un système de surveillance en continu de la glycémie est-il utile ?
La surveillance en continu de la glycémie a changé la vie de bien des patients atteints de diabète de type 1. Mais est-elle aussi utile pour ceux qui ont le diabète de type 2 et prennent une insuline basale sans insuline aux repas ? Ce serait le cas, selon une nouvelle étude publiée dans le Journal of the American Medical Association (JAMA)1.
« La surveillance en continu de la glycémie est une technologie qui révolutionne le traitement du diabète. Dans l’essai clinique du JAMA, les patients qui l’ont employée ont eu, en huit mois, une baisse de l’hémoglobine glyquée qui, sans être extraordinaire, est significative. Les sujets correspondaient à ceux que l’on voit en première ligne : des patients dont le diabète de type 2 évolue depuis plus de dix ans et qui utilisent une insuline à longue durée d’action », explique le Dr Rémi Rabasa-Lhoret, directeur de la clinique de diabète, du laboratoire des maladies métaboliques et de la plateforme de recherche pour le diabète et l’obésité de l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM).
Mené par le Dr Thomas Martens et ses collaborateurs, l’essai clinique à répartition aléatoire s’est déroulé dans quinze centres américains. Les 175 patients, recrutés dans des cliniques de médecine familiale, étaient atteints de diabète de type 2 et se donnaient une ou deux injections d’insuline basale à action intermédiaire ou longue. Ils ne s’administraient pas d’insuline prandiale, mais pouvaient prendre des hypoglycémiants par voie orale. Leur hémoglobine glyquée était en moyenne de 9,1 %. « La maîtrise initiale du diabète allait ainsi de mauvaise à très mauvaise », souligne le Dr Rabasa-Lhoret, également professeur à l’Université de Montréal.
Les participants ont été divisés en deux groupes : 59 ont employé un glucomètre standard et 116, le système Dexcom G6 de surveillance continue du glucose. L’appareil, qui effectuait une mesure de la glycémie interstitielle toutes les cinq minutes, déclenchait une alarme en cas d’hypoglycémie ou d’hyperglycémie.
Parmi les patients, âgés en moyenne de 57 ans, 50 % étaient des femmes et 53 % appartenaient à des minorités raciales ou ethniques. « Les chercheurs ont recruté des gens qui n’avaient pas forcément un haut statut socio-économique. C’est une population qui n’avait pas encore été étudiée, et c’est une bonne chose qu’elle le soit. Mais il ne faut pas se leurrer, l’industrie essaie en même temps d’élargir sa clientèle », note l’endocrinologue qui pratique aussi au Centre hospitalier universitaire de Montréal. L’étude a d’ailleurs été financée par la société Dexcom.
Dans quelle mesure la surveillance en continu de la glycémie a-t-elle été efficace ? Au bout de huit mois, l’hémoglobine glyquée des sujets qui en ont bénéficié est passée de 9,1 % à 8,0 %. Cette baisse de 1,1 % était presque le double de celle de 0,6 % du groupe témoin dont les valeurs sont passées de 9,0 % à 8,4 % (tableau I).
Après ajustement en fonction des valeurs initiales, la différence de la baisse de la glycémie entre les deux groupes était de 0,4 %. « On considère généralement que c’est cliniquement significatif. Néanmoins, on aurait préféré avoir un écart de plus de 0,5 %, seuil à partir duquel les valeurs sont plus intéressantes », précise le clinicien chercheur.
Dans la vie réelle, l’écart entre les deux groupes pourrait toutefois être plus grand. Parce que le groupe témoin a été particulièrement encadré. « Dans ces études-là, l’assistant de recherche pousse souvent le patient à ajuster son insuline. On voit d’ailleurs qu’à la fin de l’étude il n’y a pas de différence entre les doses d’insuline des deux groupes. »
Les résultats secondaires sont également intéressants. Dans le groupe expérimental, le pourcentage de temps où la glycémie se situait entre 4 mmol/l et 10 mmol/l s’élevait à 59 %, ce qui représente environ 14 heures par jour. Par comparaison, les sujets du groupe témoin passaient 43 % de leur journée entre ces valeurs cibles, soit quelque 10 heures quotidiennement (tableau I). Un écart de presque 4 heures.
Les hyperglycémies ? Le pourcentage du temps pendant lequel le taux de glucose dépassait 13,9 mmol/l était de 11 % dans le groupe employant le Dexcom G6 et de 27 % dans celui qui recourait au glucomètre. Soit 2,6 heures contre 6,5 heures.
Les hypoglycémies ? Il n’y a pas eu de différence significative. Un seul patient dans chaque groupe a connu une grave baisse du taux de glucose.
Au bout de huit mois, la glycémie moyenne s’élevait à 9,9 mmol/l dans le groupe sous surveillance continue et à 11,4 mmol/l dans celui qui utilisait le glucomètre. « Une différence ajustée de 1,44 mmol/l, c’est bien », estime le Dr Rabasa-Lhoret. Les patients, interrogés sur le système de surveillance en continu de la glycémie, se sont par ailleurs révélés très satisfaits.
