Nouvelles syndicales et professionnelles

Mieux soigner les personnes autochtones

l’engagement de médecins de famille

Nathalie Vallerand  |  2022-03-30

Le décès tragique de Joyce Echaquan en septembre 2020 a révélé la nécessité de repenser les soins offerts aux membres des Premières Nations, aux Inuits et aux Métis. Dans différentes régions du Québec, plusieurs initiatives visent à permettre aux personnes de ces communautés d’obtenir des soins de qualité.

 

M. Guy Niquay

Un an après le décès de Joyce Echaquan, Guy Niquay est entré en poste en tant qu’adjoint à la PDG du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Lanaudière pour les relations autochtones. Un des premiers gestes de cet Atikamekw a été de demander un bureau non seulement au siège social du CISSS, mais aussi à l’Hôpital de Joliette, là où s’est joué le drame. Il tient à aller à la rencontre des membres de sa communauté qui sont hospitalisés ou à l’urgence. Il fait une tournée chaque jour. « Il est important de les entendre sur l’accueil et les soins qu’ils reçoivent, estime M. Niquay. C’est à eux de dire si nous sommes sur le bon chemin et si la situation s’améliore. »

De concert avec le Conseil des Atikamekw de Manawan, le CISSS a en effet instauré plusieurs mesures, dont l’embauche d’agents de liaison en sécurité culturelle et d’un commissaire adjoint aux plaintes des usagers autochtones, la création d’un comité de réconciliation et la formation du personnel aux réalités des Premières Nations.

Des efforts pour que la clientèle autochtone se sente en confiance et en sécurité lorsqu’elle consulte, les médecins du GMF-U du Nord de Lanaudière en font depuis une dizaine d’années. Ainsi, trois fois par mois, un médecin et un résident, hébergés sur place, pratiquent trois jours au Centre de santé Masko-Siwin de Manawan, à 180 kilomètres de Joliette.

Dr Sébastien Turgeon

« Nous sommes sept médecins à y aller à tour de rôle, indique le Dr Sébastien Turgeon, directeur médical du GMF-U. Nous offrons aussi une garde téléphonique 24 heures sur 24 et sept jours sur sept aux infirmières du Centre de santé Masko-Siwin. De plus, les membres de la communauté ont un accès privilégié à notre service de consultation sans rendez-vous, même s’ils ne sont pas inscrits à notre GMF. » Par ailleurs, le Centre de santé Masko-Siwin est devenu en 2019 un site satellite du GMF-U.

Il y avait ainsi une belle collaboration, quand tout à coup, est survenue la mort de Joyce Echaquan dans des circonstances tragiques. Le Dr Turgeon et ses collègues en ont été d’autant plus secoués. « Même si cela s’est passé à l’hôpital, nous avons vécu cet événement comme un pas en arrière par rapport au travail des dernières années, dit celui qui fait partie du comité de réconciliation. On ne voulait surtout pas perdre notre lien de confiance avec la communauté, ce qui heureusement ne semble pas être le cas. »

D’ailleurs, ce sont des médecins du GMF-U qui ont levé la main lorsque le Centre d’amitié autochtone de Lanaudière a décidé d’offrir des consultations médicales dans ses locaux pour que les Autochtones obtiennent des soins sans craindre d’être mal reçus.

Par et pour les Autochtones

Mme Édith Cloutier

Ailleurs au Québec, d’autres initiatives visant à améliorer la situation ont vu le jour. « Il faut donner aux Autochtones la possibilité d’appliquer leurs propres solutions », considère Édith Cloutier, directrice générale du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or (CAAVD). L’organisme a ainsi mis en place la première clinique en santé autochtone du Québec. Son nom, Mino Pimatisi8in, signifie mieux-être global en langue anichinabée. « La conception de la santé chez les Autochtones ne se limite pas à l’individu, explique Mme Cloutier qui est elle-même anichinabée. C’est l’atteinte de l’équilibre et de l’harmonie pour soi-même, mais aussi dans sa famille et sa communauté. »

