réduire la douleur en reprogrammant le cerveau
On le sait maintenant, la douleur est produite par le cerveau. Ce constat ouvre la porte à des traitements relativement efficaces contre la douleur chronique.
Beaucoup de patients atteints de douleurs chroniques l’ignorent : leurs perceptions douloureuses sont créées de toutes pièces par leur cerveau. Le processus, bien réel, se passe littéralement dans leur tête. Mais une solution existe : reprogrammer leur cerveau.
Une étude publiée dans le JAMA Psychiatry vient de montrer qu’un traitement psychologique permettant de changer les croyances du patient au sujet des causes de sa douleur et du danger qu’elle représente peut le soulager de manière substantielle et durable. Après la thérapie, 73 % des sujets n’avaient plus ou presque plus de douleur. Au bout d’un an, l’intensité de leur douleur n’était toujours que de 1,5 sur 10 (tableau)1.
Quelle est cette intervention ? La thérapie de retraitement de la douleur. Une méthode mise au point par les auteurs de l’étude, le Dr Yoni Ashar, du Weill Cornell Medical College, à New York, et ses collaborateurs. Leur technique aide le patient à considérer sa douleur comme une activité du cerveau non menaçante plutôt que comme le signal d’une lésion ou d’un danger potentiel.
« À la base, la douleur est un signal d’alarme. Elle sert à indiquer une blessure ou une menace pour l’intégrité du corps, explique la Dre Gabrielle Pagé, psychologue et professeure à l’Université de Montréal. Normalement, lorsque la lésion guérit, la douleur s’estompe. Quand cette dernière devient chronique, c’est souvent que ce système d’alarme fonctionne mal. Il continue à sonner même si la blessure a disparu. Il faut donc cesser d’y réagir et réinterpréter les signaux comme n’étant ni menaçant ni dangereux. »
L’essai clinique, mené aux États-Unis, comprenait 151 patients souffrant de lombalgie chronique. Les sujets ont été répartis de manière aléatoire en trois groupes : un premier qui avait les soins habituels, un deuxième qui recevait un placebo consistant en l’injection d’une solution saline au point le plus douloureux du dos et un troisième qui suivait la thérapie de retraitement de la douleur.
Dans le groupe expérimental, les participants commençaient par rencontrer un médecin qui évaluait avec eux la probabilité que leur douleur vienne du cerveau ou du dos, entre autres en regardant les résultats des examens par imagerie.
Les sujets participaient ensuite à huit séances d’une heure avec un thérapeute spécialisé. La méthode reposait sur :
1) la démonstration, avec des preuves personnalisées, du caractère centralisé de la douleur du patient ;
2) une réévaluation guidée des sensations de douleur en position assise, dans les postures craintes ou pendant les mouvements douloureux ;
3) des techniques pour faire face aux menaces psychosociales (pouvant produire par exemple des émotions difficiles) susceptibles d’amplifier la douleur ;
4) des approches pour accroître les émotions positives et l’autocompassion.
L’objectif de l’intervention était de rompre la spirale dans laquelle se trouvait le patient. « Quand une personne interprète sa douleur chronique comme un signal de danger, elle ressent une grande peur et une menace. Plusieurs systèmes s’activent alors, dont ceux qui sont liés au stress et à l’attention. Toute l’énergie du patient est mobilisée. Ainsi, lorsque la douleur est perçue comme menaçante, le cerveau lui accorde une attention accrue, et le patient la perçoit davantage. Cet enchaînement confirme au patient que sa douleur constitue une menace, ce qui enclenche un cercle vicieux. Les interventions psychologiques visent donc à briser cette spirale en apprenant au cerveau à ne pas percevoir la douleur comme un signal de danger », explique la Dre Pagé qui pratique à l’unité de gestion de la douleur de l’Hôpital général de Montréal.
Les émotions positives peuvent, pour leur part, être utiles. « Quand notre cerveau est concentré sur la douleur, il ne remarque pas toutes les choses plaisantes, parce qu’elles ne sont pas menaçantes. Il a été programmé ainsi au cours de l’évolution. Quand on était dans la forêt, si l’on ignorait l’ours et que l’on se concentrait sur les oiseaux qui chantaient, on ne survivait pas. Par contre, en ce qui concerne la douleur chronique, le fait de comprendre qu’elle n’est pas menaçante et de remarquer les choses positives qui surviennent peut nous aider à accorder moins d’attention aux signaux douloureux », indique la Dre Pagé, également chercheuse au Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal.
