Nouvelles syndicales et professionnelles

Une rémission du diabète ?

un objectif possible grâce au changement intensif des habitudes de vie

Élyanthe Nord  |  2022-05-30

On sait maintenant que le diabète et le prédiabète sont des maladies potentiellement réversibles. Mais comment s'y prend-on pour aider un patient à retrouver une glycémie normale ?

Dr Josep Iglesies-Grau

Il est possible d’inverser le processus du diabète de type 2. De rendre des patients diabétiques normoglycémiques. Et ce, uniquement avec des changements d’habitudes de vie. À la Clinique de prévention et traitement du diabète du Centre ÉPIC, le Dr Josep Iglesies-Grau, épaulé par une équipe multidisciplinaire, le fait actuellement.

Le jeune cardiologue espagnol, qui effectue une surspécialisation en prévention et en réadaptation cardiovasculaire, a réussi, avec ses collaborateurs, à permettre à 5,4 % d’un groupe de 159 diabétiques d’obtenir une rémission complète de leur maladie (HbA1c 5,7 %). En outre, 41 % sont parvenus à une rémission partielle (HbA1c 6,5 %) (tableau I).

Tableau I

Les résultats sont encore meilleurs chez les prédiabétiques. Ainsi, 24 % des 72 patients de cette catégorie ont retrouvé une hémoglobine glyquée totalement normale. Chez tous, diabétiques et prédiabétiques, le poids et l’indice de masse corporelle avaient baissé, de même que le tour de taille et le taux d’insuline (tableau II).

Tableau II

Le type d’intervention dont ces 231 patients ont bénéficié ? Des mesures sur le plan de l’alimentation et de l’activité physique. Les sujets étaient suivis par un médecin, une infirmière, une nutritionniste et un kinésiologue. La bataille n’était pas gagnée d’avance : l’âge moyen des sujets était de 67 ans, 48 % avaient déjà une maladie coronarienne et 54 % prenaient des antihyperglycémiants.

Le Dr Iglesies-Grau, qui vient de dévoiler ces données explo­ratoires au congrès de l’Association européenne de cardio­logie préventive, a par ailleurs reçu un prix pour la présentation en ligne de son affiche1. Maintenant, cependant, il veut aller plus loin. « Nos résultats sont bons, mais pas assez. On peut faire plus pour les patients », dit-il. En septembre dernier, en collaboration avec son équipe, il a intensifié son programme et, en février, a entrepris deux nouvelles études au protocole encore plus poussé.

Une notion nouvelle

La rémission du diabète est une notion très nouvelle. L’an dernier, l’American Diabetes Association a adopté sa première définition officielle : « Un retour de l’HbA1c à moins de 6,5 % qui survient spontanément ou à la suite d’une intervention et qui persiste pendant au moins trois mois sans recours à la pharmacothérapie hypoglycémiante habituelle. » Une centaine d’autres définitions existent toutefois, dont certaines fixent une cible d’hémoglobine glyquée beaucoup plus basse, soit 5,7 %.

Dorénavant, on sait donc que le processus du diabète peut être inversé. Et cette nouvelle possibilité change complètement la vision de la maladie. Jusqu’à présent, la médecine moderne, très efficace dans le traitement du diabète, regardait peu en amont. « On ne se demandait pas pourquoi le patient en était rendu là. Maintenant, la tendance est de s’intéresser aux causes de l’insulinorésistance. On doit s’interroger sur ce qu’on peut faire pour que cette base inflammatoire produite par une alimentation inadéquate et le manque d’exercice physique soit bien prise en charge », affirme le Dr Iglesies-Grau.

La rémission du prédiabète, elle, constitue une notion encore plus inusitée. « C’est davantage un concept de recherche que de clinique, précise le cardiologue. En 2022, il n’existe même pas de consensus mondial sur la définition du prédiabète. Dans notre étude, nous avons utilisé le seuil d’hémoglobine glyquée de 5,7 % qui est employé aux États-Unis. Au Canada, cependant, il a été fixé à 6 %. »

Et il n’y a pas non plus de traitement clair et efficace du prédiabète. « La plupart des médecins ne cherchent pas à détecter ce problème, parce qu’ils ignorent quoi faire le cas échéant. En ce qui nous concerne, nous pensons qu’avec un changement très intensif des habitudes de vie, on peut peut-être aider le patient à renverser le processus. »

Interventions nutritionnelles

Dr Martin Juneau

Comment procède-t-on pour obtenir la rémission du diabète ou du prédiabète ? « La clé, c’est la nutrition. La rémission est fonction de la perte de poids et de la diminution de la graisse hépatique et abdominale », explique le Dr Martin Juneau, directeur de la prévention et de la réadaptation cardiovasculaire à l’Institut de Cardiologie de Montréal, auprès duquel le Dr Iglesies-Glau fait sa surspécialisation.

