Combien de patients retourneront au travail ?
Tout ne se joue pas dans les deux premières semaines après un traumatisme craniocérébral modéré ou grave. Dans l’année qui va suivre, le patient fera de grands progrès. Beaucoup s’en sortiront étonnamment bien. Même parmi ceux qui ont subi un grave trauma, certains reprendront le travail, montre une nouvelle étude publiée dans le JAMA Neurology1.
Des chercheurs américains, le Dr Michael McCrea et ses collaborateurs, ont effectué une étude prospective sur une cohorte de 484 patients recrutés dans 18 centres de traumatologie aux États-Unis. Certains des sujets avaient été victimes d’une chute ou d’une agression, d’autres, d’un accident de voiture ou de moto ou été renversés par un véhicule alors qu’ils circulaient à pied ou à bicyclette. Parmi ces participants, 362 souffraient d’un traumatisme craniocérébral grave et 122, d’un trauma modéré. Les sujets, pour la plupart des hommes, avaient en moyenne 36 ans.
Les chercheurs ont évalué les patients à partir de la deuxième semaine d’hospitalisation et les ont suivis pendant un an. Ils les ont classés comme ayant « une issue favorable » (score à la version étendue de l’échelle de devenir de Glasgow : de 4 à 8) ou défavorable (score de 1 à 3). Dans le premier groupe, les participants parvenaient à vivre chez eux de manière autonome, mais pouvaient avoir besoin d’assistance pour les activités extérieures. Dans le deuxième groupe, les sujets, eux, dépendaient d’une aide quotidienne à cause de leur handicap physique ou cognitif.
La frontière entre les deux catégories repose sur des raisons pratiques. « Les participants capables de fonctionner chez eux sans supervision plus de huit heures par jour ont une autonomie fonctionnelle considérable, et les proches qui en prennent soin peuvent continuer de travailler à temps plein à l’extérieur », expliquent le Dr McCrea et son équipe.
Un an plus tard, où en étaient tous ces patients qui avaient été victimes d'un trauma crânien ? Beaucoup étaient décédés : 31 % parmi ceux qui avaient subi un grave traumatisme et 13 % chez ceux dont la lésion était modérée (tableau). Les survivants, eux, ont suivi un long parcours.
Ainsi, deux semaines après le traumatisme, les données étaient plutôt sombres. Seulement 12,4 % des patients ayant eu un trauma grave avaient « une issue favorable » de même que 41 % de ceux qui en avaient subi un modéré (tableau). Sur l’échelle d’évaluation du handicap (EEH), 93,5 % des sujets avec un traumatisme grave et 78,6 % de ceux ayant eu une blessure cérébrale modérée présentaient une invalidité moyenne ou grave.
Après un an, le tableau s’éclaircit. Les patients ont fait beaucoup de progrès : 52,4 % de ceux ayant souffert d'un traumatisme grave et 75 % de ceux dont le trauma était modéré étaient maintenant classés dans le groupe à l'issue favorable. Plusieurs n’ont même gardé aucun handicap (score EEH de 0) : c’est le cas du cinquième de ceux qui avaient eu une grave lésion crânienne et du tiers des victimes d’un trauma modéré.
« Évidemment, quand on parle de patients capables de rester seuls chez eux huit heures par jour, on ne fait pas référence à des personnes complètement autonomes menant une vie normale. Ils ne sont pas nécessairement retournés au travail et ne peuvent pas forcément s'occuper de leur famille, payer leurs comptes, etc. Mais ce sont des gens qui peuvent quand même avoir une qualité de vie. Ce n’est pas une existence normale, mais elle peut valoir la peine d’être vécue », explique la Dre Judith Marcoux, neurochirurgienne et directrice médicale du Service de neurotraumatologie de l’Hôpital général de Montréal.