Comment s’explique l’amélioration de la glycémie des sujets qui utilisaient le Dexcom G6 ? Vraisemblablement par un investissement accru des participants dans leur traitement : meilleure adhésion à l’insulinothérapie, changement dans l’alimentation et augmentation de l’activité physique en réponse aux lectures du système, estiment les Dres Monica Peek et Celeste Thomas, qui signent l’éditorial du JAMA2. « C’était la source la plus probable de l’amélioration de la maîtrise de la glycémie, parce qu’il n’y avait pas de différence dans la quantité totale d’insuline entre les deux groupes de l’étude ou dans les ajustements des doses de médicaments par les cliniciens », indiquent-elles.
Cette hypothèse correspond à l’expérience clinique du Dr Rabasa-Lhoret. Un certain nombre de ses patients ayant le diabète de type 1 ou 2 utilisent un système de surveillance de la glycémie Dexcom ou Freestyle. « La meilleure maîtrise de la glycémie est clairement liée à une dose d’insuline plus optimale. Les patients voient qu’avec tel aliment leur glycémie monte beaucoup plus, qu’avec l’activité physique elle baisse. Ils sont capables d’intercepter une hypoglycémie. Le système leur permet ainsi d’améliorer leur mode de vie. »
Le système de surveillance en continu n’a toutefois pas permis aux patients d’atteindre une glycémie optimale. « L’idéal, c’est d’avoir au moins 70 % du temps une glycémie entre 4 mmol/l et 10 mmol/l, ce qui correspond à une hémoglobine glyquée inférieure à 7 %, », explique le Dr Rabasa-Lhoret qui, par souci de transparence, indique être parfois consultant pour des entreprises pharmaceutiques. Dans l’étude, les participants munis du Dexcom passaient moins de 60 % de leur temps entre les valeurs recommandées.
Qu’en est-il de l’efficacité dans la vie réelle d’un système de surveillance continue de la glycémie ? En Californie, le Dr Andrew Karter et son équipe ont cherché à le déterminer dans une étude rétrospective de cohorte allant de 2015 à 2020.
Les chercheurs, qui ont reçu une subvention entre autres de Dexcom, ont analysé les données de 41 753 sujets atteints de diabète de type 1 ou 2 recourant à l’insuline. Parmi les participants, 3806 ont commencé à utiliser un système de surveillance continue de la glycémie sur l’avis de leur médecin au cours de la période étudiée3. Ce groupe présentait initialement à la fois plus d’hypoglycémies et d’hyperglycémies que celui qui avait continué à employer un glucomètre.
L’effet du dispositif de surveillance continue ? Les participants qui y recouraient ont vu en douze mois leur hémoglobine glyquée diminuer davantage que les sujets témoins (tableau II). « Il y a une différence ajustée de 0,4 % entre les baisses des deux groupes. Le même écart que dans l’étude de l’équipe du Dr Martens », note le Dr Rabasa-Lhoret.
La surveillance continue semblait particulièrement efficace pour le diabète de type 2 (tableau II). Les 344 patients qui en étaient atteints et qui employaient un dispositif de surveillance continue étaient plus nombreux à présenter une hémoglobine glyquée inférieure à 8 % que ceux souffrant de diabète de type 1 qui recouraient à un tel système. Le « nombre de patients à traiter » avec ce dispositif serait de six contre huit pour atteindre ce seuil de HbA1c.
Le système de surveillance en continu de la glycémie a également eu un effet marqué sur les chutes très graves de glycémie. Le taux de visites à l’hôpital pour une hypoglycémie a baissé (passant de 5,1 % à 3,0 %) dans le groupe ayant le dispositif, mais a augmenté (passant de 1,9 à 2,3 %) dans le groupe témoin. Un écart ajusté de 2,7 %.
Le système de surveillance semblait également bien fonctionner pour diminuer le nombre d’hypoglycémies graves chez les patients atteints de diabète de type 2. Chez ces derniers, le nombre de sujets à doter d’un tel dispositif pour éviter une hypoglycémie serait de 25 contre 43 pour les participants ayant le diabète de type 1.
« C’est toujours rassurant d’avoir d’un côté un essai à répartition aléatoire et de l’autre une étude de soins usuels. Ce sont deux études américaines très cohérentes l’une avec l’autre. On peut penser que dans l’étude de soins usuels, les patients étaient plus fortunés et avaient probablement une plus grande capacité de s’investir dans le traitement de leur maladie. Mais ce sont des biais qui vont exister dans la vraie vie », mentionne le Dr Rabasa-Lhoret.
Actuellement, il existe deux types de dispositifs de surveillance en continu de la glycémie : le Dexcom G6 et le FreeStyle Libre. « Ce sont des technologies novatrices, mais inaccessibles pour beaucoup de patients à cause de leur prix », précise le Dr Rabasa-Lhoret.
La Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) et les assureurs couvrent le coût de ces systèmes à certaines conditions (encadré). « La RAMQ paie le Freestyle pour les gens atteints de diabète de type 1 et 2 qui se donnent au moins trois injections d’insuline par jour. Le Dexcom, lui, est remboursé à ceux qui ont le diabète de type 1 et des problèmes d’hypoglycémie », résume l’endocrinologue.