Après son étude sur les 231 patients, l’équipe a analysé ses données. « Un taux de rémission partielle du diabète de 41 % et de rémission totale de 5 %, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant, estime le Dr Iglesies-Glau. Les résultats de l’étude nous ont beaucoup aidés à voir où il fallait mettre plus de ressources. Et la réponse, c’est vraiment dans le volet nutritionnel. »

La perte de poids était par ailleurs un facteur crucial. Les sujets qui avaient maigri de plus de 3,5 kg avaient environ quatre fois plus de chance de connaître une rémission partielle du diabète. « Avec l’intervention, le patient perdait plus ou moins 5 % de son poids. C’est trop peu. Selon les études, les personnes qui réussissent à perdre 10 % ou 15 % ont beaucoup plus de chances d’atteindre une rémission du diabète. »

Les chercheurs ont donc entre autres ajouté à leur programme des rencontres avec la nutritionniste. « Quatre-vingts pour cent de la réussite vient de l’alimentation et 20 %, de l’exercice physique », mentionne le cardiologue espagnol. Le volet nutritionnel que propose la Clinique de prévention et traitement du diabète du Centre ÉPIC, maintenant plus poussé, repose sur trois étapes.

1) Produits transformés

La première phase est l’élimination des produits transformés et ultratransformés. « Ces aliments sont très riches en sucre et en graisse. Quand on en mange, on a un énorme pic d’insuline qui entraîne une accumulation d’énergie dans le corps. C’est un mécanisme que l’on déclenche tous les jours, plusieurs fois par jour, explique le spécialiste. Quand on est atteint de prédiabète ou de diabète de type 2, on est rendu à une étape où l’on garde trop d’énergie dans des organes qui ne devraient pas stocker de graisse. Il faut donc diminuer la production d’insuline. Cela permet de brûler notre propre graisse, de perdre du poids et de commencer à renverser le processus de résistance à l’insuline. »

La nutritionniste de l’équipe indique, par conséquent, au patient les bons choix d’aliments. « Le problème, c’est que la plupart des produits dans les épiceries sont transformés. En Amérique du Nord, la moitié des calories ingérées quotidiennement viennent des aliments transformés. » Ces produits, en outre, perturbent les signaux de satiété et favorisent l’inflammation.

2) Régime méditerranéen à faible teneur en glucides

La deuxième étape est l’adoption d’une alimentation méditerranéenne modifiée. « La nourriture méditerranéenne a beaucoup de bienfaits, mais est constituée d’environ 60 % de glucides. Quand on est en bonne santé, on peut en manger, stocker de l’énergie et la brûler. Cependant, les gens prédiabétiques ou diabétiques ont un problème de gestion des glucides. On leur propose donc une alimentation méditerranéenne qui en comporte moins de 40 %. On leur conseille surtout de diminuer les quantités, par exemple, en consommant moins de riz, de céréales et de pain. On essaie parallèlement d’augmenter les bonnes graisses et surtout les aliments frais riches en fibres. Ces dernières font aussi partie des glucides, mais leurs bienfaits, dont l’augmentation de la satiété, sont énormes », indique le Dr Iglesies-Grau.

3) Jeûne intermittent

Non seulement les aliments que le patient mange sont importants, mais le moment où il le fait aussi. La clinique du diabète propose ainsi le jeûne intermittent à ceux qui le désirent. Il dure en général de douze à seize heures et peut être effectué plusieurs fois au cours de la semaine (voir Le Médecin du Québec de février 2022).

