CHSLD, COVID-19 et mortalité
Durant la première vague de COVID-19, de nombreux résidents de CHSLD sont morts au Québec. Leur taux de décès était parmi les plus élevés du monde. Pourquoi ?
Le tableau était sombre notamment dans le centre-sud de Montréal. Dans les dix-sept CHSLD publics, 1197 des 2595 résidents ont contracté la COVID-19 au début de la pandémie. Parmi eux, 456, soit 37 % en sont morts. Mais d’un centre à l’autre, le taux de mortalité allait de 0 % à 52 %. Pourquoi de telles différences ? Quels facteurs jouaient ?
La Dre Xi Sophie Zhang, cochef adjointe du service d’hébergement du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, et ses collaborateurs ont voulu le savoir. Ils ont analysé les données des 1197 résidents infectés pour déterminer les facteurs associés aux décès survenus au cours des trente jours suivant le diagnostic. Leurs résultats, publiés dans le Journal of the American Geriatrics Society, ont mis en lumière deux éléments clés : la pénurie d’infirmières auxiliaires et la taille des CHSLD1.
Les chercheurs se sont aperçus que le taux de mortalité était 2,6 fois plus élevé dans les milieux où 25 % et plus des postes d’infirmières auxiliaires étaient vacants que dans ceux où 15 % des postes n’étaient pas pourvus. « La pénurie de personnel, surtout d’infirmières auxiliaires, qui ont un rôle très important en CHSLD, a été déterminante », estime la médecin de famille. Selon son équipe et elle, le manque d’infirmières auxiliaires a pu retarder la détection de la détérioration de l’état clinique des patients, en plus de réduire les soins de base essentiels que recevaient les résidents.
La taille des établissements a aussi pu jouer un rôle important. « Nous avons divisé les CHSLD en terciles. Le plus petit comptait 83 lits et le plus grand, 276 », explique la Dre Zhang, également chef d’installation et enseignante au CHSLD Bruchési. Dans les centres de taille moyenne, le taux de mortalité était 2,7 fois plus élevé que dans les petits. Ce constat pourrait s’expliquer par une plus grande densité de la population, un facteur susceptible d’augmenter l’exposition au virus et de réduire les soins personnalisés. Qu’en est-il des grands CHSLD ? Comme ils n’étaient pas assez nombreux, les résultats ne sont pas significatifs.
Une autre donnée est particulièrement intéressante : chez les patients gravement atteints de la COVID-19, l’anticoagulothérapie était associée à une diminution du risque de décès de 30 %. Pendant la première vague, seuls les résidents aux symptômes graves recevaient ce traitement. « Il est probable que l’anticoagulation a été bénéfique et a pu sauver des vies », indique la Dre Zhang.
Ces résultats ont permis de répondre à une question que bien des cliniciens se posaient. « Dès le début de la pandémie, les études ont montré que l’anticoagulothérapie était utile chez les personnes hospitalisées, mais il n’y avait pas de données pour les résidents des CHSLD. Dans les hôpitaux, les patients sont plus jeunes et plus en forme que ceux des centres de soins de longue durée. On ne savait donc pas si, pour ces derniers, les anticoagulants étaient bénéfiques. »
L’étude de la chercheuse et de son équipe est cependant observationnelle. Des essais cliniques contrôlés à répartition aléatoire seraient nécessaires. « Cependant, comme les preuves de l’efficacité de l’anticoagulothérapie sont déjà solides, il est sûr que les futures études ne comporteront pas de placebo. On examinera plutôt quelle dose d’anticoagulant serait la meilleure : une dose prophylactique ou thérapeutique ? », mentionne l’omnipraticienne, qui pratique aussi dans un GMF et une clinique traitant la dépendance aux opioïdes.
Par ailleurs, un risque accru de décès causé par la COVID-19 était lié non seulement à certains facteurs associés aux établissements et aux traitements, mais aussi à des facteurs individuels, comme l’âge, le sexe masculin, la perte d’autonomie, l’insuffisance cardiaque et les troubles neurocognitifs (tableau).
