pour choisir le véhicule juridique de votre clinique médicale
Les Dres Legris et Fontana, deux bonnes amies, aimeraient travailler au sein de la même clinique médicale. Elles souhaitent toutes les deux joindre l’équipe d’un GMF comptant déjà huit médecins. Une visite préliminaire de cette clinique leur a beaucoup plu. Le médecin responsable du GMF leur offre de devenir associées. Associées ? Qu’est-ce que ça signifie au juste, demandent-elles ?
Me Pierre Belzile, avocat, est directeur du Service juridique de la FMOQ. Me Simon Chénard est associé au sein du groupe de droit des affaires chez Langlois avocats. Il y pratique le droit commercial et le droit des sociétés. |
Les médecins qui exercent dans une clinique médicale, ou qui souhaitent en fonder une, ne portent pas toujours une grande attention à la structure juridique de cette dernière ni au contenu contractuel qui en régit le fonctionnement. Société, incorporation, contrat, mise en commun, partage des dépenses, apports, responsabilité, association, SENCRL, etc. autant de mots, d’expressions ou d’acronymes qui en laissent souvent plus d’un incertain. Pourtant, ces questions sont capitales pour le bon fonctionnement d’une clinique médicale et peuvent avoir des conséquences légales et fiscales importantes. Par conséquent, comment peut-on bien établir sa structure juridique et son environnement contractuel ?
En vertu des lois qui régissent notre réseau public de santé et de services sociaux, une clinique médicale est définie comme un cabinet privé de professionnels. Autrement dit, c’est une entreprise privée. Les médecins qui exploitent ensemble une telle entreprise ont-ils été reconnus à titre de groupe de médecine de famille (GMF) par le ministère de la Santé et des Services sociaux ? Ça ne change rien à la donne, leur cabinet demeure une entreprise privée avec tout ce que cela comporte comme gestion au quotidien.
En conséquence, comme toute bonne entreprise, une clinique médicale doit, pour être gérée à son plein potentiel et limiter les risques auxquels ses propriétaires s’exposent, être bien structurée sur le plan juridique.
Les médecins qui exploitent collectivement une clinique médicale peuvent choisir plusieurs formes juridiques pour leur entreprise. Dans le langage courant, les médecins se désignent souvent comme des associés, c’est-à-dire comme des collègues qui gèrent en commun la société dont ils font partie. Mais connaissent-ils vraiment les divers types de société ?
En vertu du Code civil du Québec, il existe des sociétés de personnes et des sociétés par actions. Les sociétés de personnes peuvent être en nom collectif, en commandite ou en participation. Dans ce dernier cas, c’est une personne morale, c’est-à-dire une personne à part entière, distincte des personnes physiques qui en sont les actionnaires.
Nous voyons également, dans certains cas, des groupes ayant opté pour le statut de personne morale en créant un organisme à but non lucratif (OBNL). Des médecins peuvent également choisir de régir leurs relations d’affaires par un contrat d’association au sens du Code civil du Québec. Un tel contrat ne mène pas à la création d’une personne morale, mais demeure une structure à but non lucratif. D’ailleurs, cette forme juridique a été utilisée par plusieurs GMF lorsque le programme du ministère est entré en vigueur en 2004.
Où se trouve la « société de dépenses » dans cette énumération ? Fréquemment appelée « société nominale», la « société de dépenses » n’est pas comme tel une véritable société. Il s’agit d’abord et avant tout d’un regroupement de professionnels simplement liés par un contrat, généralement appelé « convention de partage des dépenses ».
Aux fins de cette chronique, nous mettrons volontairement de côté la société en commandite et la société en participation. Tout simplement parce que ces deux formes sont trop peu adaptées à l’exploitation d’une clinique médicale. Attardons-nous aux plus usuelles.
Cette forme juridique d’exploitation d’une entreprise est probablement la plus commune chez nombre de professionnels québécois, qu’ils soient notaires, avocats, comptables ou autres. Elle a pour base un contrat par lequel les associés conviendront, dans un esprit de collaboration, d’exercer une activité, notamment l’exploitation d’une entreprise, d’y contribuer par la mise en commun de biens, de connaissances ou d’activités et de partager entre eux les bénéfices pécuniaires qui en résultent. Cette forme de société peut certainement être choisie, selon qu’elle s’adapte bien à leur réalité propre, par des médecins qui souhaitent exploiter ensemble une clinique médicale et, surtout, partager les revenus qui en découlent.
Il est à noter que les revenus et dépenses de la société en nom collectif sont considérés comme les revenus personnels de chacun des associés, mais que les associés peuvent être tenus personnellement responsables des dettes de la société si les biens de cette dernière sont insuffisants pour qu’elle puisse s’acquitter de ses dettes.