La clinique Mino Pimatisi8in s’inscrit ainsi dans l’offre du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or qui comprend des services psychosociaux, communautaires et culturels, dont des activités de guérison traditionnelle (tentes de sudation, cercles de partage et de sobriété, retraites en forêt, etc.). Après chaque journée de consultations, médecin, infirmière, travailleuse sociale et éducatrice spécialisée discutent des patients qu’ils ont vus. « Si une personne a consulté pour de l’anxiété, mais qu’elle vit de la violence conjugale et que ses enfants sont en famille d’accueil, le plan d’intervention en tient compte, donne comme exemple Mme Cloutier. Les médecins qui exercent ici sont ouverts aux traditions autochtones et disposés à travailler selon une approche multidisciplinaire, globale et intégrée. »

Dr François Venne

C’est le cas du Dr François Venne qui pratique deux journées par mois à la clinique Mino Pimatisi8in. « On a beaucoup à apprendre des Autochtones et de leur conception de la santé et des processus de guérison. Et ce sont des gens tellement agréables à soigner », affirme le médecin du GMF-U de la Vallée-de-l’Or. Son arrivée en 2019 a offert une stabilité à la clinique qui connaissait alors de fréquentes ruptures de services. Depuis, quatre autres médecins viennent y donner des soins en alternance.

Dre Émilie Godbout

Cette initiative est le fruit d’un travail évolutif d’une dizaine d’années mené en partenariat avec le CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue. En plus de s’arrimer à la culture et aux valeurs autochtones, la clinique fonctionne sans rendez-vous, ce qui favorise la création graduelle d’un lien de confiance, affirme la Dre Émilie Godbout, cheffe locale du département de médecine générale de la Vallée-de-l’Or et coordonnatrice médicale locale du département régional de médecine générale (DRMG). « Les personnes autochtones ont tendance à attendre longtemps avant de consulter, observe-t-elle. Par conséquent, l’urgence de l’hôpital constitue souvent leur porte d’entrée vers les soins. Désormais, elles peuvent plutôt venir à la clinique quand elles en ressentent le besoin. Elles peuvent même consulter en famille. »

Manque de reconnaissance

Si la clinique Mino Pimatisi8in est un lieu sécurisant pour sa clientèle, le travail des médecins qui y œuvrent n’est toutefois pas reconnu au même titre qu’une prise en charge de patients. « Ce n’est pas non plus considéré comme une activité médicale particulière et ça ne s'inscrit pas dans le cadre GMF avec ses exigences d’inscription de patients et de taux d’assiduité, constate la Dre Godbout. La clinique dépend ainsi du dévouement de médecins qui offrent des services en plus de leur pleine tâche. »

En octobre dernier, la Dre Godbout et des représentants du Centre d’amitié autochtone, du CISSS et du DRMG ont demandé au ministre de la Santé de reconnaître le travail des médecins. Ils prodiguent « un service de première ligne avec le suivi qu’implique habituellement la prise en charge, mais sous une forme innovante qui ne se comptabilise pas en nombre de patients inscrits », peut-on lire dans leur lettre. Le groupe, qui n’a toujours pas reçu de réponse, compte poursuivre ses pressions politiques.

La clinique Mino Pimatisi8in joue ainsi un rôle clé. Un bris de service laisserait les patients autochtones sans suivi de première ligne, ce qui est susceptible d’entraîner une détérioration de leur état de santé, craint le Dr Venne. « Il faut adapter la prestation des soins aux patients autochtones, et non le contraire. »

Il y a cependant une bonne nouvelle : le Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or a obtenu de Québec en 2021 le financement de 12 millions de dollars qu’il réclamait depuis longtemps pour sa clinique. Le gouvernement a aussi alloué une somme de 15 millions pour améliorer les services de santé offerts aux Autochtones desservis par la dizaine d’autres centres d’amitié de la province.

C’est un grand pas en avant, mais le Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or souhaite également que son modèle de santé et de mieux-être autochtone fasse officiellement partie du réseau public de santé québécois. « Nous ne voulons pas être avalés par le système. Nous voulons apporter des changements au réseau », insiste Édith Cloutier.

Miser sur la formation

Dre Pascale Breault

À Montréal, la Dre Pascale Breault demande aux résidents à qui elle enseigne de lire le rapport de la coroner sur le décès de Joyce Echaquan. L’omnipraticienne du GMF du CLSC de Hochelaga-Maisonneuve estime même que tout médecin devrait le parcourir. Pourquoi ? Parce qu’il montre comment les biais implicites peuvent influencer le raisonnement clinique.

