Questions... de bonne entente

Exercice comme médecin participant au privé

Michel Desrosiers  |  2022-03-01

Vous êtes médecin participant, et on vous offre d’exercer dans une clinique privée hors régime public en contrepartie d’une rémunération versée par la clinique ? Vous devez regarder différents volets. Plus particulièrement, vous devez vérifier si vous pouvez exercer dans un tel milieu et si vous devrez réclamer vos honoraires à la RAMQ. Regardons donc ça de près afin d’éviter les surprises.

Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

La vaste majorité des cliniques au Québec sont « privées », du moins elles ne sont pas la propriété de l’État ni des points de service d’un établissement de santé. Ce n’est pas le caractère d’une clinique ou d’un lieu qui détermine si les services rendus sont publics ou privés, mais plutôt les deux éléments suivants : la nature des services (assurés ou non) et le statut de médecin participant ou non participant au régime public d’assurance maladie.

Principe de mixité des médecins participants et non participants

Dans plusieurs cabinets du Québec, on trouve sous le même toit des médecins participants et non participants qui offrent des services à des clientèles iden­ti­ques ou distinctes.

Cette situation donne parfois lieu à des malentendus lorsque des patients qui attendent au service de consultation sans rendez-vous apprennent qu’ils peuvent réduire leur temps d’attente en acceptant de payer pour voir un médecin. Vous aurez compris que lorsqu’un médecin non participant exerce dans la même clinique que des médecins participants, il peut accepter de voir des patients sans rendez-vous. Comme sa disponibilité est parfois plus grande que celle du médecin participant qui assure le service de consultation sans rendez-vous, il peut offrir de voir des patients pressés prêts à payer ses honoraires.

Le patient qui verra le médecin non participant se fera alors expliquer qu’il doit payer les honoraires du médecin et qu’il ne pourra pas obtenir de remboursement pour ces services de la RAMQ ni d’un assureur. Il n’y aura donc pas d’ambiguïté. Toutefois, les autres patients dans la salle d’attente pourraient se poser des questions. Toujours est-il qu’un tel fonctionnement, malgré les questions qu’il peut soulever chez les patients, est légal.

Un médecin participant peut aussi offrir des services non assurés, comme l’exérèse chirurgicale de lésions bénignes sur le tronc ou sur les jambes ou d’autres interventions purement esthétiques. Un médecin participant peut donc être rémunéré hors RAMQ pour une partie de ses activités, tout en facturant la majorité des services assurés à la RAMQ, et ce, dans le même milieu. Voyez à ce sujet les articles d’août, de septembre et d’octobre 2017 de la chronique En fin la facturation.

Exception importante : le centre médical spécialisé

Il y a toutefois une importante exception à la mixité des médecins participants et non participants et au fait qu’un médecin participant peut se faire rémunérer par le patient pour des services non assurés : les centres médicaux spécialisés.

Le gouvernement a créé ces centres dans le but d’assurer la qualité de certains services pouvant présenter plus de risques de complications lorsqu’ils sont effectués hors établissement. Ils sont définis et encadrés par les articles 333.1 à 333.6 de la Loi sur les services de santé et des services sociaux. Les services, quant à eux, sont énumérés dans le Règlement sur les traitements médicaux spécialisés dispensés dans un centre médical spécialisé.

En gros, ces centres doivent se soumettre à un processus d’accréditation comparable à celui des centres hospitaliers et avoir un directeur médical. Certaines interventions effractives peuvent s’y faire, si l’encadrement prévu est respecté. L’arthroplastie de remplacement de la hanche constitue un tel service, tout comme celle du genou. Ces interventions peuvent seulement se faire en centre hospitalier ou dans un centre médical spécialisé ayant le permis nécessaire.

D’autres services sont aussi visés, soit l’intervention chirurgicale qui exige normalement l’hébergement du patient pendant plus de 24 heures de même que les services énoncés dans le règlement évoqué précédemment. Ce règlement limite aux seuls centres médicaux spécialisés l’offre de services qui nécessitent une anesthésie générale ou régionale de type tronculaire ou bloc à la racine d’un membre. Il en va de même d’une autre catégorie de services, soit certaines interventions, sans égard au type d’anesthésie.