Il y a plusieurs années, l’équipe du Programme de traumatisme craniocérébral du Centre universitaire de santé McGill a fait une étude sur la qualité de vie des survivants d’un trauma craniocérébral. « Les membres de l’équipe ont dit aux patients : “On vous a sauvé la vie, on a tout fait, on n'a jamais abandonné. Maintenant, après deux ans, qu'est-ce que vous en pensez ? Est-ce que vous nous diriez d’agir autrement ?” La majorité des patients étaient contents d'être encore en vie. Beaucoup de familles en étaient également heureuses, même si la situation était parfois lourde pour elles. Cependant, un certain nombre de personnes ont quand même affirmé qu’elles auraient préféré ne pas survivre. Mais c’est une minorité », affirme la Dre Marcoux, aussi professeure à l’Université McGill.
Les gains que les sujets ont faits au cours de l’année qui a suivi leur trauma craniocérébral sont surtout survenus entre la deuxième semaine et le troisième mois, indique l’étude américaine. À l’Hôpital général de Montréal, la Dre Marcoux et ses collègues, qui recueillent les données de leurs patients, font le même constat. « Entre trois et six mois, l’amélioration est moins grande, précise la neurochirurgienne. Ensuite, de six à douze mois, il s’agit davantage d’adaptation. Le cerveau peut continuer à guérir, mais il apprend surtout à compenser. C'est là où la réadaptation va beaucoup jouer. Elle permettra aux patients d’améliorer encore leur score fonctionnel. »
Au bout d’un an, parmi les sujets ayant eu un trauma modéré, 69 % vivaient chez eux de manière autonome. La plupart pouvaient faire des achats sans aide (65 %) ou se déplacer seuls (64 %). Presque la moitié était même retournée au travail sans éprouver de difficulté. Pratiquement un sur deux parvenait à avoir des activités sociales et des loisirs sans limitations et ne présentait pas de troubles psychologiques ou personnels.
Les victimes de traumatismes graves, par contre, connaissaient plus de difficultés. Douze mois après leur accident, la moitié de ces sujets vivaient néanmoins chez eux de façon indépendante, pouvaient faire leurs achats et se déplacer seuls. Toutefois, seulement le tiers (34 %) avaient repris toutes leurs activités professionnelles. Dix pour cent travaillaient avec des capacités réduites et 38 % étaient incapables de travailler ou étaient limités sur le plan de l’emploi.
« Les séquelles que laisse un traumatisme craniocérébral peuvent être de trois types : physique, cognitif et psychologique », explique la Dre Jehane Dagher, physiatre et chef du Programme de trauma craniocérébral de l’Institut de réadaptation de Montréal.
Sur le plan physique, la récupération ne pose habituellement pas de problèmes. Une fois remis, les patients semblent tout à fait normaux. Ils bougent et parlent généralement sans difficulté.
Le handicap est en fait invisible. Il touche les facultés cognitives. « La plupart des traumas craniocérébraux surviennent au lobe frontal. Une lésion à cet endroit change tout le comportement et la sphère de cognition. Les patients atteints sont moins attentifs, plus impulsifs, sautent plus rapidement aux conclusions. Beaucoup ne peuvent plus retourner au travail. Un grand nombre parviennent à vivre dans leur maison, à être autonomes, à s'occuper d’eux-mêmes, mais si on leur demande de faire une activité, ils ont besoin d'une structure. Il faut que quelqu'un leur montre comment s'organiser pour effectuer une activité simple comme préparer un repas », mentionne la Dre Dagher, qui pratique également au Centre de traumatologie de l'Hôpital général de Montréal.
Et qu’en est-il sur le plan psychologique ? Selon l’étude américaine, de 30 % à 40 % des participants présentaient des problèmes psychologiques ou interpersonnels occasionnels, fréquents ou constants et avaient des difficultés de fonctionnement en société ou pendant leurs loisirs. « Les patients peuvent devenir plus irritables, plus colériques, plus agressifs. Les traits de personnalité peuvent changer », indique pour sa part la Dre Marcoux.
Souvent, la première année, les patients ont un bon moral. « C'est un peu une lune de miel. Le patient récupère. Il voit son état s’améliorer. L'équipe interdisciplinaire l’entoure et l’aide. Il a bon espoir de redevenir la personne qu’il était », affirme la Dre Dagher, également professeure à l’Université de Montréal.
