L’encadrement du régime de santé et de sécurité au travail a fait l’objet d’une réforme importante avec l’adoption et la mise en vigueur de la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité au travail l’automne dernier. Certains changements vont devenir effectifs à la suite de l’adoption de règlements par la CNESST. Il y aura des répercussions pour les médecins employeurs, mais aussi pour les soignants, qu’ils soient participants ou non participants. Question de se préparer, faisons le tour de ces changements.
Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. |
L’entente tarifaire avec la CNESST est échue depuis le 31 mars 2021. Normalement, fédérations et CNESST la renégocient tous les trois ans, et les nouveaux tarifs s’appliquent à compter de la deuxième année de l’entente. En raison d’une réforme importante du cadre de la loi, la renégociation a été reportée. Il faut donc s’attendre à des modifications tarifaires d’ici avril 2023 ou à une rétroaction dans certains cas au 1er avril 2022. Nous vous informerons de l’évolution de ce dossier.
Trois changements touchent plus particulièrement les médecins soignants, soit ceux relatifs à l’assignation temporaire, au certificat pour une maternité sans danger et aux médecins non participants. Plusieurs autres modifications ont un effet sur les employeurs et les travailleurs, mais nous nous concentrerons sur ceux qui touchent le quotidien des médecins qui prodiguent des soins aux travailleurs.
Avant d’aborder les éléments les plus importants, soulignons quelques modifications qui se répercutent sur le cadre auquel les médecins sont habitués.
La CNESST se voit octroyer le pouvoir de publier des règlements touchant différents aspects de la loi. Elle statuera sur différentes maladies présumément liées à une exposition au travail et sur d’autres sujets qui auront sans doute un effet sur le traitement des maladies chroniques ou des cancers pouvant être liés à une exposition au travail. Parmi les règlements, la CNESST statuera sur les produits pharmaceutiques et les services (physiothérapie et ergothérapie) couverts selon les cas et les conditions fixées par le règlement.
Depuis longtemps, les « domestiques » sont exclus de la couverture du régime de la CNESST. Peut-être n’avez-vous jamais remarqué, mais vous n’avez sûrement jamais eu à remplir des rapports de CNESST pour des gardiennes d’enfants, des employés de maison ou des personnes au pair. Cette situation risque de changer. En effet, depuis le 6 avril 2022, les travailleurs domestiques qui exerce une certaine charge minimale pour un même particulier, soit 420 heures par année ou sept semaines consécutives à raison d’au moins 30 heures par semaine, sont dorénavant assurés. Les étudiants qui faisaient un stage en entreprise étaient aussi exclus du régime. La loi a été modifiée le 6 avril pour les rendre admissibles.
Une autre réalité qui agaçait certains médecins était le fait qu’ils devaient remplir les certificats du programme pour une maternité sans danger pour les patientes des sages-femmes. Cette réalité changera sous peu. À compter du 1er janvier 2023, les sages-femmes seront autorisées à les remplir, au même titre que les IPS qui le sont déjà. Bien qu’on parle de rapport de professionnels de la santé (plutôt que rapports médicaux), les IPS ne peuvent toujours pas remplir les rapports médico-administratifs de la CNESST. Cette réalité va également changer lors de la publication du règlement correspondant, mais aucune date cible de publication n’est encore fixée.
Enfin, depuis son adoption en 2021, la loi énonce clairement que les lésions professionnelles peuvent être autant de nature physique que psychique. Il persistera sans doute des difficultés d’application dans certains domaines où la nature du travail expose les travailleurs à des situations difficiles (personnel d’urgence), mais les règles devraient s’éclaircir avec le temps.
Avec la publication prochaine d’un nouveau formulaire d’assignation temporaire du travail, le médecin aura l’obligation d’utiliser le formulaire de la CNESST, de donner son avis sur jusqu’à deux postes de remplacement proposés et de décrire les limitations fonctionnelles temporaires du travailleur. |
Les changements favorisent les travailleurs blessés en réadaptation, même avant la consolidation de leur lésion. Ces changements touchent essentiellement les employeurs. Depuis le 6 octobre 2021, la CNESST peut proposer une mesure de réadaptation avant la consolidation, mesure qui doit être soumise au professionnel de la santé qui traite le travailleur. Ce professionnel doit l’approuver si elle est appropriée à l’état de santé du travailleur. Il n’y a toutefois pas d’obligation de consulter le professionnel en question si la mesure de réadaptation n’a aucun effet sur l’état de santé du travailleur. Un tarif existe déjà pour la réponse du médecin à de telles demandes.
