de nouveaux outils offerts par l’INESSS
L’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) a créé pour les cliniciens de première ligne de nouveaux outils pour faciliter la prise en charge des patients souffrant du trouble lié à l’usage des opioïdes :
h un guide sur l’usage optimal du traitement par les agonistes opioïdes ;
h un aide-mémoire résumant les points à aborder avec l’usager ;
h différents documents, dont le rapport Agonistes opioïdes oraux dans le traitement du trouble lié à l’usage d’opioïdes, présentant les bases des recommandations.
Plusieurs indices peuvent laisser soupçonner que la consommation d’opioïdes d’un patient évolue vers un trouble lié à l’usage des opioïdes (TUO). La personne peut tout à coup éprouver des symptômes de sevrage, présenter un trouble de l’humeur ou un trouble anxieux qui ne répond pas au traitement, perdre à répétition ses médicaments, accroître ses doses sans autorisation, etc. « Toute personne qui consomme des opioïdes, qu’ils soient illicites ou de prescription, est à risque de développer un TUO », prévient le rapport de l’INESSS.
Au Québec, en 2016, une personne sur dix couvertes par le régime public d’assurance médicaments prenait des opioïdes d’ordonnance. Parmi elles, un peu plus de 10 % en faisaient une utilisation potentiellement inappropriée. Selon certaines études, environ 23 % des personnes ayant reçu une ordonnance d’opioïdes pourraient éventuellement souffrir d’un trouble lié à l’usage des opioïdes. Par ailleurs, l’emploi d’opioïdes illégaux, en injection, est à la hausse dans la province.
La dépendance aux opioïdes est difficile à vivre pour le patient. Elle provoque une importante souffrance et une altération du comportement. « Ce sont les premiers éléments pour poser un diagnostic de trouble lié à l’usage des opioïdes, selon le DSM-5. Ensuite, la présence d’au moins deux manifestations supplémentaires sur une liste de onze est nécessaire : prise d’opioïdes en plus grande quantité, efforts infructueux pour diminuer sa consommation, etc. », explique M. Alain Prémont, professionnel scientifique à l’INESSS et auteur principal des outils et des documents sur le traitement par des agonistes opioïdes.
Une fois le diagnostic posé, une évaluation clinique doit être effectuée. « Il faut prendre en charge la personne au complet, pas seulement son trouble lié à l’usage des opioïdes », précise M. Prémont, également pharmacien. Le guide qu’il a conçu avec ses collaborateurs recommande entre autres de faire le bilan de toutes les habitudes de consommation de substances psychoactives, de détecter les éventuels maladies ou troubles mentaux concomitants et de s’enquérir des antécédents de surdose ainsi que des comportements à risque du patient, comme le partage de matériel de consommation. « On doit également s’assurer que la personne n’a pas de maladies infectieuses liées à l’utilisation de substances psychoactives, comme les infections transmissibles sexuellement et par le sang », mentionne M. Prémont.
Une fois le diagnostic posé, comment aborder avec le patient la question de sa consommation d’opioïdes ? Que lui dire ? « Dès que vous identifiez une personne présentant un TUO, vous pouvez amorcer avec elle une discussion pour évaluer si elle se sent prête à effectuer un changement dans sa consommation d’opioïdes », propose l’aide-mémoire de l’INESSS qui indique les points essentiels des traitements existants.
Quel choix s’offre à l’usager d’opioïdes ? Un sevrage est déconseillé à cause du taux élevé de rechute. Les experts suggèrent plutôt la prise d’un agoniste opioïde. « Ces traitements agissent de manière à empêcher le syndrome de sevrage, à diminuer la forte envie de consommer et à réduire les effets des opioïdes », mentionne l’aide-mémoire.
Mais ensuite que choisir : la buprénorphine-naloxone ou la méthadone ? « Les deux molécules ont une efficacité similaire. Toutefois, celle à privilégier est la buprénorphine-naloxone dont le profil d’effets indésirables et d’interactions est meilleur », explique M. Prémont. Ce médicament, offert sous forme de comprimés ou de films sublinguaux, nécessite par ailleurs moins de visites médicales pour l’ajustement et le suivi.
Le grand inconvénient de la buprénorphine : le risque de sevrage provoqué. « Elle présente une haute affinité pour les récepteurs opioïdes, ce qui lui permet de déloger les autres molécules opioïdes et ainsi d’en bloquer l’action. Étant donné sa forte affinité pour ces récepteurs, une induction trop intense d’un traitement par la buprénorphine-naloxone pourrait avoir comme effet de déplacer très rapidement les agonistes opioïdes purs des récepteurs mu en les remplaçant par une molécule qui n’active pas ces récepteurs de façon aussi importante. Ce phénomène engendre une diminution nette de l’activité opioïde et augmente alors le risque d’apparition de symptômes de sevrage chez certaines personnes plus sensibles à ces effets », explique le pharmacien.
Ce sevrage, dit provoqué, est plus intense et se déclenche beaucoup plus rapidement que l’état de manque caractéristique lié aux opioïdes. Le patient peut alors se mettre à transpirer de façon excessive, avoir des crampes abdominales, de la diarrhée, des nausées, ressentir un état de manque et de l’anxiété. « Il y a des usagers qui connaissent ces symptômes et ne voudront pas prendre une pilule ayant de tels effets », affirme M. Prémont. Ils préféreront la méthadone. Tout comme ceux qui veulent réduire leur consommation d’opioïdes sans l’arrêter complètement. « Avec la buprénorphine-naloxone, c’est plus difficile à faire. » Parce que le médicament bloque l’action des autres opioïdes.
La méthadone, toutefois, présente plusieurs désavantages. Ses effets indésirables sont plus nombreux : somnolence, gain de poids, hypogonadisme, prolongation de l’intervalle QT, etc. Elle peut causer des interactions avec d’autres drogues ou médicaments comme les antibiotiques, les antidépresseurs et les antiviraux. En outre, son format est moins pratique : une solution à prendre par voie orale, qui doit être conservée au réfrigérateur pendant au plus 14 jours.
L’amorce du traitement par un agoniste des opioïdes est relativement complexe. « Bien que la formation de l’Institut national de santé publique du Québec ne soit plus obligatoire, elle est fortement recommandée, affirme M. Prémont. Il faut aussi être au fait de toutes les règles déontologiques relatives au traitement du trouble lié à l’usage des opioïdes ainsi que des lignes directrices conjointes du Collège des médecins du Québec, de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec et de l’Ordre des pharmaciens du Québec. Par ailleurs, si le clinicien ne se sent pas à l’aise d’amorcer le traitement, on lui conseille de consulter un collègue expérimenté », dit M. Prémont. Le guide de l’INESSS donne des liens pour obtenir du soutien ou avoir accès au mentorat avec un expert.
Une fois le traitement par un agoniste opioïde mis en place, le clinicien doit faire un suivi. « Il faut vérifier l’observance au traitement, l’efficacité de la dose pour qu’elle couvre une période de 24 heures et la consommation d’autres substances psychoactives. On doit également toujours faire un suivi concernant les objectifs que la personne s’était fixés pour son traitement », recommande le pharmacien. Le médecin doit en outre surveiller les effets indésirables et les interactions médicamenteuses. Dans le cas de la méthadone, il faut par ailleurs demander un électrocardiogramme à cause de l’allongement possible de l’intervalle QT.
Depuis 2018, il n’est plus nécessaire de détenir une exemption du gouvernement fédéral pour prescrire la méthadone. Maintenant, les médecins ainsi que certaines infirmières praticiennes spécialisées peuvent donc proposer les traitements de substitution aux consommateurs d’opioïdes. //