appelle le projet « Accès réseau pertinence ». Ce dernier permet justement d’orienter le patient au bon endroit immédiatement, sans toujours passer par un médecin de famille.

M.Q. — Il s’agit d’un projet pilote ?

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P.M. – Oui. Il est testé dans le Bas-Saint-Laurent. C’est un peu une version 2.0 des guichets d’accès à un médecin de famille. Cette nouvelle formule n’est plus exclusivement orientée vers la prise en charge par un omnipraticien, mais davantage vers la réponse à une demande de service du patient. Cette dynamique repose sur la possibilité que toutes les cliniques médicales puissent voir des patients non inscrits, mais aussi sur l’orientation vers tous les intervenants de la santé du réseau, comme les physiothérapeutes, les infirmières, etc.

M.Q. — Vous aimeriez que ce système soit adopté ?

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P.M. – Les guichets d’accès à un médecin de famille, qui sont les portes d’entrée dans le réseau de la santé, devraient disposer de personnel infirmier pour évaluer les besoins des patients. Un homme de 32 ans veut des prises de sang parce qu’il se sent fatigué ? On peut le faire évaluer par une infirmière praticienne spécialisée ou par un médecin qui a des plages horaires pour une clientèle non inscrite. Une personne d’âge mûr veut savoir si elle devrait se faire vacciner contre le zona ? On peut l’envoyer voir un pharmacien qui le lui expliquera.
Les guichets d’accès devraient par ailleurs avoir des liens dans la collectivité. Autant ils doivent disposer de plages horaires dans tous les GMF pour les patients non inscrits, autant ils doivent en avoir aussi dans les bureaux de chiropraticiens, de physiothérapeutes et dans les pharmacies.
Par ailleurs, occasionnellement, le médecin spécialiste peut aussi être le bon intervenant à voir directement. Il faut cesser de dire qu’une ordonnance du médecin de famille est nécessaire pour le rencontrer. La médecine spécialisée doit être ouverte à ce type de collaboration.

M.Q. — Comment voyez-vous la fin de la pandémie ?

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P.M. – Les GMF vont être très occupés. Pendant la crise de la COVID-19, les centres d’évaluation ont reçu beaucoup de patients qui vont tous retourner dans les GMF. Mais les groupes de médecine de famille devront en plus accueillir des patients non inscrits.
Est-ce que le réseau est prêt à répondre à cette demande ? Je suis loin d’en être sûr. Je pense qu’un sérieux défi organisationnel nous attend. S’il n’y a pas de réel désir d’aider la première ligne en lui four­nissant un plateau technique et un accès efficace à la consultation en spécialité, ce sera très difficile.//