« Que se passe-t-il quand on jeûne ? Après le souper, le taux d’insuline monte, puis descend durant la nuit et, tout à coup, le matin, on déjeune et l’insuline monte encore une fois. Avec le jeûne, on prolonge la période pendant laquelle l’insulinémie est basse et où l’on brûle notre propre énergie, dit le Dr Iglesies-Grau. Il s’agit donc d’un outil de plus que l’on offre aux patients intéressés qui ont tout essayé. »

Le Dr Juneau, pour sa part, croit beaucoup en cette méthode. « Pour avoir tenté pendant des dizaines d’années de faire perdre du poids à mes patients, je sais que le jeûne intermittent est beaucoup plus efficace que seulement un régime hypocalorique », mentionne-t-il.

Le jeûne intermittent non seulement diminue la sécrétion d’insuline et permet de brûler la graisse, mais réduit aussi le nombre de calories ingérées. « Souvent, les gens vont finir par éliminer le grignotage et ne prendre que deux et parfois qu’un seul repas par jour. Il est cependant très important que ces repas soient adéquats. C’est pour ça que l’on choisit de procéder par étape », indique Dr Iglesies-Grau.

Exercice

L’activité physique est l’autre carte maîtresse dans la partie contre le diabète de type 2. Pour améliorer la maîtrise de la glycémie, la meilleure formule est une association d’exercices aérobiques et musculaires. « Avoir de la masse musculaire protège contre la résistance à l’insuline. Plus on a de muscle, meilleure est notre capacité à la fois de brûler et de stocker adéquatement de l’énergie », explique le jeune cardiologue.

Les 231 patients de son étude devaient ainsi effectuer chez eux (à cause de la pandémie) cinq fois par semaine des séances de trente minutes d’exercices aérobiques modérés dans lesquelles ils pouvaient inclure des intervalles à haute intensité. Ils devaient également pratiquer des exercices de résistance.

À la lumière de leurs résultats, le chercheur et ses collaborateurs ont aussi intensifié ce volet de leur programme. « On a vu que ce n’était pas assez. Notre clinique du diabète offre maintenant des séances personnalisées d’entraînement physique où les patients diabétiques peuvent venir trois fois par semaine. Ils s’entraînent en présence d’un kinésiologue qui leur montre les exercices, contrôle la fréquence cardiaque et les aide à s’entraîner à un degré modéré ou intense. » L’entraînement est ainsi devenu plus encadré et plus vigoureux.

Le Dr Iglesies-Grau teste toutefois dans ses deux projets de recherche un programme encore plus intense. « L’entraînement consiste en une heure d’exercices aérobiques à haute intensité trois fois par semaine, accompagné de nombreux exercices musculaires afin de vraiment favoriser le retour à une glycémie normale. »

Les bienfaits de l’activité physique ont cependant leurs limites. « Je crois que c’est une énorme erreur de penser que le remède contre le diabète ou le prédiabète, c’est seulement de faire plus d’exercice. C’est un outil très important, mais la solution passe surtout par l’alimentation. L’activité physique ne permettra jamais de brûler suffisamment d’énergie pour retrouver une glycémie normale. »

Le patient partenaire

À quel type de patients peut-on proposer un programme visant la rémission du diabète de type 2 ? « À une personne prête à changer ses habitudes de vie et dont la maladie est relativement récente. Si le diabète date de trois ou quatre ans, les mesures pourront fonctionner, mais après 25 ou 30 ans, c’est un peu plus difficile », affirme le Dr Juneau.

Comme la formule est très exigeante, le concept de patient partenaire est crucial. « Je crois beaucoup à cette notion. On donne toute l’information au patient, et c’est à lui de choisir. On ne lui défend pas de manger tel aliment. On lui mentionne plutôt que s’il veut tricher, il peut le faire, mais doit savoir ce qui se passe. Quand il grignote, il dit à son corps : “sécrète de l’insuline”. Pour atteindre ses objectifs, il doit être conscient de ce qu’il fait. »

Est-ce que beaucoup de sujets ont quitté prématurément le programme ? « Dans notre étude, il n’y a eu qu’environ 9 % d’abandons. Je pense que ce qui motivait les patients, c’est que tout à coup on leur offrait un programme pour essayer d’inverser le processus de leur diabète ou de leur prédiabète. Les interventions étaient gratuites et leur permettaient d’être bien encadrés. On leur a dit qu’on allait les prendre en charge, leur offrir des rencontres avec la nutritionniste et les aider à s’entraîner physiquement. »

