Nouvelles syndicales et professionnelles

La capitation mixte

prochain mode de rémunération des médecins de famille

Élyanthe Nord  |  2022-06-29

Le mode de rémunération des médecins de famille va changer. Et cette modification va peut-être transformer la manière de pratiquer.

Dr Rivard

Plusieurs ne s’en sont pas vraiment rendu compte. Cependant, dans les cabinets, les omnipraticiens ont déjà commencé à se diriger vers la capitation. Selon les derniers chiffres, les forfaits représentent 33 % de leur rémunération, alors qu’ils n’en constituaient que 20 % en 2009.

Ces sommes forfaitaires sont maintenant nombreuses : montant pour la prise en charge de la clientèle vulnérable, forfait d’inscription générale, banque d’heures en GMF, montant pour les communications, etc. Une dizaine en tout (encadré).

Même le tarif à l’acte comprend un forfait. « Le forfait à la visite a été intégré dans le tarif de plusieurs actes en juin 2016. Si on considère cette partie comme de la capitation, la portion de capitation de la rémunération des omnipraticiens passe de 33 % à 44 % », a expliqué le Dr Claude Rivard, membre du conseil d’administration de la FMOQ, au cours d’un atelier sur la capitation donné dans le cadre du congrès « Ensemble pour se renouveler ».

Mais qu’est-ce exactement la capitation ? « Il s’agit d’une méthode de rétribution des soins de santé fondée non pas sur le nombre d’actes et leur nature, mais sur le nombre de personnes couvertes par le régime, a indiqué le président de l’Association des médecins omnipraticiens de Richelieu–Saint-Laurent. En clair, un médecin est payé selon le nombre et la lourdeur des patients inscrits à son nom. » Ce mode de rémunération ne s’applique toutefois qu’à la première ligne.

Capitation pure ou mixte

Encadré

Avec la capitation pure, peu importe le nombre de consultations, le salaire est fixe et connu d’avance. Pour certains, il pourrait donc être tentant de n’inscrire que des personnes en bonne santé. Et d’en inscrire énormément.

Que se passerait-il alors ? « Si un médecin inscrit 4000 patients, il risque de ne pas pouvoir tous les voir, indique le Dr Rivard. Ces personnes, pour lesquelles il a été payé, consulteront alors d’autres médecins de la clinique au service de consultation sans rendez-vous. Cette situation pourrait causer des frictions. Le médecin qui voit le patient voudra être rémunéré. Et le ministère ne paiera pas deux fois. » Le prix de la consultation pourrait donc être déduit de la rémunération du premier médecin.

Une formule plus intéressante est la capitation mixte. Un certain pourcentage de la rétribution est constitué d’un forfait d’inscription et le reste d’un pourcentage des paiements à l’acte. Le forfait doit être suffisamment important pour encourager l’augmentation de la patientèle, mais la rétribution des actes doit être assez élevée pour favoriser les consultations. Ce mode de rémunération pourrait être le prochain des omnipraticiens en première ligne.

L’aide des infirmières

La nouvelle formule demandera aux médecins de famille une adaptation. Il leur faudra développer leur entrepreneuriat, estime le Dr Rivard. « Quand vous allez chez le dentiste, combien de temps le voyez-vous ? Combien de temps voyez-vous l’hygiéniste ? À la pharmacie, vous ne voyez pas le pharmacien. Lorsque vous allez chez votre comptable, il y a souvent une aide-comptable. Il est temps que, comme professionnels, nous allions nous-mêmes chercher de l’aide. » Et cette aide peut venir d’une infirmière embauchée par le médecin lui-même.

Déjà, avec la charge de travail actuelle, la situation est difficile pour les cliniciens. « Présentement, le constat, c’est qu’on ne peut pas faire le travail. Il faut absolument qu’on ne soit plus tout seuls à tirer la charrette. »

Il y a trois ans et demi, le Dr Rivard a lui-même engagé une infirmière. Sa vie professionnelle s’en est trouvée transformée. Au cabinet, elle rencontre les patients avant lui. Quand il arrive, les bébés sont ainsi mesurés et pesés. Il peut ne voir que brièvement les patients qui se présentent pour leur injection de B12, de Depo-Provera ou pour leur traitement de désensibilisation. « Si un patient qui n’est pas venu depuis deux ans a douze problèmes à régler, l’infirmière va les avoir décortiqués. Quand c’est nécessaire, les résultats d’analyses sont déjà dans le dossier. »

Pour les visites à domicile, l’infirmière passe avant le médecin et fait la collecte des données. Elle remplit aussi les formulaires d’assurance que le Dr Rivard n’a qu’à réviser et à signer. « Il y a moyen d’avoir un cabinet efficace grâce à une infirmière qui va nous épauler. Je ne fais pas plus d’argent, parce que je dois payer un salaire, mais mon équilibre mental s’est beaucoup amélioré. »

Des questions en suspens

Tant le gouvernement que la Fédération souhaitent changer le mode de rémunération des médecins de famille. « C’est sûr que l’on s’en va vers la capitation mixte. Pourquoi ? Parce qu’elle offre la possibilité de favoriser l’inscription et de financer le médecin qui veut payer une infirmière pour l’aider », a mentionné le conférencier.

Le nouveau système permettra d’ailleurs au clinicien d’être rétribué même s’il ne voit pas lui-même le patient. Le service pourra être rendu par la collaboratrice qu’il a embauchée. « Si la pression a été prise ou un mini-examen de l’état mental a été fait, même si ce n’est pas par le médecin, ce dernier va être payé. Le patient, lui, est satisfait parce qu’il a eu des soins. »

La clé sera donc de trouver un équilibre entre le nombre de patients inscrits et la capacité du médecin, ou de l’équipe qu’il forme avec son ou ses infirmières, de prendre en charge les patients. « Si vous inscrivez plus de patients, cela vous amènera des revenus supplémentaires, et l’infirmière que vous engagerez vous aidera à suivre ces gens. »

Pour l’instant, les discussions avec le gouvernement sont encore au stade préliminaire. De nombreux points restent à définir. Par exemple, quels seront les critères pour établir le montant des forfaits ? « La somme liée à la jeune femme de 21 ans qui prend la pilule sera moins élevée que celle rattachée à l’homme de 70 ans très malade. »

D’importantes questions doivent également être réglées. « Est-ce que la participation sera volontaire ou obligatoire ? demande le Dr Rivard. Est-ce que les médecins de tous les GMF et de toutes les cliniques y adhéreront ? Est-ce que ce mode de rémunération sera inclus dans le futur programme GMF ? Ce sont des aspects dont on n’a pas discuté. » Et que se passera-t-il pour les omnipraticiens qui ont des pratiques particulières, par exemple qui travaillent en obstétrique ou dans le domaine musculosquelettique ou encore qui enseignent ?

De nombreuses interrogations sont donc en suspens. Néanmoins, le processus est enclenché. « La capitation s’en vient... Serez-vous prêts ? » a, pour finir, demandé le Dr Rivard. //