quand l’anticorps sera-t-il offert au Québec ?
L’aducanumab, s’il était administré au Québec, nécessiterait d’importants changements dans la prise en charge et le suivi des patients atteints de la maladie d’Alzheimer.
Quand les patients québécois atteints de la maladie d’Alzheimer pourront-ils recevoir l’anticorps aducanumab (Aduhelm) ? Probablement pas avant plusieurs années.
« Le fabricant, Biogen, a soumis une demande d’approbation à Santé Canada, mais on ne sait pas ce qui va se passer. Rien n’a transpiré », indique le Dr Louis Verret, directeur de la Clinique interdisciplinaire de mémoire du CHU de Québec. Lui-même et plusieurs autres experts canadiens se sont réunis pour discuter de la position qu’ils allaient adopter. « On n’a pas encore établi de consensus », précise le neurologue.
Si l’aducanumab est homologué, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux aura ensuite à se prononcer sur son remboursement au Québec. Parce que le médicament est cher. « Son prix tourne autour de 50 000 dollars américains par année. Et il s’agit seulement du coût du médicament. Il faudra des centres de perfusion pour l’administrer chaque mois par intraveineuse aux patients. À cela s’ajoutent toutes les dépenses qui y sont associées : les solutés, les services infirmiers, les examens de résonance magnétique, etc. », explique le Dr Verret, également professeur de clinique à l’Université Laval.
Si le nouvel anticorps est homologué, une question va se poser : comment repérera-t-on les patients susceptibles d’en bénéficier ? Les malades qu’il faudra découvrir ne seront plus ceux qui sont déjà au stade léger ou modéré de l’alzheimer. « Il faut des patients atteints plus tôt par la maladie. La porte d’entrée du système n’est pas encore prête à les détecter », estime le Dr Verret.
Les candidats potentiels à la prise d’aducanumab auront en outre besoin d’examens spécialisés. Ils devront, pour commencer, passer un test de mémoire exhaustif et précis. « Ce n’est pas nécessairement facile à administrer dans un cabinet de médecin de famille », indique le clinicien.
Des examens comme la tomographie par émission de positons (TEP) ou une ponction lombaire seront également nécessaires pour confirmer la présence d’amyloïde ou de la protéine tau dans le cerveau. Certains ajustements seront d’ailleurs requis. « Le ligand que l’on injecte pour effectuer une tomographie n’est pas produit au Québec. Il faut le faire venir. Dans le cas d’une étude comme ENGAGE, dans laquelle j’avais une dizaine de sujets, c’était assez facile. Le produit arrivait par avion et était ensuite acheminé au centre d’imagerie. Mais avec le nombre de patients potentiels que l’on aura, on ne pourra pas faire venir le ligand par transport spécialisé », explique le chercheur.
Les marqueurs de l’alzheimer peuvent aussi être détectés à partir d’une ponction lombaire. « Cependant, les laboratoires du Québec ne sont pas encore équipés pour faire l’analyse d’échantillons de liquide céphalorachidien. La technologie n’est pas compliquée, mais nécessite des réactifs spéciaux et une technique bien maîtrisée pour avoir des mesures fiables », précise le neurologue. Éventuellement, la présence d’amyloïde dans le cerveau pourra être décelée par une simple prise de sang.
L’administration de l’aducanumab nécessite également la surveillance des effets indésirables potentiels. Les principaux consistent en une augmentation des « ARIA » (Amyloid Related Imaging Abnormalities) : de petits œdèmes ou des microhémorragies. « C’est un phénomène qui peut arriver naturellement dans la maladie d’Alzheimer. Si les patients en ont trop souvent, on va cesser le traitement, parce que c’est trop risqué », précise le Dr Verret.
« L’aducanumab est destiné aux patients atteints très précocement de la maladie d’Alzheimer. La porte d’entrée du système n’est pas encore prête à les repérer. » – Dr Louis Verret. |
Ces ARIA sont détectés par un examen d’imagerie par résonance magnétique. Le fabricant, Biogen, en recommande un avant l’administration de la première dose d’aducanumab, puis avant la septième et la douzième perfusion. Mais aussi si le patient présente des symptômes pouvant correspondre à de petits œdèmes ou hémorragies. « C’est au début, pendant l’augmentation des doses, que le risque est le plus grand. Toutefois, les examens de résonance magnétique ne sont pas nécessairement accessibles partout au Québec », explique le clinicien.
Le recours à l’aducanumab pourrait demander une restructuration de la prise en charge des patients atteints de la maladie d’Alzheimer. « Le Québec a mis sur pied, il y a dix ans, le Plan Alzheimer, qui mise sur les médecins de famille, les infirmières de première ligne et les travailleurs sociaux pour repérer et prendre en charge ces patients. Les spécialistes, eux, s’occupent des cas complexes et difficiles », indique le neurologue. Mais avec le nouvel anticorps, la détection et le traitement des patients vont devenir complexes et difficiles.
Certains pays, comme la France, possèdent une organisation différente. « Ils ont mis sur pied des cliniques de cognition pour les personnes se plaignant de problèmes de mémoire. Les médecins de famille orientent donc ces patients vers une clinique de spécialistes qui fait toute l’évaluation », mentionne le Dr Verret.
Cela vaudra-t-il vraiment la peine d’investir tous ces efforts pour recourir à l’aducanumab ? Les résultats que peut potentiellement donner le médicament sont somme toute modestes. Il ralentit la progression de la maladie, mais ne l’arrête pas.
« Je pense qu’il faudra faire des analyses, estime le Dr Verret. Si, comme patient, vous avez de petites pertes de mémoire à cause de la maladie d’Alzheimer et que pendant quelques années de plus vous gardez votre permis de conduire, que votre fils n’a pas besoin de vous visiter quatre fois par semaine ou de rater des journées de travail, que vous pouvez garder vos petits-enfants en toute sécurité, que vous continuez à faire du bénévolat auprès des jeunes sans-abri, cela a une valeur financière. Si durant quelques années de plus, vous restez dans votre maison plutôt que d’aller dans un CHSLD, le gouvernement fait des économies. Le coût de la maladie d’Alzheimer est très grand pour le patient, ses aidants et la société. Il va falloir que tout cela soit calculé. Quel est le prix d’une année de maladie d’Alzheimer de légère à modérée ? Je n’ai pas la réponse. Il faut par ailleurs aussi tenir compte de la souffrance qui, elle, ne se chiffre pas. » //