Puis la dure réalité frappe. Surtout lorsque le traumatisme crânien a été grave. « Le patient est chez lui et ne travaille souvent pas. Il se sent démuni. Comme sa mémoire n'est plus aussi bonne, il se répète, fait les mêmes blagues et devient moins intéressant pour ses amis. Son réseau social s'effrite. Sa situation financière se dégrade. Il peut avoir perdu son permis de conduire. Certains commencent à souffrir de dépression ou d'anxiété », explique la spécialiste. Le risque de consommation abusive d’alcool ou de drogues se profile alors. « Dans notre clientèle de gens qui ont eu un trauma craniocérébral, 35 % recourent à ces substances. Il est ensuite difficile de les sortir de cette dépendance. »
Un autre traumatisme cérébral peut également survenir. « Comme l’état cognitif de ces patients est moins bon, le risque d’accident, de chute ou de trauma devient plus important. Ce sont des aspects dont doit tenir compte le médecin de famille qui va les suivre au cours des années à venir », indique la Dre Dagher.
D’autres facteurs sont également à surveiller d’un point de vue médical. Il faut se méfier de toute détérioration ou apparition d’un nouveau symptôme, précise la Dre Marcoux. « Sur le plan neurochirurgical, l’état du patient devrait s'améliorer. S’il se plaint d'un symptôme récent, que ce soit un trouble visuel, un problème de mémoire, des maux de tête, il ne faut pas le mettre sur le compte du trauma. On doit en chercher la cause. »
Au Québec, quel est le profil des victimes de traumatismes crâniens ? Il est très différent de celui des sujets du Dr McCrea, selon les données du Programme de traumatisme craniocérébral de l’Hôpital général de Montréal.
Une équipe de chercheurs, dont faisaient partie les Dres Dagher et Marcoux, ont analysé les cas des 5642 patients qui ont été admis dans l’établissement pour un traumatisme cérébral de 2000 à 20112. La proportion de patients de 70 ans et plus n’a cessé d’augmenter pendant cette décennie. « Au Québec, actuellement, plus de 50 % des victimes de traumas craniocérébraux ont 70 ans et plus et ont fait une chute, indique la Dre Dagher. Ce ne sont donc pas des jeunes accidentés de la route, comme environ la moitié des participants de l’étude américaine. Cette différence change tout le pronostic. »
Parce que plus l’âge augmente, plus la récupération est difficile, montre une seconde étude de l'équipe montréalaise de 2000 à 20113. Les chercheurs ont comparé la progression des patients de quatre groupes d’âge ayant subi un traumatisme au cerveau (de 65 à 75 ans, de 76 à 85 ans, de 86 à 95 ans et 96 ans ou plus). « On a remarqué qu'il y a une différence dans l’évolution des personnes de plus de 75 ans et des plus jeunes. Les patients de 75 ans ne récupèrent pas aussi bien. Un coup à la tête occasionne plus de problèmes de mémoire, d’attention, de réflexes et même d’équilibre et d’autonomie », a constaté la Dre Dagher. Le nombre de patients capables de retourner chez eux après un trauma diminuait ainsi avec l’âge, et la proportion de ceux qui avaient besoin d’aide à domicile ou d’être replacés dans des ressources avec services, et même en CHSLD, augmentait après 75 ans.
Par ailleurs, la plupart des traumatismes craniocérébraux qui surviennent sont légers ou modérés, contrairement aux cas de l'étude américaine. « Seulement de 10 % à 15 % des patients présentent un trauma crânien cérébral grave. Le pronostic des victimes est donc en général bon. Quatre-vingt-quinze pour cent des personnes qui ont subi un trauma craniocérébral léger retournent au travail », indique la physiatre. Le parcours des patients dont le traumatisme est léger complexe* ou modéré† est en outre bien établi : généralement une semaine dans un hôpital de traumatologie, puis en moyenne quatre semaines dans un hôpital de réadaptation spécialisé, suivies d’une réadaptation en externe pouvant durer plusieurs mois.
