quels sont les liens ?
Il semble de plus en plus clair que, chez certains patients, l’apnée du sommeil est liée à un déclin cognitif. Faut-il alors traiter ceux dont le problème est léger s’ils présentent des facteurs de risque de démence ?
Quels effets provoque l’apnée obstructive du sommeil sur la matière blanche du cerveau et sur les facultés cognitives ? D’importants moyens ont été déployés pour répondre à ces questions dans une étude publiée dans le JAMA Network Open : polysomnographie, imagerie mentale et évaluation neuropsychologique complète sur 1110 sujets suivis pendant quatre ans1.
Malheureusement, l’apnée des sujets était tellement légère que peu de résultats sont significatifs, estime la Dre Nadia Gosselin, neuropsychologue et directrice scientifique du Centre d’études avancées en médecine du sommeil à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal.
Pourquoi alors un grand journal a-t-il publié ces données ? « Cela montre l’intérêt de la communauté scientifique pour les effets de l’apnée du sommeil sur les facultés cognitives et la structure du cerveau. C’est aussi un reflet du questionnement des médecins : “Quand un patient a de l’apnée légère ou modérée, doit-on lui prescrire un traitement par pression positive continue (CPAP), surtout s’il a des facteurs de risque de démence comme l’hypertension ou des antécédents familiaux d’alzheimer ?” »
Dans la littérature, les données s’accumulent sur ce sujet. « Tous les modèles tendent à indiquer que l’apnée du sommeil constitue un facteur de risque de démence et devrait donc être traitée. Mais la question qui demeure est : “À partir de quelle gravité d’apnée ?” », explique la Dre Gosselin, qui enseigne au Département de psychologie de l’Université de Montréal.
Actuellement, peu d’études montrent la nécessité de soigner les patients dont l’apnée du sommeil est légère ou modérée (encadré) s’ils ne se plaignent pas de symptômes comme la somnolence, la fatigue, un trouble de l’attention ou la dépression.
Des recherches, toutefois, commencent à semer des doutes. « Certaines ont révélé, avec des mesures très précises en neuro-imagerie, la présence d’œdème dans le cerveau des personnes atteintes d’une apnée légère, indique la neuropsychologue. Ainsi, peut-être que chez les patients qui ont plusieurs facteurs de risque de démence, une apnée légère ou modérée devient un facteur de risque supplémentaire qui doit être traité. »
La Dre Gosselin, également chercheuse, a effectué sur les sujets de la cohorte de Montréal un grand nombre de mesures de l’œdème sur la matière grise et blanche. « L’apnée, même légère, augmente le risque d’œdème dans des régions du cerveau très liées aux facultés cognitives, comme les hippocampes, les sièges de la mémoire. Il ne s’agit toutefois pas d’une perte de matière grise ou de matière blanche. » Cet œdème, que l’on pense transitoire, serait créé par le manque d’oxygène, mais aussi par plusieurs réactions dues à l’apnée, comme une neuro-inflammation et un stress oxydatif.
Plusieurs études ont, par ailleurs, carrément associé l’apnée du sommeil à des problèmes cognitifs. Les domaines les plus atteints étaient l’attention, la mémoire épisodique, la mémoire de travail et les fonctions exécutives. On sait qu’en plus de provoquer une hypoxie intermittente, l’apnée fragmente chroniquement le sommeil et l’empêche ainsi de jouer son rôle dans la consolidation de la mémoire, la plasticité du cerveau et l’élimination des déchets métaboliques cérébraux, comme les protéines tau et bêta-amyloïdes.
« Environ la moitié des études indiquent une détérioration des facultés cognitives au cours d’une période de quatre ans chez des patients apnéiques. L’autre moitié n’indique aucun changement, mentionne la Dre Gosselin. La différence entre les données viendrait des caractéristiques des cohortes. Dans certaines, les sujets présentaient une apnée très légère. Néanmoins, graduellement, les études tendent à montrer que l’apnée du sommeil est liée à un risque de démence. »
Comment savoir si le début de démence d’un patient est causé par son apnée du sommeil ? Un indice important : l’âge. « On pense que lorsque l’on voit un déclin cognitif chez des personnes au début de la soixantaine, le problème peut effectivement être dû à l’apnée. Par contre, chez les gens un peu plus âgés, par exemple, autour de 70 ans, il peut être provoqué par un processus neurodégénératif sans lien avec les problèmes de sommeil. C’est un âge où la démence apparaît chez beaucoup de personnes », explique la neuropsychologue.
Avec le temps, par ailleurs, le risque d’apnée du sommeil augmente. « Cela est dû au vieillissement et à la prise de poids. Chez la femme, la ménopause occasionne un changement de la distribution de la masse adipeuse qui se trouve alors davantage dans le haut du corps et les voies respiratoires. »
De manière générale, l’apnée constitue un problème fréquent et sous-diagnostiqué. « On sait que chez les personnes d’âge moyen, il touche de 30 % à 40 % des hommes et de 14 % à 19 % des femmes. Pourtant, selon une étude nationale, seulement 3 % des Canadiens indiquent avoir reçu un diagnostic formel, affirme la Dre Gosselin. La majorité des cas d’apnée du sommeil sont cependant légers, mais on pense que 36 % sont modérés ou graves. » L’apnée est donc aussi sous-traitée.
En clinique, il faut ainsi questionner le patient et, au besoin, lui prescrire une polygraphie cardiorespiratoire. « On doit entre autres tenir compte des facteurs de risque de déclin cognitif ou de démence », souligne la professeure.
Le traitement éventuel, le CPAP, augmente la saturation en oxygène, accroît le sommeil profond et le sommeil REM et réduit le nombre d’éveils. Mais bien des patients le trouvent pénible. « Au mieux, 50 % des personnes qui commencent un traitement le poursuivent à long terme. »
Le CPAP peut-il aider les personnes dont les facultés cognitives sont déjà atteintes ? Les données sont encore préliminaires. Selon quelques petites études, des participants ont obtenu une amélioration de leurs aptitudes intellectuelles, une diminution du déclin cognitif ou eu une apparition plus tardive des troubles cognitifs légers. Mais certains travaux n’ont aussi révélé aucun effet. //
1. Lee M-H, Lee S, Kim S et coll. Association of obstructive sleep apnea with white matter integrity and cognitive performance over a 4-year period in middle to late adulthood. JAMA Netw Open 2022 ; 5 (7) : e2222999. DOI : 10.1001/jamanetworkopen.2022.22999.