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Maladie d’Alzheimer

le point sur l’aducanumab, un anticorps contre la bêta-amyloïde

Élyanthe Nord  |  2021-08-26

L’aducanumab, qui vient d’être homologué aux États-Unis pour les patients atteints d’alzheimer, réduit les plaques de bêta-amyloïde dans le cerveau, selon les études de phase 3. Cependant, les effets du médicament sur la mémoire sont moins évidents.

Dr Louis Verret

Dans l’univers de la maladie d’Alzheimer, l’aducanumab (Aduhelm) fait rêver bien des patients : cet anticorps réduit les plaques de bêta-amyloïde dans le cerveau et semble ralentir le déclin cognitif. Mais il y a une inquiétude. Les études sur lesquelles repose son homologation aux États-Unis ont connu des ratés.

Tout a commencé par un essai clinique de phase 1 enthousiasmant. Comparé au placebo, l’aducanumab a baissé significativement le taux de plaques de bêta-amyloïde. Les participants qui ont reçu la plus forte dose ont même connu une plus faible perte de leurs facultés cognitives que le groupe témoin.

« Comme les résultats de l’étude ont été particulièrement intéressants en ce qui concerne l’efficacité et les effets secondaires, le fabricant, Biogen, a décidé de passer im­médiatement à la phase 3 », explique le Dr Louis Verret, directeur de la Clinique interdisciplinaire de mémoire du CHU de Québec.

Les deux études de phases 3

La société pharmaceutique a rapidement entrepris deux essais cliniques, conformément aux exigences des organismes régulateurs comme la Food and Drug Administration (FDA) et Santé Canada. Les études, baptisées EMERGE et ENGAGE, devaient recruter chacune jusqu’à 1640 participants répartis de façon aléatoire en trois groupes recevant respectivement :

h une forte dose d’aducanumab (10 mg/kg) ;

h une faible dose (3 mg/kg ou 6 mg/kg) ;

h un placebo.

Le médicament, dont la quantité était haussée au fil des traitements jusqu’à la dose ciblée, était administré par intraveineuse toutes les quatre semaines pendant dix-huit mois. Une période qui a ensuite été prolongée.

Les patients recrutés, dont l’âge variait de 50 à 85 ans, devaient présenter une légère déficience cognitive ou une maladie d’Alzheimer débutante correspondant au stade 2 ou, dans quelques cas, au stade 3. Un test devait également confirmer la présence d’amyloïde dans le cerveau.

« Cliniquement, c’était en général des patients atteints de légers troubles de mémoire sans grandes conséquences. On acceptait aussi les gens qui présentaient un petit déficit fonctionnel et étaient donc au début du stade de démence. Mais ceux qui s’approchaient du stade modéré de la maladie étaient exclus », explique le Dr Verret, qui a été le chercheur responsable de l’étude ENGAGE au CHU de Québec. Son groupe a recruté une dizaine de participants.

Les sujets étudiés constituaient ainsi une catégorie particulière de malades. « On ne peut pas parler dans leur cas de démence, parce que celle-ci implique une réduction du fonctionnement quotidien du patient, précise le spécialiste. Avant d’arriver à ce stade, les gens viennent nous voir en nous disant : “Je perds la mémoire, je ne suis pas comme avant. Les autres commencent à me le faire remarquer.” Cependant, ils sont encore capables de fonctionner. Ils conduisent leur auto, pratiquent des loisirs, payent leurs factures, ne font pas vraiment d’erreurs. » C’est en fait la phase préalzheimer. Le patient va toujours bien, mais les résultats de ses tests de mémoire sont anormaux, et son cerveau contient déjà une accumulation de bêta-amyloïde.

Coups de théâtre

Biogen amorce donc les études EMERGE et ENGAGE. Les recherches se poursuivent jusqu’à un premier coup de théâtre. « L’analyse de futilité, ou analyse intermédiaire, a été faite à la fin de 2018. Les chercheurs ont étudié les données des 1718 sujets recrutés jusqu’en décembre 2018 dans les deux essais. En mars 2019, ils ont conclu qu’il ne valait pas la peine de continuer. Le couperet est tombé : la compagnie nous a annoncé qu’on arrêtait », se souvient le Dr Verret.