Signalons qu’une telle société peut en plus être à responsabilité limitée (SENCRL). Elle est alors établie de façon à ce que la responsabilité civile des associés ne soit pas engagée en cas de faute professionnelle d’un autre associé. Ils demeurent néanmoins tenus personnellement responsables si la société ne dispose pas de suffisamment de biens pour s’acquitter de ses obligations, comme payer les loyers dus en vertu d’un bail ou les salaires et charges sociales des employés.
Comme nous l’avons mentionné précédemment, la « société de dépenses » n’est pas une véritable société comme l’est une société en nom collectif. Il s’agit plutôt d’une entente contractuelle dont conviennent plusieurs médecins qui, d’un commun accord, décident des règles de fonctionnement de leur clinique médicale et du partage des dépenses qu’elle engendre.
Cette forme de regroupement ne crée pas une personne morale et n’offre pas tous les mêmes avantages que la société en nom collectif. À titre d’exemple, chaque médecin peut être personnellement tenu responsable face aux tiers relativement au paiement des dépenses contractées par les autres médecins de la clinique à titre de membres de la clinique. Il conservera néanmoins un recours contre ses associés pour que chacun assume sa part.
Comme nous l’avons indiqué précédemment, la société par actions est une personne morale, soit une personne distincte de ses actionnaires et administrateurs. Au Québec, les personnes morales ont la capacité requise pour exercer tous leurs droits de façon autonome, distinctement de leurs actionnaires. Elles peuvent conclure des contrats, détenir des biens et disposent même d’un droit à la réputation.
La responsabilité des actionnaires se limite au prix de souscription de leurs actions. Cette règle comporte toutefois certaines exceptions, notamment pour les actes professionnels posés par un actionnaire ou encore si l’actionnaire est un administrateur ou un dirigeant.
Les relations entre les médecins de la clinique constituée sous forme de société par actions sont régies par une convention entre actionnaires. Il est important pour ces médecins de conclure une telle convention entre actionnaires afin de bien encadrer la gouvernance de la clinique et de prévoir les modalités en vertu desquelles un ou plusieurs médecins peuvent se retirer de la société, en plus de plusieurs autres aspects de leur relation.
L’association est le contrat par lequel des personnes conviennent de poursuivre un but commun autre que la réalisation de bénéfices pécuniaires à partager entre les membres de l’association. La notion de « membre » est ici à retenir. On est membre d’une association. Comme nous le mentionnions, les premiers GMF ont souvent utilisé cette forme de regroupement. D’ailleurs, combien de fois entend-on des médecins dire qu’ils sont « membres » d’un GMF.
Une association est donc un organisme à but non lucratif. D’autres types de structures peuvent également être utilisées afin de gréer un organisme à but non lucratif, dont les entités régies par la partie III de la Loi sur les compagnies. Ces entités sont, contrairement aux associations régies par le Code civil du Québec, des personnes morales, tout comme les sociétés par actions. Par contre, plusieurs restrictions s’y appliquent en raison de leur nature à but non lucratif, de sorte qu’elles sont de moins en moins utilisées pour l’exploitation de cliniques médicales, telles que les GMF.
Soulignons que certaines des structures juridiques précédentes ne peuvent pas être utilisées si les actes médicaux posés par les médecins sont effectués au nom de cette entité. En effet, l’exercice de la profession médicale n’est possible qu’à titre personnel ou au sein d’une société par actions ou d’une société en nom collectif à responsabilité limitée (SENCRL), dans la mesure où ces entités respectent les conditions établies par le Règlement sur l’exercice de la profession médicale en société, dont la production d’un formulaire auprès du collège des médecins.
Les autres types de véhicules juridiques que nous avons décrits peuvent néanmoins être utilisés pour les autres aspects de la pratique, comme la conclusion d’un bail, l’embauche d’employés et la conclusion de contrats avec des tierces parties, dont le ministère de la Santé et des Services sociaux, en vertu du Programme des GMF.
Faire les bons choix dans l’exploitation de son entreprise demande du temps et, dans la plupart des cas, l’aide de spécialistes. Le choix d’un véhicule juridique pour l’exploitation de sa clinique médicale est d’une importance capitale pour en assurer le bon fonctionnement et la pérennité et pour optimiser la situation légale et fiscale de chacun des médecins qui y exercent. Une clinique, pour être bien gérée, doit posséder une structure adaptée à ses besoins et à sa réalité.
Les cliniques médicales, qu’elles soient déjà établies, nouvelles, GMF ou non, ne sont plus les cabinets d’antan. Ce sont de véritables entreprises dans lesquelles travaillent une foule de personnes. L’attention accordée à la forme juridique et à l’encadrement contractuel de la clinique est donc un élément important dans son succès et dans sa capacité à attirer de nouveaux médecins.
Les médecins ont donc tout intérêt à s’entourer de conseillers juridiques et de comptables spécialisés qui sauront bâtir avec eux ou revoir la forme légale et le cadre conventionnel qui leur convient le mieux dans leur contexte de pratique. //