C’est la Dre Zhang qui a eu l’idée de cette recherche sur les éléments associés aux morts dans les CHSLD. Les données proviennent de son mémoire de maîtrise en épidémiologie de 2021. Dans ce nouveau projet, où elle a collaboré avec une équipe d’experts, elle a participé à la conception de l’étude, effectué l’analyse initiale, contribué à l’interprétation des données et rédigé la première version du manuscrit.
Un tel travail exige beaucoup de temps. « Simplement extraire les données a été très ardu. Il a fallu réviser les 1197 dossiers papier à la main. J’ai eu la chance d’avoir vingt collègues, des médecins de famille, qui m’ont aidée bénévolement. Je n’aurais jamais pu y parvenir sans eux. On devait s’asseoir et tourner les pages des dossiers, lire et remplir des grilles. »
Effectuer une étude dans le milieu des CHSLD est par ailleurs difficile. « On n’a pas de dossiers médicaux électroniques. On ne dispose également d’aucun agent administratif ou de recherche pour nous aider. Il faut parler aux bonnes personnes et tout mettre en place. En plus, tout ce travail doit être fait sans rémunération », mentionne la médecin de famille.
Pourtant, il devient évident que la recherche dans les CHSLD est vitale. « Avec la COVID-19, les gens se sont rendu compte que le manque de données scientifiques peut avoir des conséquences désastreuses. On n’a pas de chiffres pour nous aider à prendre des décisions, à agir rapidement ou pour savoir ce qui se passe sur le terrain. Il nous faudrait des systèmes de surveillance et de collecte de données à la fois pour la gestion et pour la recherche. »
Les médecins de famille, pour leur part, sont bien placés pour effectuer des études dans ce domaine. « Ce sont eux qui sont au front. Et contrairement aux chercheurs non-médecins, ils peuvent apporter une dimension clinique à une recherche », estime la Dre Zhang.
La COVID-19 a été, dans la carrière de la chercheuse, un facteur déterminant. « J’ai vu qu’il y avait de grosses lacunes sur le plan des données probantes dans les CHSLD. J’ai constaté qu’il y avait des questions auxquelles il fallait répondre pour potentiellement sauver des vies », dit-elle. Même si le pire de la pandémie est passé, la quête de la Dre Zhang continue. « Tous les jours, au travail, je fais des constats, j’ai des d’interrogations, je cherche à résoudre des mystères. En tant que chercheurs, on essaie, comme un clinicien devant un patient, de poser le diagnostic et de résoudre le problème. »
À la lumière de cette étude sur les dix-sept CHSLD, quelles leçons peut-on tirer ? « L’un de ses aspects particulièrement intéressants est de montrer que la pénurie de personnel, surtout d’infirmières auxiliaires, était un facteur très important, explique la Dre Zhang. Actuellement, même si on est dans la phase endémique, la pénurie est pire que jamais. Dans certains de nos CHSLD, il manque jusqu’à la moitié du personnel. Si on veut éviter une autre tragédie, il va falloir investir davantage dans les ressources humaines. »
Et il faudra aussi investir dans les ressources matérielles. « On doit vraiment repenser certains aspects organisationnels, comme le nombre de lits dans les CHSLD. Au Québec, certains centres sont très grands. Le nombre de places varie de 10 à 400. En plus, de nombreux établissements ont encore des chambres à deux. »
Beaucoup de travail reste donc à faire. « J’espère qu’avec la pandémie, on va accorder plus d’attention aux CHSLD. Je pense qu’ils étaient un peu dans l’angle mort auparavant, affirme la médecin de famille. J’ai espoir que le fait de mener des études sur ces milieux va donner de la visibilité aux enjeux qui les concernent et faire des soins de longue durée un champ d’expertise à part entière. » //
1. Zhang XS, Charland K, Quach C et coll. Institutional, therapeutic, and individual factors associated with 30-day mortality after COVID-19 diagnosis in Canadian long-term care facilities. J Am Geriatr Soc 2022 ; 1–11. DOI : 10.1111/jgs.17975 (publié d’abord en ligne).