Beaucoup d’urgences extrahospitalières, et même certaines urgences hospitalières, réduisent leurs heures d’ouverture pour ne plus offrir de services jour et nuit, sept jours sur sept. Quelles en sont les conséquences sur la rémunération des médecins ?
Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la FMOQ. |
Plusieurs éléments sont liés au fait pour un milieu d’être une urgence avec permis correspondant du ministère : financement versé à l’établissement, obligations de l’établissement envers les infirmières qui y offrent des services, obligation de faire du triage. Mais cette désignation a aussi un effet direct sur la rémunération offerte aux médecins. Voyons rapidement les éléments touchant l’établissement avant de parler de ceux concernant les médecins.
La loi définit cinq missions en santé (hôpital, CHSLD, CLSC, centre de réadaptation et centre de protection de l’enfance), et le permis de chaque installation indique ses différentes missions. On trouve bien sûr des urgences dans les hôpitaux (comme le précise l’indication « CHSGS – Urgence » dans le « M02 Référentiel des établissements » qu’on peut consulter en ligne). Mais cette même mention est aussi associée à certains CLSC, et même à certains CHSLD.
Les urgences ne sont pas toutes identiques. Le ministère a établi des critères de désignation, comme « urgence de catégorie IA » (offre la moins étendue) et « urgence de catégorie III » (la plus large). La catégorisation est en ordre inverse de celle des urgences pour l’adhésion à l’Entente particulière sur la garde sur place à l’urgence et pour l’attribution de forfaits pour le chef de l’urgence. Dans le cadre de cette entente particulière, les milieux de catégorie I ont le plus gros volume d’activité ; certaines petites urgences ne se trouvent même pas dans la catégorie ayant le plus faible volume d’activité, soit la catégorie III.
Toujours est-il que les urgences de catégorie I, selon la grille du ministère, ont souvent des heures d’ouverture plus restreintes (environ 12 heures) et des ententes de transfert vers un centre hospitalier local pour offrir les soins requis à leur clientèle qui a besoin d’être hospitalisée ou d’avoir des examens plus poussés.
La désignation comme urgence a des effets sur le personnel infirmier (droit aux primes pour le travail à l’urgence) et sur l’établissement (obligation d’effectuer le triage des patients qui se présentent et horaire d’ouverture). La désignation touche aussi les médecins : la nomenclature applicable dans une urgence est celle d’une urgence hospitalière, soit des examens ordinaires et principaux et l’accès à l’acte d’intervention en situation complexe. Aucune rémunération n’est prévue pour le médecin qui exerce avec une IPS dans un tel milieu. Il n’est pas non plus possible d’y inscrire des patients, et les modalités d’accessibilité (inscription de groupe, accès populationnel) ne s’y appliquent pas.
Par ailleurs, la désignation comme urgence n’entraîne pas nécessairement l’admissibilité à l’Entente particulière sur la garde sur place à l’urgence, car cette dernière exige qu’une urgence soit située en centre hospitalier ou dans un CLSC du réseau de garde désignée et offre des services en tout temps. Or, certains CLSC du réseau de garde n’offrent plus de services jour et nuit, sept jours sur sept, tandis que certaines urgences hospitalières et en CHSLD limitent leurs heures d’activités. Certains milieux sont donc des urgences en raison de leur permis, mais ne sont pas admissibles à toutes les modalités de rémunération de ces milieux.
Enfin, comme le dépannage n’est permis que dans les milieux qui offrent des services en tout temps, certaines urgences dont l’offre est limitée pourraient ne pas y avoir accès.
Le ministère semble vouloir expérimenter d’autres offres aux urgences, soit des cliniques d’accès de proximité qui prodiguent des services de douze à seize heures par jour, qui n’accueillent pas d’ambulances et qui n’effectuent pas de triage, le tout dans un environnement d’établissement. Les plus cyniques pourront y voir une tentative de réduire les besoins et les coûts des services infirmiers (réduction des heures, absence de triage, pas de primes pour les urgences). Les plus généreux y verront plutôt un moyen d’offrir des services de proximité en utilisant une infrastructure existante en établissement. Restera à voir si cette expérimentation mènera à un élargissement de l’accès de l’Entente particulière sur la garde sur place à l’urgence dans des milieux qui ne proposent pas de couverture en tout temps.