Mais que peut faire de son côté un omnipraticien, seul dans son cabinet, pour aider ses propres patients ? Il lui est impossible de leur offrir toutes ces mesures. « C’est catastrophique pour un médecin de famille de traiter le diabète s’il n’a pas d’aide, estime le Dr Juneau. Je ne peux pas lui dire de nous envoyer ses patients, parce que nous ne serons jamais capables de tous les prendre. Ce que j’espère, c’est que progressivement les groupes de médecine de famille sachent que la rémission du diabète est possible, qu’ils engagent des nutritionnistes et acquièrent une expertise. » //

Encadré

Intervenir dès le début de la résistance à l’insuline

Pour lutter efficacement contre le diabète, il faut intervenir tôt. Très tôt. Avant que l’hémoglobine glyquée du patient n’atteigne 6,5 %. Avant même qu’il soit prédiabétique. En fait, c’est dès l’apparition de la résistance à l’insuline qu’il faut commencer le combat.

« On voit pendant une longue période des gens jeunes ayant une obésité centrale, un taux de triglycérides qui commence à être élevé et un taux de cholestérol HDL qui descend et l’on ne sait pas quoi faire », explique le Dr Josep Iglesies-Grau, cardiologue et moniteur clinique à l’Institut de Cardiologie de Montréal et à la Clinique de prévention et traitement du diabète du Centre ÉPIC.

La solution ? Déterminer si le patient a une résistance à l’insuline. Pour le savoir, explique le spécialiste, il faut recourir à l’indice HOMA-IR (homeostasis model assessment of insulin resistance) qui se calcule de la façon suivante :

glycémie à jeun (mmol/l) X insulinémie à jeun (pmol/l)
135

Habituellement, lorsque la glycémie et l’insulinémie sont basses, l’indice HOMA-IR donne 1. Plus elles sont hautes, plus le résultat est élevé. Une valeur supérieure à 2 révèle ainsi le début d’une insulinorésistance. « Si le résultat est 2 et que notre glycémie est normale, cela signifie que notre insulinémie est multipliée par 2. On a besoin du double d’insuline pour garder notre taux de glucose bas. Si le résultat est de 3, on a besoin de trois fois plus l’insuline. »

L’indice HOMAR-IR permet ainsi de mesurer un phénomène invisible. « La glycémie reste normale pendant des années, mais le taux d’insuline, lui, ne cesse de monter chez bien des gens. Si on calculait cet indice plus souvent, on détecterait beaucoup plus rapidement le prédiabète », affirme le Dr Iglesies-Grau.

La Clinique de prévention et traitement du diabète s’occupe d’ailleurs non seulement des patients diabétiques et prédiabétiques, mais aussi des clients du Centre ÉPIC dont le bilan sanguin révèle une résistance à l’insuline. Dès que l’indice HOMAR-IR atteint 3, des changements intenses d’habitudes de vie leur sont proposés. « C’est une démarche vraiment très spéciale que je n’ai jamais vue ailleurs dans le monde. On mesure la résistance à l’insuline et on offre une intervention précoce, indique le spécialiste. Si tous les autres patients atteints avaient accès à ces mesures et pouvaient savoir qu’ils sont sur le chemin du diabète ou du prédiabète, ils pourraient eux aussi commencer à changer leurs habitudes de vie. On n’aurait peut-être pas cette pandémie de diabète et de prédiabète, de maladies cardiovasculaires, de maladies cérébrales, de cancers, d’obésité et d’autres problèmes. »

Le jeune cardiologue a une nouvelle vision de la médecine. Une approche plus préventive que curative. « Je pense que la structure principale du système de santé devrait être un centre de prévention qui consisterait en une clinique de médecine familiale avec nutritionnistes, kinésiologues et infirmières qui aideraient le patient à être en bonne santé. On éviterait ainsi d’intervenir trop tard, quand les gens sont malades et que l’on ne peut que traiter leur affection. »

Bibligraphie

1. Iglesies-Grau J, Dionne V, Latour E et coll. The short-term impact and sustainability of multiple lifestyle interventions on metabolic health and remission of prediabetes and type 2 diabetes: A two-year experience. Affiche présentée au congrès annuel de l’European Association of Preventive Cardiology, Prague, 8 avril 2022.