en comprendre la portée fiscale
La RAMQ enquête de plus en plus sur la facturation des médecins et utilise différents moyens. Comprenez-vous bien les conséquences des différentes démarches ?
Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la FMOQ. |
Les contrôles de la RAMQ touchent de plus en plus de médecins depuis quelques années. Ils prennent différentes formes, dont les répercussions varient d’une situation à l’autre. Les retombées fiscales diffèrent aussi selon ce qui est réclamé au médecin. Revoyons les diverses possibilités.
Mais d’abord, un premier point qui revient fréquemment quand la RAMQ fait un contrôle rétroactif : le délai dont elle dispose pour retourner en arrière (art. 22.2 de la Loi sur l’assurance maladie). À la création de l’assurance maladie, il était de trois ans. La RAMQ avait ainsi trois ans à compter de la date du service pour le remettre en doute ou faire des vérifications et récupérer le paiement versé. Depuis l’époque de l’ex-ministre Barrette, ce délai a été prolongé à cinq ans. Lorsqu’il s’agit de fraude (question que devra trancher un tribunal de droit commun), la RAMQ peut revenir sur dix ans. Dans les deux cas, un délai supplémentaire est accordé lorsque la RAMQ effectue une « enquête » (une investigation selon des techniques policières, menée par la direction des enquêtes de la RAMQ). L’envoi d’une notification d’un « avis d’enquête » au médecin prolonge le délai applicable de la durée de l’enquête, sans dépasser une année. Selon la nature de la situation, la RAMQ dispose donc au plus de six ou de onze ans.
Depuis le passage de l’ex-ministre Barrette à la Santé, la RAMQ peut revenir sur la facturation des cinq dernières années, voire des dix dernières années lorsqu’il s’agit de services non rendus, faussement décrits ou de fraude. |
Une période de cinq ans peut paraître longue, mais elle est semblable à celle qui existe pour la révision par les autorités fiscales des déclarations de revenus antérieures ou pour remettre en doute des déductions sur une période comparable. De plus, ce délai est fixé par la loi. Le prolongement a reçu un large appui de tous les partis lorsqu’il a été proposé, de même que par le Collège des médecins lors des consultations parlementaires. Il ne s’agissait pas simplement d’une décision du gouvernement libéral alors majoritaire.
Alors quels genres de récupérations peut faire la RAMQ ?
À l’occasion, la RAMQ fait des vérifications concernant un code spécifique. Elle écrit alors à tous les médecins ayant facturé au moins une fois le code en question pour obtenir une copie de la note ou pour poser une question de validation. À titre d’exemple, il y a plusieurs années, la RAMQ s’est intéressée au code 00111 (« Analyse d’urine avec microscopie », inscrit dans la section Actes diagnostiques et thérapeutiques, sous « Laboratoire ») visant des analyses de laboratoire en cabinet ou à domicile.
Dans ce cas précis, la RAMQ n’exigeait pas les notes du dossier, mais se limitait plutôt à demander au médecin s’il disposait d’un microscope au cabinet à la date de la facturation du service. Si les médecins répondaient « non », la RAMQ récupérait le montant payé pour ce service spécifique. On peut supposer que les médecins comprenaient alors qu’il fallait effectuer l’examen au microscope pour réclamer ce code et qu’ils modifiaient leur organisation et leur façon de faire ou leur facturation.
Ce genre de démarche se fait habituellement dans un court délai après la date de prestation du service, et les sommes sont généralement peu importantes (dans le cas de l’analyse d’urine, on parlait d’environ 2 $). Les médecins réduisent alors sans doute simplement le revenu courant du montant récupéré.
Ces démarches peuvent se limiter à la seule date de service qui fait l’objet d’une vérification. Mais la RAMQ peut aussi par la suite faire une vérification élargie qui pourrait mener à une récupération pécuniaire plus substantielle. Ça dépend de l’enjeu financier. La RAMQ doit toujours évaluer le coût de ses activités par rapport à leur effet. Ce serait du gaspillage de fonds publics d’investir des efforts disproportionnés pour recouvrer quelques centaines de dollars.
Ce qu’on a plus couramment en tête lorsqu’on parle de récupération est la vérification qui vise plusieurs années. La RAMQ demande une cinquantaine de copies de dossiers spécifiques liés au code de facturation. En fait, la RAMQ reçoit les commentaires du médecin et, par la suite, indique la récupération possible en extrapolant le taux de conformité (ou de non-conformité) observé sur l’ensemble de la facturation du code en question durant la période à l’étude. Si 20 % de la facturation ne respecte pas les exigences permettant d’utiliser le code en cause et que la somme totale versée pour ce code est d’un million de dollars, la RAMQ mentionne qu’elle pourrait récupérer 200 000 $. Le médecin doit alors décider s’il veut contester ou s’il accepte de payer.
À la somme réclamée, la RAMQ ajoute généralement une sanction administrative pécuniaire de 10 % (ou de 15 % pour les cas de services non rendus ou faussement décrits) lorsque les conditions de facturation étaient connues. Vous aurez compris que la RAMQ et le médecin peuvent avoir une perception fort différente de la « connaissance » des conditions de facturation.
Si le médecin accepte de payer ou qu’il est tenu de payer à la suite d’une contestation, le traitement fiscal variera selon la nature des montants. Comme la récupération des honoraires entraîne une réduction du revenu, le médecin est en droit de faire réviser ses déclarations fiscales antérieures pour soustraire les sommes récupérées des revenus qu’il a déclarés à l’époque (ou que sa société par actions a déclarés). Afin de l’aider à faire la démonstration au fisc que la modification des années en question est légitime, il peut demander à la RAMQ de lui fournir le détail des sommes récupérées par année civile. Il pourra alors récupérer à son tour une partie du montant par le remboursement d’une partie des impôts payés en trop pour les années en cause.