La thérapie de retraitement de la douleur a donné d’intéressants résultats dans l’étude américaine. Initialement, les sujets, qui souffraient depuis dix ans en moyenne, ressentaient une douleur de 4,1 sur une échelle de 10. Après la thérapie, la douleur du groupe traité n’était plus que de 1,2. Dans le groupe recevant la solution saline, elle avait baissé à 2,8 et dans celui qui avait les soins habituels, à 3,1 (tableau).
En outre, 33 des 50 patients du groupe expérimental (66 %) n’avaient plus de douleur ou presque après le traitement. Le taux grimpait à 73 % chez les 45 sujets qui avaient réellement commencé la thérapie. Par comparaison, seulement 20 % des patients qui avaient reçu une injection de solution saline et 10 % du groupe qui avait eu les soins habituels ne souffraient ensuite plus ou presque plus.
Un an plus tard, la thérapie présentait encore des effets importants comparativement au placebo et aux soins habituels (tableau).
Les résultats sont dignes d’intérêt, estime la Dre Pagé. « Les recherches sur la douleur montrent qu’une diminution d’au moins deux points sur une échelle de 0 à 10 est significative pour les patients, ce qui est le cas des sujets du groupe expérimental. » La persistance des effets de la thérapie un an plus tard est également notable. « Souvent, une diminution de la douleur se produit tout de suite après l’intervention, mais ne se maintient pas. »
La chercheuse a toutefois certaines réserves. Le choix des groupes témoins n’a pas été fait selon les règles de l’art. Ainsi, les auteurs de l’étude ont comparé un traitement de huit rencontres avec un thérapeute à une injection de solution saline et aux soins habituels. « On ne sait pas vraiment si c’est l’intervention elle-même ou le fait d’avoir eu plusieurs rencontres avec un psychologue qui a été bénéfique. »
La thérapie des chercheurs n’est par ailleurs pas aussi novatrice qu’ils le prétendent. « La plupart des psychologues ayant une expertise en douleur utilisent les composantes de la méthode proposée. Ces éléments constituent donc une partie de ce nous faisons, mais nous ne nous y limitons pas », indique la professeure.
Les sujets de l’étude n’étaient par ailleurs pas représentatifs des patients des cliniques de la douleur. La plupart avaient fait des études post-secondaires et travaillaient. « Ces personnes-là sont-elles plus susceptibles de répondre à une intervention psychologique comprenant une composante cognitive ? Probablement », mentionne la Dre Pagé. La douleur initiale des participants était par ailleurs légère ou modérée. « Ce ne sont donc peut-être pas eux qui ont le plus besoin d’aide. »
Comment la douleur devient-elle chronique ? « Le meilleur élément prédictif est la douleur elle-même. Une personne qui a une importante douleur à la suite d’une blessure a beaucoup plus de risque de souffrir éventuellement d’une douleur chronique que celle qui a une douleur légère. Bien des facteurs psychosociaux, cependant, interviennent ensuite. Le patient souffre-t-il de problèmes de santé mentale, comme la dépression ou l’anxiété ? A-t-il des maladies concomitantes ? Commence-t-il à éviter de bouger pour ne pas souffrir ou à dramatiser son état concernant la douleur ? La prévalence des douleurs chroniques est par ailleurs plus élevée chez les femmes et augmente avec l’âge », dit la Dre Pagé, qui elle-même étudie ce sujet.
L’idéal est d’intervenir tôt. Tous les patients, cependant, n’ont pas besoin de voir un psychologue. « Il y en a qui, avec un peu d’information et d’éducation, vont très bien s’en sortir. On peut les diriger vers différentes ressources, comme le portail gerermadouleur.ca (encadré) », indique l’experte.
La psychologie a ainsi d’intéressants outils à offrir. « Plusieurs interventions psychologiques servent à aider les patients à mieux s’adapter à la douleur ou à être moins dépressifs. Mais elles peuvent aussi agir sur l’intensité de la douleur elle-même. Quand c’est ce dernier effet que l’on recherche, devrait-on envisager le traitement proposé dans l’étude américaine ? Pas nécessairement. Le message à retenir de l’article du JAMA Psychiatry reste toutefois que les interventions psychologiques peuvent jouer un rôle important dans le traitement de la douleur chronique. » //
1. Ashar Y, Gordon A, Schubiner H et coll. Effect of pain reprocessing therapy vs placebo and usual care for patients with chronic back pain: a randomized clinical trial. JAMA Psychiatry 2022 ; 79 (1) : 13-23. DOI : 10.1001/jamapsychiatry.2021.2669.