Il y a deux grands changements dans ce secteur. D’abord, la CNESST modifiera le formulaire d’assignation temporaire dans un règlement. Lorsque le nouveau formulaire sera publié, les entreprises ne pourront plus utiliser des « formulaires maison ». Ce sera donc la fin des formulaires maisons non conformes comportant une panoplie d’emplois possible sur lesquels le médecin doit cocher les tâches compatibles avec l’état du travailleur.
L’assignation dépend toujours de l’approbation du médecin. Si ce dernier n’approuve pas le travail proposé, il devra se prononcer sur au plus un deuxième choix indiqué sur le même formulaire. De plus, dans tous les cas, il devra énumérer les limitations fonctionnelles temporaires du travailleur qui résultent de sa lésion. Cette nouvelle exigence nécessitera une adaptation de la part de plusieurs médecins.
Le tarif pour remplir le rapport devra sans doute être ajusté à la suite de ces changements. Nous attendons justement que la CNESST nous soumette une copie du nouveau rapport pour entamer ce processus.
Enfin, le texte de loi précise que même si un travailleur peut contester l’avis du médecin sur l’assignation temporaire, l’employeur ne peut le faire.
La loi interdit à tout professionnel de facturer à un travailleur le coût de services qui relèvent de la CNESST. Anciennement, le professionnel non participant devait facturer ses services à la CNESST directement. Le législateur a maintenant créé une exception. Le professionnel non participant devra se faire payer par le travailleur, qui se fera rembourser par la CNESST. Le remboursement se limite aux tarifs de la RAMQ. Toutefois, rien ne semble obliger le professionnel non participant à s’en tenir à ces tarifs. Nous cherchons à valider cette lecture auprès de la CNESST. Cette modification entrera en vigueur à la date de l’adoption du règlement par la CNESST. Pour les professionnels en cause, c’est un événement à surveiller.
Il est à noter que la CNESST ne rembourse que les services assurés par la RAMQ. C’est donc dire que les services non assurés doivent être assumés par le travailleur. La Fédération a demandé à la CNESST de lui préciser son évaluation de services dont le statut varie selon le lieu ou la nature du professionnel, en particulier l’échographie, ainsi que le fonctionnement attendu des médecins participants qui rendent certains services non assurés, comme les injections de plasma riche en plaquettes et la prolothérapie.
Les professionnels qui ne sont pas visés par la Loi sur l’assurance maladie (ex. : physiothérapeutes et ergothérapeutes) devront continuer de réclamer le coût de leurs services auprès de la CNESST. La loi prévoit la mise en place d’un régime de « fournisseurs » pour ceux qui offrent des services rémunérés par la CNESST en vertu de la loi. Ces fournisseurs sont alors soumis à un régime de contrôle comparable à celui de la RAMQ pour s’assurer que les services sont réellement fournis, sont conformes, ne sont pas faussement décrits et respectent la tarification. Ils auront dix jours pour faire des commentaires si jamais ils reçoivent une demande de la CNESST. Par la suite, cette dernière tranchera et pourra procéder par compensation pour récupérer ce qui n’aurait pas dû être payé.
Premier changement, comme pour l’assignation temporaire de travail, le professionnel qui assure le suivi de la grossesse devra utiliser le formulaire de la CNESST. Toutefois, il n’aura pas nécessairement à consulter un médecin de la CNESST. Il pourra simplement consulter les protocoles de la Santé publique, sur le site de la CNESST, pour déterminer si les conditions de travail de la travailleuse enceinte comportent des dangers physiques pour l’enfant à naître ou, du fait de sa grossesse, pour elle-même.
En l’absence de protocole visant les conditions de travail et les dangers associés dans une situation particulière, le professionnel doit obligatoirement consulter un médecin de santé et de sécurité ou le directeur de santé publique. L’ensemble des modifications concernant la maternité et l’allaitement prendront effet le 1er janvier 2023.
Nous aurions aimé vous livrer les nouveaux tarifs pour certains de ces services, mais ils ne sont malheureusement pas encore disponibles. Ce n’est que partie remise. Les explications vous permettront quand même de vous préparer à certains changements à venir. Le mois prochain, nous traiterons du jugement récent de la Cour d’appel concernant les services non assurés D’ici là, bonne facturation ! //
Le médecin non participant devra facturer ses services aux travailleurs couverts par la CNESST, et cette dernière remboursera au travailleur le tarif assuré pour les services reçus. |