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Allergies alimentaires

introduction précoce des aliments allergènes

Élyanthe Nord  |  2022-08-30

Comment éviter qu’un enfant devienne allergique à certains aliments ? Pour prévenir un cas, il faut introduire les allergènes dans l’alimentation de 63 bébés. Ce nombre de patients à traiter vient d’être déterminé par une nouvelle étude du Lancet. L’essai clinique révèle que le fait d’exposer un enfant de 3 mois aux arachides, aux œufs, au blé et au lait de vache réduit ses risques d’allergies à 36 mois1.

Dr Philippe Bégin

On savait que chez les enfants à haut risque, les aliments allergènes devaient être inclus précocement dans l’alimentation. « Dans cet essai-ci, les sujets appartiennent à la population générale. C’est un élément nouveau. Avec un nombre de patients à traiter de 63, cette mesure vaut la peine d’être adoptée », estime le Dr Philippe Bégin, directeur de la Clinique d’immunothérapie orale du CHU Sainte-Justine

L’essai clinique, Preventing Atopic Dermatitis and ALLergies in Children (PreventADALL), mené en Norvège et en Suède, a été effectué auprès de 2394 bébés. Les sujets ont été répartis en quatre groupes. Un premier n’a eu aucune intervention, un deuxième a fait l’objet de mesures alimentaires, un troisième a eu des soins de la peau et le dernier a eu les deux interventions.

Les bébés du groupe « alimentation » entraient en contact avec les aliments allergènes entre la douzième et la seizième semaine de vie. À l’âge de 3 mois, ils goûtaient ainsi pour la première fois au beurre d’arachides, puis à un intervalle d’une semaine au lait de vache, à la bouillie de blé et enfin aux œufs brouillés. Leurs parents devaient leur donner ces aliments au moins quatre jours par semaine et continuer au moins jusqu’à l’âge de six mois.

Dans le groupe « soins de la peau », les enfants étaient traités avec des émollients. D’une part, ils avaient des bains de cinq à dix minutes dans lesquels était ajoutée une huile émulsifiée et, d’autre part, une crème leur était appliquée sur le visage. Ces soins devaient être effectués au moins quatre jours par semaine, de l’âge de 2 semaines à 8 mois.

Pourquoi des émollients ? « Les allergies alimentaires apparaîtraient en particulier chez les enfants faisant de l’eczéma, explique le Dr Bégin. La présence d’une peau sèche, enflammée, qui se fendille permet aux allergènes d’entrer plus facilement dans l’organisme. Est-ce qu’en prévenant l’eczéma, on peut éviter l’apparition d’allergies alimentaires ? Les études sont partagées à ce sujet. Il y a cependant des données convaincantes concernant la sensibilisation aux œufs. Mais est-ce que l’on peut carrément prévenir l’allergie ? Les essais manquaient de puissance pour le montrer. »

L’essai PreventADALL apporte certaines réponses. Parmi ses sujets, des allergies alimentaires ont été diagnostiquées chez 44 enfants. Dans le groupe témoin, 2,3 % en étaient atteints contre 0,9 % dans le groupe « alimentation ». « Selon nos résultats, l’introduction précoce d’aliments allergènes communs constitue une stratégie sûre et efficace pour prévenir l’allergie alimentaire », concluent les chercheurs. Dans le groupe qui a fait l'objet des deux mesures, le taux de sujets allergiques était de 1,2 %. Les soins de la peau, à eux seuls, ne se sont pas révélés utiles : 3,0 % des participants sont devenus allergiques (tableau1).

L’étude LEAP, un tournant

Tableau

Certains pourraient s’étonner. Ne conseillait-on pas auparavant d’éviter totalement la nourriture allergène chez les jeunes enfants ? « En 2003, les lignes directrices recommandaient de retarder l’exposition à de tels aliments pour que les enfants n’y soient pas sensibilisés pendant la période cruciale que sont les premières années de vie. Cette directive n’était cependant fondée sur aucune étude », mentionne le Dr Bégin.

En 2015, apparaît l’étude LEAP dans le New England Journal of Medicine. « Il y a alors eu un grand changement dans notre pratique », se souvient l’immunoallergologue. L’essai clinique montre que l’ajout précoce d’arachides dans l’alimentation diminue significativement la fréquence de l’allergie chez les enfants présentant un risque élevé2. Maintenant, l’étude PreventADALL élargit le bassin des enfants concernés.

L’allergie aux arachides est par ailleurs la plus fréquente. Dans l’essai norvégien, elle a touché 32 des 44 enfants chez qui une allergie a été diagnostiquée. Comment introduire cet allergène dans l’alimentation des tout-petits ? « On peut utiliser du beurre d’arachide ou de la poudre d’arachide qui peut être saupoudrée, par exemple, sur les céréales. Comme il faut une exposition prolongée, on suggère d’en donner une fois par semaine pendant la première année. Mais c’est purement arbitraire », précise le professeur de clinique à l’Université de Montréal.