Au fil du temps, bien des patients parviennent à retrouver leur vie d’avant ou à s’en reconstruire une nouvelle. « Avec les années, la récupération après un trauma craniocérébral progresse. Les gens recommencent à morDre dans la vie, veulent être le plus productifs possible que ce soit sur le plan familial, social ou professionnel. Il ne faut pas abandonner », dit la Dre Dagher. D’ailleurs, la médecine ne cesse de faire des progrès. « Depuis quelques décennies, on a grandement diminué le taux de mortalité, et le pronostic ne fait que s’améliorer. » //
* Échelle de coma de Glasgow de 13 à 15 et une tomodensitométrie positive
† Échelle de coma de Glasgow de 9 à 12 et une tomodensitométrie positive
Même les traumas craniocérébraux les plus graves peuvent connaître une issue relativement bonne. Dans l’étude américaine dirigée par le Dr Michael McCrea, parmi les sujets plongés dans un état neurovégétatif deux semaines après leur accident, tous ceux qui ont survécu étaient à nouveau conscients un an plus tard. Parmi eux, 25 % s’étaient relativement bien remis* et parvenaient à s’orienter dans les sphères temporelle, spatiale et personnelle.
« Durant les deux premières semaines qui suivent la blessure, quand les cliniciens discutent du pronostic des patients qui ont un traumatisme crânien cérébral modéré ou grave, ils doivent prenDre garde de ne pas faire d’affirmations prématurées et définitives qui sembleraient indiquer une mauvaise issue et suggérer la fin des traitements de soutien », estiment le Dr McCrea et ses collaborateurs dans leur article.
Des études, dont une canadienne publiée en 2011, ont cependant révélé que l’arrêt des traitements vitaux à la suite d’un mauvais pronostic était à l’origine de la plupart des décès des patients hospitalisés pour de graves traumas craniocérébraux1. Mais bien des centres tentent d’éviter ce dénouement.
« Quand les patients sont jeunes, ils ont une grande capacité de récupération et d'adaptation, explique la Dre Judith Marcoux, neurochirurgienne au Centre universitaire de Santé McGill. Combien de fois on dit aux familles : “On sait que la situation a l'air très grave, mais ce n'est pas le moment d’arrêter les traitements. On doit donner plus de temps au processus de guérison.” On n'abandonne pas prématurément à moins que l’état du patient soit vraiment catastrophique. »
Pour les proches, la situation est éprouvante. « Durant la phase aiguë, le patient passe d'une mauvaise journée à une meilleure, puis à des complications. On ne sait pas comment il va évoluer. Tant qu’on n’a pas un portrait exact de son état neurologique, je conseille à la famille la poursuite les soins », indique la spécialiste.
Cependant, mettre fin aux traitements une fois passée la première phase est ardu. « Au cours des deux premières semaines, quand on cesse les soins et qu’on débranche le patient, il meurt. Ensuite, c'est plus difficile, mais ça se fait. On change les traitements pour des soins palliatifs. Et il peut parfois s’écouler deux ou trois semaines avant que le patient ne décède. C'est difficile pour les familles. Mais je leur dis : “Vous avez maintenant la certitude qu'on a tout fait, tout essayé. On n’aura pas de regret ni de doute”. »
* Score sur l’échelle étendue de résultats de Glasgow : entre 4 et 8.
1. Turgeon A, Lauzier F, Simard J et coll. Canadian Critical Care Trials Group. Mortality associated with withdrawal of life-sustaining therapy for patients with severe traumatic brain injury: a Canadian multicentre cohort study. CMAJ 2011 ; 183 (14) : 1581-8. DOI : 10.1503/cmaj.101786.
1. McCrea M, Giacino J, Barber J et coll. Functional outcomes over the first year after moderate to severe traumatic brain injury in the prospective, longitudinal track-TBI study. JAMA Neurol 2021 ; 78 (8) : 982-92. DOI : 10.1001/jamaneurol.2021.2043.
2. De Guise E , LeBlanc J, Dagher J et coll. Trends in hospitalization associated with TBI in an urban level 1 trauma centre. Can J Neurol Sci 2014 ; 41 (4) : 466-75. DOI : https://doi.org/10.1017/s0317167100018503.
3. De Guise E , LeBlanc J, Dagher J et coll. Traumatic brain injury in the elderly: A level 1 trauma centre study. Brain Inj 2015 ; 29 (5) : 558-64. DOI : https://doi.org/10.3109/02699052.2014.976593.