« On a tous intériorisé des stéréotypes qui viennent de l’éducation et de la société dans laquelle on a grandi, explique-t-elle. Dans le cas de Joyce, le rapport de la coroner met en lumière le fait que la prise en charge de la patiente a été influencée par un diagnostic de sevrage et des étiquettes de dépendance qui n’étaient pas appuyés par des éléments factuels objectifs. La mort de Joyce était évitable, et nous avons tous à apprendre de cet événement, moi y compris. La vigilance est essentielle pour éviter que nos diagnostics s’arrêtent à des stéréotypes ou soient limités par eux. »

Il faut dire que, jusqu’à tout récemment, la formation médicale elle-même véhiculait des stéréotypes envers les populations autochtones. « S’il y avait mention d’un patient autochtone dans un cas clinique, c’était généralement un cas de dépendance ou de violence conjugale », relate la Dre Breault. Des projets sont cependant en cours pour créer des vignettes cliniques plus neutres.

La médecin de famille, qui suit quelque 550 patients de la communauté atikamekw de Manawan, est l’une des organisatrices d’un programme de formation continue de la Faculté de médecine de l’Université Laval sur les biais implicites concernant les populations autochtones. Ce programme, auquel participe un conseil de sages de diverses nations autochtones, prend la forme de six conférences visant à déconstruire les préjugés. Certaines sont offertes en direct ou en différé sur le site de Brio au coût de 100 $ (gratuit pour les étudiants et les résidents).

Au cours des dernières années, les facultés de médecine ont par ailleurs bonifié leur contenu pédagogique sur la santé autochtone, tant en nombre d’heures qu’en qualité. Pour le Dr Sébastien Turgeon, il est important de sensibiliser les futurs médecins aux réalités autochtones. « Tous nos résidents vont à Manawan, signale le directeur médical du GMF-U du Nord de Lanaudière. Par la suite, plusieurs ont commencé à pratiquer auprès des Autochtones, comme la Dre Breault qui a fait sa résidence chez nous. »

Le GMF-U encourage aussi ses résidents à inclure la santé autochtone dans leur projet d’érudition. Cette année, par exemple, des résidents tenteront d’adapter la clinique de santé métabolique du GMF-U à sa clientèle autochtone. La Dre Breault, pour sa part, avait créé un module d’auto-apprentissage sur les enjeux liés à la santé autochtone pour les étudiants de l’Université Laval. Un outil encore utilisé aujourd’hui.

Du côté du GMF-U de Val-d’Or, une formation de trois jours est offerte aux résidents pour les aider à comprendre la culture et l’histoire des peuples autochtones.

Plus de personnel autochtone

Une autre façon de rendre les soins plus sûrs consiste à accroître le nombre de soignants et d’employés autochtones dans le réseau de la santé. Une mesure incontournable, selon Guy Niquay, du CISSS de Lanaudière. « Juste le fait de voir et d’entendre du personnel autochtone, c’est rassurant pour les patients », soutient-il.

Dre Geneviève Bois

Le Programme des facultés de médecine pour les Premières Nations et les Inuits au Québec (PFMPNIQ) vise précisément à former davantage de médecins autochtones. Depuis sa création en 2008, soixante-quatre étudiants autochtones ont été admis en médecine par l’entremise de ce programme. De ce nombre, treize pratiquent déjà, pour la plupart en médecine familiale. Les autres sont encore aux études, sauf deux qui ont abandonné, selon la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador qui gère le programme. « C’est vraiment un programme unique qui change la donne en ce qui concerne le nombre de médecins autochtones au Québec », s’enthousiasme la Dre Geneviève Bois, coconseillère pédagogique du programme pour l’Université de Montréal qui partage son poste avec la Dre Anne-Sophie Thommeret-Carrière.

Cette année, huit places sont réservées au contingent du PFMPNIQ, deux de plus que les années précédentes. Le processus de sélection des aspirants médecins autochtones commence par une cote de rendement au collégial de 28 ou plus et comprend diverses évaluations, dont une entrevue individuelle et plusieurs mini-entrevues. Par ailleurs, les étudiants admis ont accès à du soutien et à du mentorat, notamment offerts par le conseiller pédagogique du PFMPNIQ rattaché à leur faculté de médecine. « Cela se fait par l’entremise d’activités formelles et informelles, comme des rencontres individuelles en début de parcours, des soupers en groupe et l’intégration au comité facultaire sur la santé autochtone », précise la Dre Bois.