Dès la première ingestion, toutefois, une réaction peut se produire. « Plusieurs pensent qu’il faut déjà avoir mangé des arachides pour devenir allergique. C’est inexact. La sensibilisation peut avoir eu lieu par la peau », indique le spécialiste. La réponse susceptible de survenir n’est pas mortelle, mais est parfois impressionnante. Comme la réaction allergique est proportionnelle à la dose, le parent peut procéder de manière graduelle. « S’il a des craintes, il peut donner à l’enfant juste un peu de poudre ou de beurre d’arachide et, si tout se passe bien, augmenter ensuite la quantité. »

Développer la tolérance à un aliment

Que faire quand le bébé semble déjà avoir été sensibilisé ? « Si un parent est inquiet ou voit que son enfant a de petites plaques quand il mange un aliment, je lui conseillerais de le lui en donner tous les jours », dit le professeur de clinique à l’Université de Montréal.

La recommandation peut sembler contre-intuitive. Auparavant, on recommandait l’arrêt total de l’aliment en cause en attendant un rendez-vous avec un allergologue. « La liste d’attente est très longue. On conseille donc maintenant de donner à l’enfant sensibilisé ou légèrement allergique l’aliment tous les jours pour conserver sa tolérance. Le parent connaît la quantité que le patient peut supporter sans avoir de réaction. Il faut donc garder cette dose. Et quand l’enfant verra finalement le spécialiste, il sera peut-être devenu négatif. De cette manière, on peut empêcher l’allergie de s’installer. »

L’étude IMPACT, publiée en janvier dernier dans le Lancet, a montré l’efficacité d’une méthode similaire. Les sujets étaient des enfants allergiques aux arachides dont l’âge médian était inférieur à 4 ans3. « Plus le patient était jeune et plus la réponse aux tests était faible, plus on avait de chances d’obtenir une rémission. Il y a donc une certaine urgence à donner régulièrement l’aliment à la dose tolérée quand on pense qu’un enfant est en train d’y devenir allergique. Il faut enrayer l’allergie avant que la mémoire immunitaire s’établisse », affirme le Dr Bégin.

Qu’en est-il des allergies au lait et aux œufs ? Elles sont très fréquentes. Mais elles disparaissent d’elles-mêmes dans la majorité des cas. Il faut néanmoins tenter de les prévenir. « Elles sont extrêmement handicapantes. Il y a des œufs et du lait partout. Et l’enfant a une chance sur cinq de conserver ces allergies. »

Sensibilisation par la peau

Les tout-petits atteints d’eczéma constituent eux aussi un cas particulier. « Chez ces enfants, il y a une course entre le développement de l’allergie par une exposition cutanée et le développement de la tolérance immunitaire par l’introduction d’un aliment par la bouche. Quand l’allergène pénètre par la peau, il ne rencontre pas les mêmes composantes du système immunitaire que lorsqu’il entre par l’appareil digestif. Quand il s’infiltre par la peau, l’organisme déclenche une réponse antiparasitaire. À l’opposé, quand l’allergène est avalé, il se retrouve dans un environnement qui, par défaut, a une réponse de tolérance », explique le Dr Bégin.

Chez les enfants eczémateux, le traitement de l’affection cutanée est donc important. « Chez ces patients, on insiste beaucoup sur le recours à la crème et à la cortisone ainsi que sur l’introduction précoce des allergènes par voie orale pour tenter de gagner la course. »

L’application de crème n’est cependant pas utile chez la majorité des jeunes enfants dans la population générale. L’étude PreventADALL l’a montré. « Par contre, l’introduction précoce des aliments potentiellement allergènes est recommandée pour tous. C’est le message que l'on veut continuer à véhiculer comme allergologues. » //

bibliographie

1. Skjerven H, Lie A, Vettukattil R et coll. Early food intervention and skin emollients to prevent food allergy in young children (PreventADALL): a factorial, multicentre, cluster-randomised trial. Lancet 2022 ; 399 (10344) : 2398-411. DOI : 10.1016/S0140-6736(22)00687-0.

2. Du Toit G, Roberts G, Sayre P et coll. Randomized trial of peanut consumption in infants at risk for peanut allergy. N Engl J Med 2015 ; 372 (9) : 803-13. DOI : 10.1056/NEJMoa1414850.

3. Jones S, Kim E, Nadeau K et coll. Efficacy and safety of oral immunotherapy in children aged 1-3 years with peanut allergy (the Immune Tolerance Network IMPACT trial): a randomised placebo-controlled study. Lancet 2022 ; 399 (10322) : 359-71. DOI : 10.1016/S0140-6736(21)02390-4.