déclenchement des mécanismes d’adaptation du corps
En faisant appel aux mécanismes d’adaptation de l’organisme, le jeûne intermittent non seulement permet une perte de poids, mais diminue aussi la pression artérielle, la glycémie et le taux d’insuline à jeun.
À l’Institut de Cardiologie de Montréal (ICM), le Dr Martin Juneau, directeur de la Prévention et de la Réadaptation cardiovasculaire, avait tout essayé pour aider ses patients aux prises avec un syndrome métabolique. « Presque toutes les équipes se heurtent à un mur quand elles tentent de faire perdre du poids aux gens », affirme le cardiologue.
Le médecin et son groupe avaient toutefois fini par trouver une recette relativement fructueuse, mais exigeante : l’alimentation méditerranéenne avec une forte composante végétarienne associée à des exercices par intervalles. Puis tout à coup, ils ont découvert une méthode plus performante : le jeûne. C’était il y a dix ans. Les premières études sortaient.
« Toutes montraient qu’indépendamment de la perte de poids, qui n’était pas très importante, il y avait une amélioration du métabolisme du glucose, du taux d’insuline à jeun et de la pression artérielle. Il y a six ans, on a donc commencé à s’intéresser au jeûne intermittent et à l’expérimenter en clinique », raconte le Dr Juneau, également professeur à l’Université de Montréal.
Les résultats sont frappants. Le premier paramètre touché est la pression artérielle. « Elle diminue à un point tel que je suis souvent obligé d’arrêter un premier antihypertenseur et de réduire le second chez le patient. Chez certains, je cesse même tout. » Le cardiologue a ainsi vu des chutes de pression systolique de 20 mmHg et de pression diastolique de 8 mmHg. « Cette baisse peut survenir en deux ou trois semaines, selon l’intensité du jeûne. »
D’autres effets apparaissent également. « On voit aussi le taux d’insuline diminuer. Les gens qui ont une glycémie, par exemple, de 6,4 mmol/l et une hémoglobine glyquée limite, mais ne sont pas encore diabétiques, ont souvent une insuline à jeun élevée, de l’ordre de 110 pmol/l-115 pmol/l. Après quelques semaines de jeûne, l’insuline va baisser à 80 pmol/l, 75 pmol/l ou même 60 pmol/l. Et là, tout se met à débouler. La glycémie à jeun s’améliore et le taux d’hémoglobine glyquée diminue. » C’est exactement ce que recherche le Dr Juneau qui propose le jeûne intermittent principalement à ses patients de la Clinique de prévention et de traitement du diabète du Centre ÉPIC de l’ICM. « Ce qu’on vise, c’est la rémission de la maladie. »
Le jeûne intermittent a par ailleurs un grand avantage : sa facilité. « Ce qu’on a vite constaté, c’est qu’il est plus simple que les autres diètes, parce que les gens n’ont pas à compter les calories ni à modifier leur alimentation », mentionne le Dr Juneau.
La méthode commence à gagner ses lettres de noblesse. De grandes revues comme Science1 et le New England Journal of Medicine2 publient maintenant articles et études sur le jeûne intermittent. Les essais cliniques ne cessent par ailleurs de se multiplier (voir « Jeûnes intermittents et qualité des preuves », en page 14).
Comment expliquer les bienfaits du jeûne intermittent ? Ce type de restriction alimentaire déclencherait dans le corps une multitude de mécanismes. L’un d’eux est particulièrement puissant : « l’interrupteur métabolique ». Durant les périodes de jeûne, l’organisme cesse d’utiliser le glucose comme source d’énergie et recourt aux graisses, surtout viscérales. Les cellules des tissus adipeux relâchent alors des acides gras qui sont entre autres convertis par le foie en corps cétoniques.
Outre leur rôle de carburant, les cétones ont de multiples effets. « Elles sont des hypotenseurs. Vous avez donc une baisse de la pression artérielle, même si vous ne perdez pas de poids », indique le Dr Juneau. Les corps cétoniques agissent également sur le métabolisme général, mais aussi sur la santé du cerveau. Ils contribueraient, par exemple, à la plasticité synaptique et à la neurogenèse1. « Les effets sur le cerveau des corps cétoniques sont connus depuis plus de soixante ans », mentionne le cardiologue.
Après combien de temps de jeûne l’interrupteur métabolique est-il actionné ? « Le taux sanguin de corps cétoniques augmente entre 8 et 12 heures après le début du jeûne », précisent deux experts dans le New England Journal of Medicine (NEJM), MM. Rafael de Cabo et Mark Mattson, de l’Université Johns Hopkins2.