Dre Louise Gill

La Dre Louise-Josée Gill fait partie des premiers médecins issus du PFMPNIQ. Elle pratique au Centre de santé de Mashteuiatsh, dans la communauté innue où elle a grandi, ainsi qu’à l’Hôpital de Roberval. « J’ai toujours eu comme objectif de revenir à Mashteuiatsh après mes études. Les besoins sont immenses, et je voulais être une agente de changement. » Aujourd’hui, ce type de rôle est encouragé. Ainsi, les diplômés autochtones en médecine familiale peuvent obtenir en priorité une place dans le plan régional d’effectifs médicaux s’ils souhaitent exercer auprès des Premières Nations et des Inuits. Ce n’était toutefois pas le cas lorsque la Dre Gill a terminé ses études.

L’omnipraticienne de 36 ans s’investit dans diverses initiatives pour des soins culturellement adaptés et sûrs. Elle fait notamment partie du comité en santé autochtone du CIUSSS du Saguenay–Lac-Saint-Jean. « Il y a vraiment une conjoncture favorable pour la santé autochtone ainsi qu’une volonté politique, sociale et administrative », se réjouit-elle.

La Dre Gill vient par ailleurs d’accepter un mandat bien particulier. Une mission liée à la nouvelle Loi autorisant les communications des renseignements personnels aux familles d’enfants autochtones disparus ou décédés à la suite d’une admission en établissement. « Avec d’autres médecins, je vais accompagner des familles et les aider à comprendre les dossiers médicaux de leurs enfants. Ce sera lourd émotionnellement, mais c’est une démarche bénéfique pour le processus de guérison des familles. »

Adapter sa pratique

Concrètement, que peut faire un médecin pour donner des soins de qualité à ses patients autochtones et gagner leur confiance ? « D’abord, il faut accepter que ce soit aux patients de juger de la qualité et de la sécurité des soins qu’ils reçoivent, répond la Dre Geneviève Bois qui exerce au Centre médical Whapmagoostui, auprès d’une population crie. C’est un travail quotidien de s’adapter au milieu où l’on pratique et à nos patients, de créer un environnement où ils sont à l’aise. Je crois que cela passe par être le plus possible dans une posture d’écoute. »

Une attitude directive peut en effet nuire à la relation thérapeutique, estime aussi le Dr François Venne. « Par exemple, je propose un traitement plutôt que de l’imposer. Je prends également le temps de bien l’expliquer. » Le jeune médecin ne porte par ailleurs jamais la blouse blanche. C’est un détail, mais ce vêtement pourrait créer une distance avec ses patients autochtones. « Je mets des jeans et je fais des blagues avec eux », lance-t-il. Selon lui, une approche sécurisante consiste aussi à reconnaître que les pratiques de guérison traditionnelles peuvent cohabiter avec la médecine moderne.

Pour Édith Cloutier, il est important que le médecin soit sensible au vécu des peuples autochtones, aux tentatives d’assimilation, aux traumatismes intergénérationnels causés par les pensionnats et par la disparition de bébés dans les hôpitaux. « On ne demande pas aux médecins d’être des historiens, dit la directrice générale du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or. Mais ils doivent avoir une compréhension minimale du contexte dans lequel ils interviennent. »

Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, la Dre Louise-Josée Gill est du même avis. « Lorsqu’on reconnaît que notre patient porte un bagage émotionnel et génétique lié à l’histoire, ça se reflète dans nos paroles et dans nos gestes, dans notre manière de poser des questions et de faire nos examens. Par exemple, lorsque j’écoute les poumons de mes patients, il m’arrive de le faire par-dessus leur chandail, si c’est plus acceptable pour eux. »

Bien que l’élan pour améliorer l’accessibilité et la qualité des soins aux Autochtones ait commencé avant le décès de Joyce Echaquan, ce triste événement a agi comme un catalyseur. « Le changement est en marche, et les médecins font partie de la solution, affirme la Dre Pascale Breault. On n’efface pas 400 ans de colonialisme en quelques mois, mais chaque geste constitue un pas dans la bonne direction. » Avec une vision humaine, généreuse et inclusive, Guy Niquay, adjoint de la PDG du CISSS de Lanaudière, prône quant à lui la collaboration : « Partageons nos connaissances, nos compétences et nos expériences, on va avancer en risquant moins de se tromper. Ensemble, on va y arriver. » //