En ce qui a trait aux sanctions administratives pécuniaires, il ne s’agit pas d’une réduction des honoraires, mais bien d’une forme de punition ou d’amende. La RAMQ ne peut imposer d’amende, ce pouvoir étant réservé au bureau du procureur des poursuites criminelles et pénales. La loi l’autorise cependant à appliquer des sanctions administratives pécuniaires, sans devoir faire appel au bureau du procureur ni se justifier dans une cour de droit commun.
Sur le plan fiscal, les punitions ne sont généralement pas des dépenses déductibles. Le contribuable doit les payer avec de l’argent post-imposition. C’est donc dire qu’une réclamation d’honoraires de 500 000 $ par la RAMQ, plus 50 000 $ en sanctions administratives pécuniaires se traduira, si le médecin est dans une fourchette d’imposition personnelle maximale de 50 %, par la perte de 250 000 $ de revenus (après impôts) et de la sanction pécuniaire de 50 000 $ (après impôts), en plus des honoraires du comptable pour la modification de ses déclarations antérieures.
Tant qu’elle a fait une enquête, la RAMQ peut toujours aller à la Cour si un médecin a sciemment et systématiquement surfacturé des visites fictives, par exemple (les services non rendus ou faussement décrits dans le langage de la loi). En cas de condamnation, le médecin est tenu de rembourser les montants perçus faussement décrits et de s’acquitter de l’amende. Le traitement fiscal serait alors comparable à celui des enquêtes plus courantes : le remboursement des honoraires pourrait réduire d’autant les impôts payés dans le passé, mais non l’amende.
Les vérifications ou les enquêtes concernant les frais accessoires donnent lieu à des conséquences semblables à celles qui portent sur les honoraires, à quelques nuances près. Lorsque la RAMQ doit rembourser à un patient un montant qu’il a déboursé, elle le réclamera au médecin ou à la clinique « fautive » et pourra y ajouter une sanction pécuniaire administrative de 15 %. C’est une démarche comparable à celle de la vérification ponctuelle, à la différence de la sanction pécuniaire administrative.
Toutefois, depuis les modifications apportées par l’ex-ministre Barrette, la RAMQ peut demander le remboursement de frais non permis pour un ensemble de patients, même si ces derniers ne demandent pas le remboursement. Une démarche isolée peut donc s’élargir et entraîner la restitution de l’ensemble des montants réclamés pour les services rendus, en plus de la sanction administrative pécuniaire. Le traitement fiscal sera comparable à celui d’une récupération ponctuelle ou d’honoraires sur une période de plusieurs années, soit une réduction d’honoraires pouvant donner lieu à un ajustement des impôts passés, mais la sanction administrative ne sera pas déductible.
La RAMQ peut toujours procéder par enquête. À ce jour, elle l’a fait pour l’affichage de la grille tarifaire dans la salle d’attente et dans au moins un cas de facturation de frais non permis. Dans le cas du défaut d’affichage, il s’agit d’une contravention à une obligation légale. La RAMQ soumet alors ces dossiers au bureau du procureur des poursuites criminelles et pénales qui a produit jusqu’à maintenant, dans plusieurs dossiers, des constats d’infraction ayant entraîné une réclamation d’environ 4000 $ (amende plus frais de gestion de la Justice). Dans les cas portés à l’attention de la Fédération, chaque médecin œuvrant dans les cliniques en cause a fait l’objet d’un constat. Dans une clinique de quinze médecins, on parle donc dans l’ensemble de paiements de 60 000 $, qui semblent exorbitants par rapport à la nature de l’obligation. Reste à voir comment ces situations se régleront à la suite de la contestation.
Pour la facturation de frais non permis, la RAMQ peut soit demander le remboursement des frais et imposer la sanction administrative pécuniaire, soit soumettre le dossier au bureau du procureur des poursuites criminelles et pénales. On s’attendrait à ce que la RAMQ procède par voie pénale dans le cas d’un « récidiviste endurci », par exemple, ou d’un individu bien informé que ses pratiques ne sont pas conformes. Vous aurez ainsi compris que trois contraventions pour la facturation de services valant 25 $ peuvent mener à trois constats d’infraction et, par conséquent, à une réclamation de 12 000 $. Encore une fois, ce chiffre semble exorbitant. La Fédération avait exprimé des préoccupations à donner de tels pouvoirs à la RAMQ, ce à quoi cette dernière avait rétorqué qu’elle en userait avec discernement. Dans quelques cas récents, selon les informations dont nous disposons, ce n’est pas ce que la FMOQ a observé.
La récupération des honoraires diminue d’autant les revenus des années en cause. Cependant, les sanctions administratives pécuniaires ne sont pas déductibles des revenus aux fins fiscales, car ils ne constituent pas une baisse des honoraires, mais plutôt une forme de punition ou d’amende. |
N’oubliez pas que lorsque la RAMQ procède par la voie pénale, le médecin doit payer la facture sans pouvoir la déduire à titre de frais de pratique. Dans notre exemple, pour la facturation des frais, on parle de la différence entre la récupération des honoraires de 75 $ (que le médecin peut soustraire de ses revenus) plus une sanction administrative de 11,25 $ et le paiement d’une amende de 12 000 $ non déductible des revenus. Toute une différence !
Vous saisissez la distinction entre la récupération des honoraires, les sanctions administratives pécuniaires et les amendes ? Espérons que vous ne vivrez aucune de ces trois expériences. Toutefois, si vous deviez faire l’objet d’une récupération d’honoraires passés, insistez pour que la RAMQ vous fournisse la documentation indiquant les montants recouvrés par année civile afin de pouvoir récupérer les impôts payés en trop sur ces sommes. À la prochaine ! //