À quoi ont droit les urgences qui ont des heures restreintes et qui ne répondent donc pas aux critères de désignation de l’Entente particulière sur la garde sur place à l’urgence ? D’une part, à l’accès aux examens ordinaires et principaux et, d’autre part, à l’acte d’intervention en situation complexe. De plus, les primes pour les heures défavorables sont versées de 20 h à 24 h la semaine et de 8 h à 24 h la fin de semaine. Si ces urgences étaient ouvertes la nuit, elles auraient aussi accès aux forfaits de nuit. Cependant en raison de leur horaire, cet accès devient virtuel. Il y a aussi des majorations en horaire défavorable, soit de 20 h à 8 h en semaine et de minuit à minuit les jours fériés et la fin de semaine. Toutefois, des majorations comparables (légères différences dans les pourcentages et les heures de début) s’appliquent en première ligne. Il ne s’agit donc pas d’avantages spécifiques à l’urgence.
Les primes en horaire défavorable sont les mêmes qu’en GMF-AR. En cabinet, elles sont effectives à partir de 18 h ; en établissement, à partir de 20 h. Les exigences pour les heures d’ouverture peuvent être comparables. Toutefois, dans le cas des urgences, il n’y a pas d’exigence de volume de service à des patients non inscrits, car l’inscription n’y est pas possible.
Si on fait abstraction des majorations en horaire défavorable (les milieux qui mettent fin à leur désignation comme urgence ferment généralement en fin de soirée et la nuit) et que l’on compare la tarification des services à l’urgence en établissement à celles d’un service de consultation sans rendez-vous en CLSC qui ne serait pas une urgence, on constate qu’elle est de loin supérieure (tableau I). C’est difficile de chiffrer l’écart, car les groupes d’âge pour la tarification ne sont pas identiques et l’écart varie en fonction des catégories d’âge et du type d’examen ou de visite. Chaque milieu devra donc calculer l’écart en fonction de la réalité de sa clientèle.
Néanmoins, hors urgence, le médecin qui compte moins de 500 patients verra sa rémunération diminuer d’au moins 12 % ou 13 % pour ce qui aurait été à l’urgence un examen principal ou ordinaire chez un patient de moins de 70 ans. Cet écart grimpe avec l’âge des patients pour atteindre 22 % (examen ordinaire) ou 37 % (examen principal). Si le médecin compte au moins 500 patients inscrits, l’écart disparaît pour les patients de moins de 70 ans, mais grimpe avec l’âge pour atteindre 11 % (examen ordinaire) et 28 % (examen principal). Force est de constater que la désignation comme urgence et la nomenclature associée présentent des avantages. L’établissement qui voudrait mettre fin à la désignation comme urgence d’un milieu devrait être sensibilisé aux conséquences.
La désignation comme urgence n’entraîne pas nécessairement l’accès à l’Entente particulière sur la garde sur place à l’urgence ni au mécanisme du dépannage, qui sont notamment tributaires d’une offre de services 24 heures sur 24. |
En cas de fermeture de la mission d’urgence, une autre approche est possible, du moins dans un milieu où les médecins font de l’inscription et du suivi de clientèle et dont la consultation sans rendez-vous constitue un service complémentaire. Un tel groupe pourrait se prévaloir des modalités de l’inscription collective de la nouvelle entente sur l’accessibilité introduite par l’Amendement 195. Outre les primes pour les rendez-vous réservés à cette clientèle, le médecin qui voit ces patients au service de consultation sans rendez-vous peut se prévaloir de la visite de suivi, selon la tarification prévue pour la clientèle non vulnérable ou vulnérable (tableau II). Pour les patients qui auraient eu un examen ordinaire à l’urgence, la rémunération devient plus intéressante, que le médecin compte 500 patients inscrits ou moins. Toutefois, lorsque l’examen requis aurait été à l’urgence un examen principal, la rémunération est seulement plus avantageuse pour les patients de moins de 70 ans. Pour les autres, la tarification de l’urgence demeure au moins 15 % plus avantageuse.
On peut penser que les patients inscrits collectivement auront plus souvent besoin d’un examen principal, et c’est sans doute la raison pour l’accès offert au tarif de la visite de suivi. Mais dans ce cadre bien précis, il ne faut pas oublier les forfaits associés à l’inscription collective des patients qui font sans doute basculer la balance en faveur de ce modèle par rapport à celui de l’urgence ou du simple service de consultation sans rendez-vous. Toutefois, il s’agit d’un autre mode d’organisation qui vise une clientèle différente que celle d’une urgence ouverte à tous.
S’il est question de réduire les heures d’ouverture de votre urgence ou d’en abolir la désignation comme urgence, espérons que ces informations vous permettront de mieux évaluer les options qui s’offrent à votre milieu et les conséquences d’un tel changement de désignation. Nous traiterons prochainement de la facturation pour les patients ayant le statut NSA et pour ceux des installations inhabituelles (SNT). D’ici là, bonne facturation ! //
Même si l’urgence qui réduit ses heures d’ouverture peut perdre certains avantages, la désignation comme urgence et la nomenclature associée présentent des avantages par rapport à l’abolition du statut d’urgence. |