nouveau programme des GMF et régions éloignées
Le nouveau programme des groupes de médecine de famille (GMF) devrait être plus flexible dans les régions éloignées, plaide le Dr Pierre Gosselin, président de l’Association des médecins omnipraticiens de la Côte-Nord. Des critères, comme le taux d’assiduité, pénalisent lourdement certaines cliniques.
M.Q. — Que pensez-vous du nouveau programme des GMF ? |
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P.G. – Je trouve qu’il devient de plus en plus bureaucratique. Par ailleurs, il comporte toujours une mesure que l’on trouve contestable : le taux d’assiduité. Les GMF de Port-Cartier et de Havre-Saint-Pierre ont été sévèrement pénalisés à cause de ce critère. Dans bien des petites villes de la Côte-Nord, les gens vont à l’urgence plutôt qu’au GMF pour obtenir des soins de santé ponctuels ou même pour consulter leur médecin de famille. Ils reconnaissent son auto dans le stationnement et vont le voir. Le débit dans ces petites urgences n’est pas très important. Les patients trouvent cette manière de procéder commode. Notre GMF de Port-Cartier a perdu une grande partie de ses subventions depuis deux ans, entre autres à cause de cette pratique. Il y a un deuxième élément qui nuit au taux d’assiduité dans les régions éloignées : le fait que les médecins de GMF doivent couvrir également la liste de garde de l’urgence. Les établissements de notre région comptent beaucoup sur les médecins dépanneurs, mais parfois ils ne viennent pas. Les omnipraticiens de la région doivent alors annuler leurs heures de travail au GMF pour aller à l’urgence. En 2019, seulement au GMF de Port-Cartier, il y a eu 70 jours où cette situation s’est produite. |
M.Q. — Avez-vous expliqué cette situation aux représentants du ministère de la Santé ? |
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P.G. – Oui. On leur a parlé au début de 2020, juste avant la pandémie. On a tenté de leur faire comprendre avec des tableaux et des chiffres les causes du mauvais taux d’assiduité de notre GMF de Port-Cartier. On a réussi à faire réduire la pénalité de moitié. Au lieu de couper complètement la subvention, le ministère l’a diminuée de moitié. Cet exercice nous a cependant demandé beaucoup d’efforts et d’énergie. Le problème du taux d’assiduité touche principalement les petits GMF comme le nôtre ou celui de la Minganie. Il faudrait que le programme des GMF soit adapté aux régions. D’une manière ou d’une autre, comme médecins, on donne le service. |
M.Q. — Dans vos GMF, offrez-vous des services aux patients sans médecin de famille ? |
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P.G. – Oui. Au début de la pandémie, on nous a demandé d’offrir des services médicaux aux patients non inscrits sans symptômes de COVID-19. Les cinq GMF de la Côte-Nord ont donc offert des services à toute la population en tant que « cliniques froides ». Le nombre de patients sans médecin de famille n’est cependant pas très élevé. Sur la Côte-Nord, on en a 5926 dans le guichet d’accès à un médecin de famille. Plusieurs GMF mettent des plages de consultation sans rendez-vous à leur disposition l’après-midi et elles ne sont pas toujours prises. Les gens préfèrent souvent aller à l’urgence pour voir un médecin, comme je le disais. Toutefois, ce n’est pas le cas dans les plus grandes villes comme Sept-Îles ou Baie-Comeau où les urgences sont plus importantes. Mais dans les plus petites agglomérations, les patients vont à l’hôpital, même s’ils ont obtenu un rendez-vous le lendemain au GMF, parce que c’est plus pratique pour eux d’avoir une consultation le soir. |
M.Q. — Y a-t-il d’autres améliorations que vous souhaiteriez concernant le programme des GMF ? |
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P.G. – Il y a un autre facteur dont le programme ne tient pas compte : le nombre d’omnipraticiens à temps plein pratiquant au GMF. Un GMF qui regroupe six médecins suivant chacun 1000 personnes a les mêmes obligations que celui qui en compte douze qui ont chacun 500 patients. Chez nous, par exemple, quand arrive le temps des Fêtes, trois de nos six médecins sont à l’urgence. Je ne peux pas les mettre en plus de garde au GMF. Dans un GMF où il y a douze omnipraticiens, c’est donc plus facile de se répartir le travail. On devrait aussi tenir compte du nombre de médecins pour fixer les périodes d’ouverture de la clinique. Par exemple, à Havre-Saint-Pierre, l’urgence et le GMF sont dans le même établissement. Il y a un médecin à l’urgence et un autre, à la porte d’à côté, de garde au GMF. Peut-être une trentaine de personnes vont se présenter au cours de la journée. Un médecin suffirait, mais il faut en fournir deux pour se conformer au cadre rigide du programme. |
M.Q. — Qu’en est-il des effectifs infirmiers sur la Côte-Nord ? |
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P.G. – Dans notre région aussi, la pénurie d’infirmières cliniciennes et auxiliaires est terrible. Le Centre mère-enfant de Sept-Îles, par exemple, a failli fermer cet été pour cette raison. Heureusement, le CHUL de Québec a envoyé des infirmières, sinon il n’y aurait plus eu d’accouchements dans ce milieu. Toutefois, dans le reste de l’Hôpital de Sept-Îles, une vingtaine de lits seront fermés à cause du manque de personnel. En ce qui concerne l’urgence, tout comme à Baie-Comeau, le taux d’occupation est d’environ 250 %. À cause de la pénurie d’infirmières, les patients ne peuvent pas être transférés dans les unités de soins. |
M.Q. — Avez-vous recours aux agences de placement infirmier ? |
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P.G. – Oui. Cependant, en avril dernier, un arrêté ministériel a établi que le tarif serait le même partout au Québec. Ainsi, les frais de déplacement et de séjour ne sont plus remboursés. Cela nous pénalise. Pourquoi une infirmière de Montréal paierait-elle son déplacement et son séjour dans un établissement de notre région ? Les infirmières qui ont des engagements pour l’été les respectent, mais ensuite c’est fini. Les CISSS de la Côte-Nord, de la Gaspésie et de l’Abitibi ont fait des pressions sur le ministère. Ils ont obtenu un peu plus de souplesse, mais le décret n’a pas été aboli. Les prochains mois vont donc être très difficiles. Comme on utilise la main-d’œuvre indépendante dans tous les milieux, on ne sait pas ce qui va se passer. Le conseil d’administration du conseil des médecins, dentistes et pharmaciens de Port-Cartier a écrit une lettre au ministère pour l’aviser que la situation est critique. On n’a pas encore eu de réponse, ni même d’accusé de réception. |
M.Q. — La pandémie a-t-elle été difficile sur la Côte-Nord ? |
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P.G. – On a eu de la chance. On a été relativement épargné par la COVID-19. On a eu jusqu’à présent 579 cas et seulement trois décès. Quelques patients ont été hospitalisés à Sept-Îles et à Baie-Comeau. |
M.Q. — Quelles sont les leçons à tirer de la pandémie selon vous ? |
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P.G. – La principale, c’est que la Santé publique est utile. Durant l’ère Barrette, le ministère voulait pratiquement l’éliminer. Dans notre région, elle a été très active pour la recherche des contacts. On n’a donc pratiquement pas eu de transmission communautaire. |