Nouvelles syndicales et professionnelles

Théories du complot

mieux accompagner les proches des conspirationnistes

Nathalie Vallerand  |  2022-11-02

Nathalie Lafranchise

Comment interagir avec une personne convaincue que la pandémie est une invention des gouvernements pour contrôler la population ? Que faut-il éviter de dire ? Six chercheurs de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et de l’Université de Montréal viennent d’entreprendre une recherche visant à aider l’entourage des adhérents aux théories du complot. Leur but : mettre au point des pratiques d’accompagnement pour préserver la communication avec ces derniers.

La FMOQ est l’un des partenaires de cette étude. Elle désire, pour sa part, offrir des pistes aux médecins de famille pour maintenir le lien de confiance avec leurs patients qui ont des croyances « divergentes », qu’ils soient ou non complotistes. « Il y a toujours eu des personnes qui ont de fausses croyances sur les vaccins et les traitements. Mais la pandémie a exacerbé ce phénomène », constate la Pre Nathalie Lafranchise, du Département de communication sociale et publique de l’UQAM, qui codirige l’étude avec son collègue le Pr Camille Alloing.

Camille Alloing

Pendant le confinement, nombreux sont ceux qui se sont retrouvés isolés à la maison avec beaucoup de temps pour naviguer sur Internet. « Les plateformes de médias sociaux sont devenues les principales sources d’information et de socialisation, rapporte le Pr Alloing. Comme les gens étaient en contact avec plus de personnes qui leur ressemblaient et qui se rassemblaient autour de mêmes points de vue, cela a entraîné une surexposition à la désinformation ainsi qu’un renforcement des opinions et des doutes de chacun. »

Pour cerner les besoins en matière d’accompagnement des proches de conspirationnistes, l’équipe de recherche va recueillir des témoignages d’anciens adhérents et de proches. Mais elle veut aussi entendre des intervenants, dont des médecins. « Nous désirons qu’ils nous parlent des cas de désinformation auxquels ils font face, des arguments invoqués par ces patients, des informations vraies ou fausses que ces derniers leur mentionnent », indique le Pr Alloing.

Qu’est-ce que cela implique pour les mé­de­cins participants ? Ils devront se prêter à un entretien semi-dirigé de 45 à 60 minutes avec un chercheur. « Nous voulons comprendre comment se déroulent les interactions avec les patients qui s’opposent à la vaccination ou à un soin ou avec leurs proches, explique la Pre Lafranchise. C’est important de savoir quelles stratégies de communication favorisent le dialogue et quelles sont celles qui lui nuisent, car la polarisation des idées crée des frictions entre les personnes et mène à l’effritement des relations. »

« Docteur, pas question de me faire injecter une puce »

Échanger avec un patient qui adhère à des théories du complot ou qui fait confiance à des charlatans pour se faire soigner, ce n’est pas évident. Il importe cependant de garder la communication ouverte. « L’un des pièges, c’est d’intervenir uniquement de manière rationnelle, souligne la Pre Lafranchise. La personne va alors avoir l’impression qu’on veut la convaincre de notre vérité et elle va combattre en essayant elle aussi de nous convaincre. Le dialogue ne sera plus possible. »

Mieux vaut alors adopter une attitude plus humble en amenant plutôt le patient à exercer un esprit critique envers ses propres croyances. Cela peut se faire en lui posant des questions sur ses sources d’information, le réalisme d’un traitement, la vraisemblance d’un prétendu complot, etc. Ou encore en soulevant des incohérences dans ses propos et en lui proposant d’autres sources d’information, mais sans dénigrer les siennes. « L’objectif est de semer le doute chez le patient sans toutefois l’affronter », ajoute la chercheuse.

Enfin, il ne faut pas oublier qu’il y a souvent des besoins derrière ces croyances. Par exemple, la personne est peut-être à la recherche de réponses ou de solutions pour se rassurer et avoir le sentiment de maîtriser la situation. C’est pourquoi il faut aussi s’intéresser à ses émotions », conclut Nathalie Lafranchise qui précise que son étude permettra notamment d’élaborer un cadre de communication adapté aux médecins. //

Pour participer à l’étude : lafranchise.nathalie@uqam.ca