Cependant, un revirement inattendu se produit. Entre décembre 2018 et mars 2019, le recrutement des patients s’était poursuivi. En trois mois, 348 participants de plus se sont ajoutés. « Le fabricant a réanalysé les données en incluant les nouveaux sujets. Or, surprise, avec ces 348 personnes additionnelles, qui donnent un total de 2066 su­jets, les résultats étaient beaucoup plus intéressants que ce que l’analyse de futilité avait indiqué. »

Que révèlent alors les essais cliniques ? L’étude 1, EMERGE, réussit à montrer que la forte dose d’aducanumab réduit le déclin cognitif. La différence d’évolution entre le groupe traité et le groupe témoin est statistiquement significative dans différents tests : l’évaluation clinique globale de la démence (CDR-SB), le mini-examen de l’état mental (MMSE), la sous-échelle Section cognitive de l’Échelle d’évaluation de la maladie d’Alzheimer (ADAS-Cog 13), etc. Toutefois, dans la seconde étude, ENGAGE, les résultats ne sont pas significatifs.

Sur le plan biologique, les deux essais montrent que l’anticorps réduit les plaques de bêta-amyloïde dans le cerveau. Tant la faible dose que la forte se révèlent efficaces. Et l’effet ne semble pas s’estomper avec le temps. « Au cours de la prolongation des études 1 et 2, une diminution continue du taux de plaques de bêta-amyloïde dans le cerveau a été observée à la semaine 132 chez les patients qui appartenaient initialement au groupe prenant l’Aduhelm », indique le document officiel de Biogen.

Mais pourquoi les résultats concernant la mémoire sont-ils significatifs dans un essai clinique et pas dans l’autre ? « Le fabricant explique que la seconde étude a commencé un peu plus tard que la première. Elle comportait donc moins de patients qui avaient reçu la forte dose de médicaments et l’avaient prise pendant un nombre suffisant de semaines. Normalement, cet essai clinique se serait probablement terminé en 2021-22. Mais Biogen a fait son analyse en 2019. Bien des patients venaient alors d’être recrutés. Quand une maladie évolue lentement, il faut beaucoup de temps pour voir la différence entre le groupe témoin et le groupe traité », indique le Dr Verret, également professeur de clinique à l’Université Laval.

Bien des experts sont donc perplexes devant l’homologation de la FDA. « Le processus n’a pas été conforme de A à Z. Les études ont été arrêtées précocement, et les résultats ne sont pas totalement positifs », résume le neurologue.

Des résultats visibles ?

De manière générale, l’aducanumab réduit les plaques de bêta-amyloïde et semble possiblement freiner la progression des troubles neurocognitifs. Mais ces effets sont-ils visibles sur le plan clinique ? « Il n’est pas toujours facile de dire si un meilleur résultat à un test de mémoire change quelque chose dans la vie d’une personne, mentionne le Dr Verret. En ce qui concerne les sujets de l’étude, il est difficile de savoir simplement en les regardant ceux qui ont eu le traitement et ceux qui ont reçu le placebo. »

Pour l’instant, quatre des sujets recrutés au CHU de Québec continuent à recevoir des traitements dans le cadre de la phase de prolongation. Les autres participants ont dû abandonner pour diverses raisons, parfois liées au médicament.

Les effets de l’anticorps devraient toutefois devenir visibles à long terme. « Après un an, la différence entre le patient qui a pris le traitement et celui qui a eu le placebo n’est peut-être pas si grande, affirme le chercheur. Mais au bout de cinq ans, si on ralentit vraiment la maladie, le sujet traité conduira peut-être encore son auto. En théorie, l’effet va s’accroître avec le temps. Les gens vont évoluer moins vite, perdre moins rapidement la mémoire, leurs fonctions cognitives et la capacité de faire des activités. Ils seront plus longtemps en mesure, par exemple, de gérer leurs finances et pourront avoir des activités plus complexes. J’ignore cependant après combien de temps la différence sera apparente aux yeux des cliniciens. »