Les patients atteints de diabète de type 2 traités par une insuline de base, mais sans injections prandiales, comme ceux de l’étude du Dr Thomas Martens, n’ont donc pas accès gratuitement à ces systèmes. Serait-il souhaitable que ces dispositifs soient couverts ?
Le Dr Rabasa-Lhoret fait partie du comité de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux qui recommande ou non à la RAMQ le remboursement des médicaments et des dispositifs liés au diabète. Tôt ou tard, il aura à se prononcer. « Je ne suis pas sûr que ces nouvelles données me convaincront. J’aimerais avoir d’autres études plus importantes et plus longues. » Il reste, par exemple, des zones d’ombre concernant l’utilité de ces dispositifs de surveillance pour éviter les graves hypoglycémies et hyperglycémies chez cette nouvelle catégorie de patients.
L’endocrinologue souhaiterait également voir des résultats montrant le plein potentiel de ces systèmes. Permettent-ils au patient de mieux prendre en charge son diabète globalement ? « Tous les quatorze jours, ces dispositifs donnent des courbes qui indiquent les grandes tendances. Les patients pourraient-ils être plus proactifs avec l’aide des professionnels de la santé ? Peu d’études ont été faites sur cet aspect. »
Néanmoins, sur le plan individuel, peut-on conseiller un système de surveillance continue aux patients atteints de diabète de type 2 ne prenant qu’une insuline basale, s’ils en ont les moyens ? « S’ils montrent un intérêt et sont motivés, la réponse est oui », répond le Dr Rabasa-Lhoret.
Dans certains cas, la surveillance en continu de la glycémie peut être le facteur qui permettra de préserver le fragile équilibre du patient. « Prenons, par exemple, une personne âgée vulnérable qui vit chez elle, mais est à la limite de ses capacités. Malheureusement, elle doit commencer à prendre de l’insuline. Un dispositif qui permet de connaître sa glycémie sur une base régulière peut l’aider. On peut le paramétrer pour qu’un proche reçoive les données. Associé à une insuline à longue durée d’action, il peut permettre à une personne âgée de rester à domicile. »
Les dispositifs de surveillance continue de la glycémie ne sont pas seulement chers, ils sont aussi complexes. « Le Dexcom, par exemple, produit à peu près 300 résultats de glycémie par jour. Le patient et les professionnels de la santé ont besoin d’une formation pour apprendre à gérer toutes ces informations. »
Le Dr Rabasa-Lhoret et ses collaborateurs de l’IRCM ont créé un « outil du profil glycémique ambulatoire » (PGA) pour faciliter l’analyse de l’ensemble des données. « Il y a des façons très visuelles de présenter les 300 glycémies quotidiennes. Notre outil indique au médecin de famille comment faire une analyse rapide et effectuer les changements nécessaires. »
L’instrument, qui est accompagné d’une vidéo, simplifie l’analyse des graphiques des glycémies en la découpant en plusieurs étapes : évaluation de la présence d’hypoglycémies, analyse de la tendance de la glycémie, examen de la variabilité du taux de sucre, etc. « Notre outil n’a pas été testé et validé, mais est le reflet de notre expérience clinique. Il est extrêmement téléchargé », indique le médecin chercheur.
Les systèmes de surveillance continue de la glycémie sont particulièrement bien adaptés aux télésoins, estime le Dr Rabasa-Lhoret. « Durant la pandémie, j’ai donné 15 % plus de consultations. J’ai ainsi réussi à suivre tous mes patients, et même plus. Une fois que le dispositif est réglé et que les glycémies s’en vont dans le nuage, je peux regarder les valeurs de M. Lavoie ou de Mme Lemieux. Je n’ai besoin que d’un lien Internet. »
Ces systèmes de surveillance offrent de nouvelles possibilités cliniques. « Je peux faire un suivi quinze jours après avoir changé une insuline ou fait une recommandation à un patient. En quelques minutes, je peux en regarder l’effet sans faire venir la personne. » L’endocrinologue, qui travaille dans un cadre multidisciplinaire, collabore avec une infirmière et une nutritionniste. « Elles adorent ce système. »
Les dispositifs de lecture en continu de la glycémie sont l’avenir aux yeux du spécialiste. « Il faut s’engager dans cette révolution. Je pense que les prochaines années nous permettront de savoir quels patients en bénéficient vraiment. » //
1. Martens T , Beck R , Bailey R et coll. Effect of continuous glucose monitoring on glycemic control in patients with type 2 diabetes treated with basal insulin: a randomized clinical trial. JAMA 2021 ; 325 (22) : 2262-72. DOI : 10.1001/jama.2021.7444.
2. Peek M et Thomas C. Broadening access to continuous glucose monitoring for patients with type 2 diabetes. JAMA 2021 ; 325 (22) : 2255-7. DOI : 10.1001/jama.2021.6208.
3. Karter A, Parker M, Moffet H et coll. Association of real-time continuous glucose monitoring with glycemic control and acute metabolic events among patients with insulin-treated diabetes. JAMA 2021 ; 325 (22) : 2273-2284. DOI : 10.1001/jama.2021.6530.