Le jeûne mettrait également en branle d’autres phénomènes. « On s’est vite aperçu qu’au-delà de la perte de poids, il y a une réduction de la production de radicaux libres. Quand on mange moins, on en fabrique moins », explique le Dr Juneau. L’autophagie, processus qui permet d’éliminer les molécules endommagées, s’accentuerait aussi. « Le corps en recyclerait les composés pour construire de nouvelles protéines sans partir de zéro. »
Les changements déclenchés par le jeûne intermittent seraient en fait des mécanismes d’adaptation. La recherche « montre que la plupart des systèmes organiques, sinon tous, répondent au jeûne intermittent de manière à permettre au corps de tolérer ou de surmonter le défi, puis de retrouver son homéostasie », indiquent les deux spécialistes du NEJM. La privation alimentaire produirait ainsi une meilleure régulation du glucose, augmenterait la résistance au stress et supprimerait l’inflammation.
La pratique prolongée de la restriction calorique serait même bénéfique. « La poursuite d’un régime de jeûne intermittent, surtout s’il est associé à la pratique régulière d’exercice, entraîne des adaptations à long terme qui améliorent la performance mentale et physique et accroissent la résistance à la maladie », affirment MM. de Cabot et Mattson.
Quand elle a entendu parler pour la première fois de jeûne intermittent, Mme Élise Latour, nutritionniste au Centre ÉPIC de l’Institut de Cardiologie de Montréal, a été ébranlée. « C’est comme si tout ce que j’avais appris ne fonctionnait plus. » Puis elle s’est mise à lire les études sur le sujet.
Aujourd’hui, elle propose le jeûne intermittent à de nombreux patients. Mais pas d’emblée. « Dans un premier temps, je vais analyser l’alimentation du client et ensuite voir la méthode qu’il préfère », dit Mme Latour qui a ajouté le nouvel outil à son arsenal il y a trois ans.
Avant de commencer, le patient qui veut expérimenter le jeûne doit avoir une bonne alimentation de base. « Il faut s’assurer que durant la période où il mange, ses besoins nutritionnels de base sont comblés et que la qualité de ses aliments est adéquate. » Mme Latour propose donc comme modèle l’alimentation de type méditerranéen. Travaillant au sein de la Clinique de prévention et de traitement du diabète, la diététiste suggère à ses patients une version à faible teneur en glucides.
Puis arrive la première étape du jeûne intermittent : le jeûne de 12 heures. Par exemple, de 20 heures à 8 heures. Une sorte d’initiation au jeûne plus long. Concrètement, il s’agit de ne pas grignoter le soir. « J’explique au patient que plus longtemps il reste sans manger, moins il consomme de glucides, moins il a besoin de sécréter d’insuline et plus il donne la possibilité à son organisme d’utiliser ses réserves de graisse comme source d’énergie. Il réduit ainsi sa résistance à l’insuline et son risque de devenir diabétique », dit la nutritionniste.
Si le patient veut aller plus loin, l’étape suivante est le jeûne 16/8 : 16 heures de jeûne et 8 heures pendant lesquelles il peut manger. Certains, par exemple, sautent le petit-déjeuner et ne prennent pas de collation le soir.
À quelle fréquence faut-il effectuer ces jeûnes ? « En ce qui concerne le jeûne 12/12, idéalement, il faut le faire sept jours sur sept. Le plan 16/8, lui, devrait être pratiqué au moins trois fois par semaine. Plus la période de jeûne est longue, moins il faut le faire souvent. Un jeûne de vingt heures, par exemple, est recommandé deux fois par semaine », mentionne Mme Latour.
La méthode donne en général de bons résultats. « L’état de la majorité des clients s’améliore. J’ai d’excellents résultats, surtout chez les hommes, parce qu’ils n’ont souvent pas essayé toutes sortes de régimes amaigrissants », précise la nutritionniste, qui pratique aussi à la clinique de réadaptation cardiovasculaire de l’Institut de Cardiologie.
Des effets indésirables peuvent toutefois survenir pendant la période de privation : maux de tête, fatigue, constipation, déshydratation. « Il est important de beaucoup boire », affirme Mme Latour.
Les formules 12/12 et 16/8 entrent dans la catégorie des jeûnes appelés « à fenêtre d’alimentation restreinte ». Ces méthodes proposent une période quotidienne durant laquelle le patient peut manger. Le reste du temps – le jeûne –, il peut consommer de l’eau, du café noir, du thé noir ou des boissons sans calorie3.
Mais deux autres types de jeûnes intermittents existent aussi :
h Le jeûne alterné : la personne jeûne un jour sur deux. Une journée, elle peut manger sans restriction et l’autre, elle ne boit que de l’eau. Une version modifiée de ce régime lui permet de consommer durant la période de jeûne l’équivalent de 25 % de ses besoins énergétiques (de 500 kcal à 800 kcal)3.
h Le jeûne 5:2 : le patient s’alimente comme il le veut cinq jours par semaine et se prive deux jours pendant lesquels il ne comble que 25 % de ses besoins en énergie3.
À l’Université de l’Illinois à Chicago, la Dre Krista Varady et ses collègues ont analysé les trois méthodes. La perte de poids engendrée par ces jeûnes n’est pas énorme. Elle va de légère à moyenne, c’est-à-dire de 1 % à 8 % du poids initial « L’apport énergétique est réduit approximativement de 10 % à 30 %, ce qui est semblable à ce que produit la restriction calorique classique », indiquent les chercheurs dans un récent article de l’Annual Review of Nutrition3. Les deux formules les plus efficaces sont le jeûne 5:2 et le jeûne alterné. Contrairement à l’alimentation restreinte dans le temps, ils permettent une baisse pondérale significative, c’est-à-dire de plus de 5 %.