Effets indésirables

L’aducanumab n’est par ailleurs pas sans effets indésirables. Des anticorps qui pénètrent dans le cerveau et y déclenchent une réponse immunitaire pour éliminer une substance peuvent avoir des répercussions. Les principales consistent en une augmentation des « anomalies à l’imagerie liées à l’amyloïde », appelées en anglais ARIA (Amyloid Related Imaging Abnormalities). « Il y en a deux types, précise le Dr Verret. Les premiers sont les ARIA œdémateux ou inflammatoires. De petites zones d’œdème peuvent apparaître, parce que le système immunitaire, qui répond à la présence des anticorps, peut s’emballer et créer une légère réaction. L’autre type d’anomalies est de type hémorragique. De petits saignements peuvent se produire lorsque le système immunitaire retire la protéine amyloïde et la dirige vers les vaisseaux sanguins du cerveau. Une fragilisation des parois vasculaires peut survenir à ce moment-là. »

La découverte de ces effets indésirables a inquiété au début le fabricant et les chercheurs. La première réaction est habituellement de cesser tout traitement chez les patients touchés. « Biogen a cependant réussi à prouver que les ARIA n’étaient pas si graves. Ces anomalies sont à surveiller, mais les effets sérieux ont été rares. La plupart des participants qui avaient ce genre de trouble inflammatoire ou hémorragique présentaient peu ou pas de symptômes », explique le neurologue.

Pour un contrôle adéquat, le fabricant recommande des examens de résonance magnétique avant le début du traitement, puis pendant. Les huit premières doses sont les plus critiques. Le médecin traitant doit s’assurer que le patient n’a pas de symptômes correspondant à l’apparition de ces petits œdèmes ou de ces microhémorragies. Quand ces effets indésirables se produisent, la dose peut simplement être réduite, le temps qu’ils se résorbent. « Beaucoup de patients ont ensuite réussi à avoir leur dose complète », dit le neurologue.

Et dans les cas sérieux ? « Si, à l’imagerie, un grave ARIA hémorragique est observé, le traitement peut être continué avec prudence, mais seulement après une évaluation clinique et un suivi par résonance magnétique qui montrent une stabilisation radiographique (c’est-à-dire pas d’augmentation de la taille ou du nombre des ARIA) », mentionne Biogen dans son document officiel.

Un processus d’acceptation accéléré

L’homologation de l’aducanumab peut sembler une entorse aux règles habituelles. « Normalement, les organismes régulateurs demandent deux études aux résultats concluants pour accepter un médicament. Ce n’est pas le cas ici. Les deux essais n’ont pas été terminés et le second n’a pas répondu aux critères cliniques exigés. La FDA a toutefois un processus d’acceptation accéléré pour les affections graves pour lesquelles il n’y a pas de traitement. Et la maladie d’Alzheimer est considérée comme telle. À ce moment-là, un médicament peut être accepté même s’il n’a pas rempli toutes les exigences », explique le Dr Verret.

Le neurologue aurait néanmoins souhaité que l’organisme américain demande une troisième étude avant l’homologation. À la place, la FDA, qui a accepté le médicament pour son action sur les plaques de bêta-amyloïde, a demandé un essai clinique ultérieur pour confirmer les effets sur la mémoire. « Il faut que l’étude soit terminée d’ici 2030. Cela laisse donc neuf ans pour l’effectuer. Si elle se révèle négative, la FDA retirera son autorisation », indique le spécialiste. Mais dans l’immédiat, les patients américains ont accès au médicament.

Une question se pose maintenant. Quel type d’étude sera mené ? Un essai clinique à répartition aléatoire ou une étude de phase 4 ? « La FDA voudrait une étude contrôlée à répartition aléatoire. Mais comment est-ce possible si les gens ont accès au traitement en pharmacie ? Personne ne voudra participer à une recherche dans laquelle il y a un placebo. À mes yeux, d’importantes interrogations vont rester en suspens », affirme le chercheur. //

Pour plus d’informations, voir la déclaration de six organismes scientifiques canadiens s’intéressant à la maladie d’Alzheimer qui se sont prononcés sur la demande d’homologation au Canada pour l’aducanumab :
Déclaration consensuelle concernant la demande d'approbation de l'aducanumab par Biogen à Santé Canada