attention aux excès
Quelque part dans la ville, un inspecteur portant une veste distinctive aux couleurs de la RAMQ entre dans un GMF et se dirige vers la réception. Personne n’a été prévenu de sa visite.
Me Pierre Belzile, avocat, est directeur du Service juridique de la FMOQ. |
L’inspecteur se présente à la réceptionniste en lui tendant sa carte d’identité attestant de son titre à la Régie. Il demande à voir une personne en autorité dans la clinique. Alerté par sa réceptionniste, le médecin responsable du GMF se pointe à la réception. L’inspecteur lui explique le but de sa présence.
Il vient vérifier si une grille indiquant des frais pouvant être facturés aux patients pour les services non assurés, désassurés et pour certains frais connexes est affichée dans la salle d’attente. Il demande, en outre, au médecin responsable de lui remettre la liste de tous les médecins qui exercent dans la clinique. L’inspecteur fait ensuite le tour de la réception et de la salle d’attente.
Il constate qu’une affiche des tarifs est bel et bien collée sur un des murs. Mais est-elle à la vue du public dans les limites de la salle d’attente ? Se trouve-t-elle plutôt dans les limites de ce qui semble être le début de la réception ? La Loi sur l’assurance maladie prévoit que la grille des tarifs doit être affichée à la vue du public dans la salle d’attente.
L’inspecteur évalue la situation et en vient à la conclusion que la grille des tarifs, même si elle semble être à la vue du public là où elle est, n’a pas été placée au bon endroit, c’est-à-dire qu’elle ne se trouve pas dans la salle d’attente. Selon son appréciation personnelle des lieux, il considère que l’affiche a été collée sur un des murs de la réception. L’inspecteur prend des photos, des notes et part.
Vous croyez que la situation décrite ici n’est pas réaliste ? Détrompez-vous. Elle s’est déjà produite dans diverses cliniques au Québec. Et elle n’est pas sans conséquence.
En effet, quelque temps après la visite d’inspection, dans plusieurs cas, chacun des médecins de la clinique médicale reçoit un constat d’infraction. L’amende minimale prévue par la Loi sur l’assurance maladie en cas d’infraction est de 2500 $, somme à laquelle s’ajoutent des frais et la contribution administrative. L’amende totalise ainsi plus de 3500 $ par médecin. Dans une clinique où exercent huit médecins, la facture s’élève donc à près de 30 000 $.
Vous vous demandez si l’amende minimale de 2500 $ par médecin du fait que la grille des tarifs, pourtant bien visible, a été installée sur un mur plutôt que l’autre est exagérée ? Nous laisserons le lecteur en juger. Néanmoins, à titre de simple comparaison, sachez que l’infraction de grande vitesse du Code de la sécurité routière, qui met votre vie et celle d’autrui en danger, vous vaudra une amende de 1280 $ si vous roulez à 180 km/h dans une zone où la limite est fixée à 100.
Comment se fait-il que l’infraction décrite ici au sujet du lieu d’affichage d’une grille tarifaire dans une clinique médicale puisse avoir des conséquences aussi disproportionnées ? D’où viennent les nouveaux pouvoirs de contrôle, d’enquête et d’inspection de la RAMQ depuis quelques années à ce sujet ?
Certains parmi vous se rappelleront que c’est sous la gouverne du ministre Barrette en 2016 (projet de loi nº 92) que le gouvernement du Québec décidait de modifier la Loi sur l’assurance maladie afin de la rendre plus sévère à l’endroit des médecins.
Nouvelles restrictions, nouvelles obligations, nouveaux pouvoirs de contrôle, nouvelles sanctions et nouvelles amendes stratosphériques au menu législatif. Bien que ce projet de loi ait été dénoncé par la FMOQ parce qu’il ne visait, selon elle, qu’à frapper l’imaginaire de la population et des médias, il a tout de même été adopté par l’Assemblée nationale.
C’est dans la foulée de ces changements législatifs que la RAMQ a entrepris par la suite de déployer ses nouveaux pouvoirs et de multiplier les contrôles et les inspections, notamment, les inspections relatives à l’affichage des tarifs dans les cliniques médicales.
Selon un principe que tous connaissent, il ne faut jamais faire un usage excessif, injuste ou illégal d’un droit ou d’un pouvoir. Bien qu’ayant pour rôle d’assurer le respect de la loi dans tous ses aspects, la RAMQ doit cependant bien mesurer la justesse de certaines de ses actions. Elle doit faire attention de ne pas tomber dans l’excès de pouvoir. Surtout dans la foulée des nouvelles dispositions issues de l’adoption du projet de loi nº 92 en 2016.
Dans le cas de l’affichage, il est intéressant de noter qu’au cours des derniers mois de 2021, de nombreux constats d’infraction ont été contestés par plusieurs médecins de différentes cliniques et n’auront finalement pas eu de suite devant les tribunaux parce que la preuve aurait été jugée trop faible par les poursuivants eux-mêmes.
Une bonne nouvelle en soi ? Oui, mais il n’en reste pas moins que les médecins initialement visés, puis finalement exonérés, auront composé avec de lourdes contrariétés administratives et juridiques engendrées par les mauvaises décisions prises à leur endroit en amont par l’appareil étatique.
Les dispositions d’une loi comme la Loi sur l’assurance maladie ont une finalité. Normalement, une disposition législative doit refléter l’intention du législateur et atteindre le but pour lequel elle a été adoptée.
En ce qui concerne le respect de certaines obligations prévues par la Loi sur l’assurance maladie, les médecins d’une clinique médicale ont-ils pris les mesures préventives appropriées pour éviter de commettre une infraction à la loi ? Ont-ils pris des moyens responsables ? Ont-ils agi avec une diligence raisonnable pour se conformer aux obligations que leur impose la loi ? Respectent-ils le but que le législateur tendait à faire valoir lorsqu’il a ajouté de nouveaux principes dans la loi ? Les médecins ont-ils au contraire commis un acte qu’une personne raisonnable n’aurait pas fait dans des circonstances similaires ? Autant de questions que les services d’inspection de la RAMQ devraient se poser avant de donner une direction à certains dossiers.
Comme le dit l’adage, « à grands pouvoirs, grandes responsabilités ». Le discernement, la finesse et l’entendement constituent des qualités essentielles lorsqu’on exerce des pouvoirs d’inspection, d’enquête, de contrôle, de surveillance et de vérification. Des pouvoirs que nous confie la loi.
Le fait que le législateur autorise la Régie à procéder à des inspections afin de s’assurer que les médecins respectent les modalités du régime public d’assurance maladie ne l’autorise d’aucune manière à agir avec excès ou de façon injuste.
La Fédération reste à l’affût des activités de contrôle et d’inspection de la Régie. N’hésitez pas à lui communiquer toute situation qui vous paraîtrait anormale à l’égard des activités de contrôle et d’inspection de la RAMQ. //