Et quels sont les effets sur le plan cardiométabolique ? « Le jeûne alterné, le jeûne 5:2 et le jeûne à fenêtre d’alimentation restreinte peuvent accroître la santé cardiométabolique en diminuant la pression sanguine, la résistance à l’insuline et le stress oxydatif. Toutefois, leur capacité à réduire le taux de lipides plasmatiques et les marqueurs de l’inflammation reste incertaine », indiquent la Dre Varady et ses collaborateurs.
Quel est le meilleur type de jeûne ? Les données ne sont pas suffisantes pour en recommander un en particulier, estiment les chercheurs. « Les gens doivent choisir la méthode qu’ils peuvent le plus facilement incorporer à leur mode de vie pour récolter les bienfaits du jeûne à long terme. »
Mme Latour a constaté, pour sa part, que le jeûne alterné et le jeûne 5:2 sont souvent extrêmes pour les clients. « Ce sont des régimes 20/4, dans lesquels on est 20 heures à jeun et on a une période de 4 heures pour manger. Ils doivent être faits deux ou trois fois par semaine. Je propose rarement à mes clients d’aller aussi loin. Dans notre centre, comme les patients ont une bonne alimentation pendant les heures permises d’alimentation, ils ne sont pas obligés de jeûner aussi longtemps pour avoir de bons résultats. »
À la clinique de prévention et de traitement du diabète du Centre EPIC, environ le quart des quelque 250 patients pratiquent le jeûne intermittent. « Je le propose à tous ceux qui ont un surplus de poids », indique le Dr Juneau. Il connaît la plupart de ses patients depuis longtemps. Ils font de l’activité physique et ont une alimentation méditerranéenne, souvent à tendance végétarienne, à la suite de ses propres conseils.
À chaque visite, le Dr Juneau les pèse. Et il mesure leur tour de taille une fois par année. « Malgré leurs bonnes habitudes de vie, sans intervention, leur poids augmente toujours un peu. Je demande donc à un moment donné au patient s’il a envie d’essayer le jeûne intermittent. » Le médecin lui en explique les mécanismes et les aspects pratiques. « Je lui dis : «Commencez au moins par ne pas manger le soir. Si vous voyez que ça va bien, essayez de ne pas prendre de petit-déjeuner. Buvez un bon thé vert le matin ou votre café sans lait et sans sucre pour ne pas avoir de sevrage de caféine. » Le Dr Juneau lui donne aussi des trucs : boire beaucoup d’eau, surtout de l’eau pétillante, parce qu’elle remplit davantage l’estomac.
La majeure partie de l’effet du jeûne intermittent se produit durant les deux premiers mois. « On ne voit pas beaucoup de progrès après. Il faut ensuite maintenir les gains en pratiquant le jeûne au moins deux ou trois fois par semaine. Je dis toujours à mes patients : «Il faut comprendre que c’est maintenant votre façon de vivre». »
Le Dr Juneau, même s’il est mince, pratique lui-même le mode d’alimentation qu’il propose. « Bien que je sois végétarien, que je fasse de l’exercice tous les jours, ma pression artérielle n’est pas toujours optimale lorsque je travaille beaucoup. J’ai donc pris l’habitude de faire un jeûne intermittent (16/8) deux fois par semaine, et ma pression se maintient à 120 mmHg/75 mmHg. » Le cardiologue recourt aussi au jeûne pour éviter l’accumulation de graisse abdominale. « Elle est très difficile à éliminer, même si on s’entraîne et que l’on mange bien. »
Le jeûne intermittent est simplement une corde de plus à l’arc des professionnels de la santé, estime Mme Latour. « Certains clients me disent : «Je me sens vraiment bien grâce à cette méthode. Elle s’intègre facilement à mes habitudes de vie». Mais pour d’autres, cette formule n’est pas la bonne. Le jeûne intermittent est seulement une des mille et une façons de faire dont nous disposons pour aider les patients. L’important, c’est que chacun trouve celle qui lui convient le mieux pour le restant de ses jours. » //
1. Di Francesco A, Di Germanio C, Bernier M et coll. A time to fast. Science 2018 ; 362 (6416) : 770-5. DOI : 10.1126/science.aau2095.
2. De Cabo R et Mattson M. Effects of intermittent fasting on health, aging, and disease. N Engl J Med 2019 ; 381 (26) : 2541-51. DOI : 10.1056/NEJMra1905136.
3. Varady K, Sofia Cienfuegos S, Ezpeleta M et coll. Cardiometabolic benefits of intermittent fasting. Annu Rev Nutr 2021 ; 41 : 333-361. DOI : 10.1146/annurev-nutr-052020-041327.