Le centre médical spécialisé doit fournir, directement ou par l’intermédiaire d’une autre ressource privée avec laquelle il a conclu une entente et vers laquelle il dirige les patients, tous les services préopératoires et post-opératoires normalement associés à l’intervention, à l’exclusion du traitement des complications. Le centre doit de plus fournir l’ensemble des services de réadaptation et de soutien à domicile après les interventions chirurgicales visées jusqu’au rétablissement complet du patient. Par conséquent, il doit en informer ses usagers et leur indiquer le coût total des services offerts par des fournisseurs privés.

Dans le cadre de l’exception au principe général de mixité des médecins participants et non participants sous un même toit, la règle la plus importante visant les centres médicaux spécialisés est que tous les médecins qui y exercent sont soit participants, soit non participants. C’est donc dire que le médecin de famille qui voudrait effectuer des évaluations préopératoires et donner des services post-opératoires dans un tel milieu devra être non participant s’il s’agit d’un milieu de médecins non participants. Il ne peut donc pas y exercer s’il participe au régime public.

Par conséquent, si on vous offre de prodiguer les services complémentaires à des interventions chirurgicales dans une clinique contre rémunération de cette dernière, vous devriez vérifier s’il s’agit d’un centre médical spécialisé au sens de la loi, c’est-à-dire qui détient le permis pour ces interventions. Le cas échéant, vous devrez aussi vérifier si les médecins y sont participants ou non participants.

Bien qu’il soit généralement possible pour les médecins participants et non participants d’exercer dans le même milieu, ce n’est pas le cas dans un centre médical spécialisé où les médecins doivent appartenir exclusivement à l’une ou l’autre des catégories.

Si les médecins n’y sont pas participants, les évaluations préopératoires et les suivis post-opératoires ne peuvent pas être facturés à la RAMQ, même si ce genre d’intervention est normalement assuré. Vous pouvez accepter d’offrir ces services seulement si vous devenez non participant. En effet, vous ne pouvez pas offrir ces services dans ce genre de milieu tout en demeurant participant. Il ne peut donc pas s’agir d’une pratique complémentaire à vos activités de prise en charge, à moins d’exercer comme médecin non participant.

Quelles seraient les conséquences de ne pas respecter ces règles ? L’article 531.3 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux prévoit des amendes pour l’exploitant d’un centre médical spécialisé qui ne s’assure pas de la participation exclusive de médecins participants ou non participants aux activités de la clinique. On parle de montants allant de 325 $ à 1500 $ pour une personne physique et de 700 $ à 7000 $ pour une personne morale (société). De plus, selon l’article 333.7.1, l’exploitant d’un tel centre doit transmettre chaque année au ministre un rapport qui contient le nom des médecins qui ont œuvré dans le centre pendant l’année. En outre, les articles 532 à 538 stipulent que la personne qui fournit de fausses informations, qui omet de fournir les informations requises, qui autorise une telle conduite ou qui conseille une personne en sachant qu’elle risque d’agir de la sorte commet une infraction. Bref, la présence d’un médecin participant au sein d’un centre médical spécialisé regroupant des médecins non particpants risque d’être facile à repérer et lourde de conséquences pour l’exploitant et son conseil d’administration.

Et quelles seraient les conséquences pour le médecin participant qui accepterait d’exercer dans un tel centre regroupant des médecins non participants ? La Loi sur l’assurance maladie interdit à un professionnel participant de recevoir une rémunération autre que celle qui est prévue à l’entente pour un service assuré (article 22, alinéa 4) ou un paiement d’une personne assurée pour des frais engagés pour offrir un service dans un centre médical spécialisé (article 22, alinéa 9). La contravention à ces interdictions constitue une infraction et est passible d’une amende de 5000 $ à 50 000 $.

On peut se demander si ces alinéas trouveraient application dans le cas du médecin participant qui exercerait dans un centre médical spécialisé regroupant des médecins non participants. Comme les articles de la Loi sur les services de santé et des services sociaux traitant de ces centres ne prévoient pas de conséquences spécifiques pour les médecins, on peut supposer que le législateur était d’avis que la Loi sur l’assurance maladie comportait déjà des sanctions. Toujours est-il que personne n’a intérêt à faire l’objet d’un constat d’infraction ni à se défendre d’une accusation. Mieux vaut donc faire preuve de prudence.

Cet article vous fait réévaluer l’intérêt d’une telle offre ? On peut le comprendre. L’important est de garder les yeux ouverts et d’être conscient des contraintes légales lorsque vous sortez des sentiers battus. Si, au contraire, vous songez à devenir non participant, lisez l’article de janvier 2022 de cette chronique qui traite de la façon d’y parvenir et des conséquences possibles. À la prochaine ! //