Depuis un peu plus d’un an, la RAMQ mène des inspections qui ciblent spécifiquement la codification de vulnérabilité des médecins. Comme plusieurs mesures sont associées à cette codification, les conséquences peuvent se multiplier. Dans cet article, de même que dans la chronique En fin la facturation, nous revoyons l’approche de la RAMQ.
Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. |
Vous recevez une demande de la RAMQ de lui fournir les copies des notes de soixante-quinze visites pour lesquelles vous avez réclamé le code de la visite périodique du patient vulnérable ainsi que l’ensemble des documents qui appuient votre facturation. Chanceux ! Vous avez gagné à la loto inspection !
La RAMQ vous a probablement ciblé, car vous comptez une forte proportion de patients vulnérables et qu’elle ne voit pas d’explication évidente à cette situation. Parmi celles possibles, vous pourriez avoir une clientèle surtout âgée, exercer dans un programme de toxicomanie, avoir une pratique complémentaire en établissement psychiatrique ou d’autres particularités qui font que votre clientèle est plus souvent vulnérable que la moyenne.
Dès cette étape, vous devriez contacter l’ACPM. Et vous avez intérêt à répondre à la demande de la façon la plus complète possible afin d’augmenter vos chances que la RAMQ conclue dès l’étape de l’évaluation que votre codification de vulnérabilité et votre facturation sont adéquates. À la suite de son évaluation, la RAMQ pourrait remettre en question votre facturation pour différentes raisons, et vous devriez alors justifier votre codification ou votre facturation. Si vous ne parvenez pas à convaincre la RAMQ à cette étape, elle vous indiquera dans un « préavis » les modifications qu’elle compte apporter à votre facturation et la récupération qui s’ensuivra. Si vous ne vous entendez pas à cette étape, la RAMQ vous transmettra un « avis » qui fait état de sa décision et récupérera le montant en question. Au-delà de la somme d’argent, un tel avis peut avoir d’autres conséquences (encadré). Si vous voulez contester la décision rendue, vous devrez soulever un différend auprès de la RAMQ et convaincre un arbitre que la RAMQ a tort.
Pour des cliniciens forts occupés, il va de soi qu’il est préférable de limiter les démarches administratives. Votre première ligne de défense à cet égard est votre tenue de dossier. Voyons donc les reproches les plus souvent formulés par la RAMQ. Elles peuvent viser la codification de vulnérabilité ou le respect du libellé de la visite elle-même. Nous traitons ici essentiellement de la codification de vulnérabilité et du calcul du montant à récupérer. Les exigences de la visite sont le sujet de la chronique En fin la facturation du présent numéro.
Les règles de codification sont spécifiques à chaque catégorie de vulnérabilité. On parle de différentes maladies ou de différents problèmes associés. Des critères diagnostiques ne sont souvent pas énoncés, mais dans certains cas (code 01 et 20, par exemple), le texte fait référence au DMS-IV ou au DSM-5. La RAMQ, lors de ses contrôles, s’attend à voir les critères diagnostiques inscrits au dossier. Sans endosser son approche ou ses attentes, nous faisons le tour des critiques usuelles de la RAMQ dans certains dossiers pour vous permettre de vous en prémunir et de réduire le temps « perdu » à justifier votre facturation.
Dans les dossiers dont la direction a eu connaissance pour la codification de la catégorie 1 ou 20, la RAMQ demande au médecin de montrer dans ses notes le relevé des critères diagnostiques du DSM-IV ou du DSM-5, à la date de codification. Les attaques de panique et l’anxiété généralisée sont souvent spécifiquement visées, deux problèmes qui font l’objet d’un diagnostic par cumul d’un certain nombre de critères possibles. L’autre forme de documentation acceptée par la RAMQ est un rapport de consultant qui fait état du diagnostic. Il peut donc être prudent de consigner au dossier les critères pertinents lorsque vous procédez à la codification d’un patient vulnérable.
La codification de patients souffrant de douleur chronique peut aussi donner lieu à des questions. Le libellé prévoit que la douleur doit être présente depuis au moins six mois et être liée à une maladie chronique. Elle doit de plus entraîner une incapacité fonctionnelle ou exiger la prise continue d’un médicament sur ordonnance pour permettre au patient d’être fonctionnel.
Il faut donc respecter la durée minimale avant d’effectuer la codification et s’assurer que la douleur découle d’une « maladie chronique ». L’incapacité fonctionnelle n’a pas à empêcher le patient de travailler ni à le rendre invalide, mais elle devrait atteindre au moins une fonction de façon importante.
C’est la codification pour l’hypertension qui donne le plus souvent lieu à des questions. Le libellé précise que l’hypertension doit être de stade 3. Certains sont convaincus que c’est le cas de l’hypertension réfractaire ou de la nécessité de prescrire plus d’une modalité de traitement. Or, l’hypertension de stade 3 est une catégorie de l’Organisation mondiale de la Santé qui décrit l’état du patient dont la pression systolique dépasse 180 mmHg ou la pression diastolique, 110 mmHg. Peu de patients répondent à ces critères. Quand c’est le cas, il est important de noter les chiffres de pression à l’occasion de la visite qui donne lieu à la codification de patient vulnérable.
Le libellé ne vise pas tous les cancers. Il doit s’agir d’un cancer qui a fait, qui fait ou qui fera l’objet d’un traitement général (voire de chimiothérapie générale) ou de radiothérapie ou qui est en phase de soins palliatifs. C’est donc dire que le cancer traité par une simple intervention chirurgicale curative ne se qualifie pas, même si un suivi particulier est parfois nécessaire. À l’inverse, certains cancers de la peau sont à l’occasion traités par radiothérapie localisée et répondent donc au critère, bien qu’ils ne soient pas de la même gravité que d’autres types de cancers traités par radiothérapie.
L’asthme est une autre maladie qui donne parfois lieu à des questions. Le libellé prévoit que le patient doit avoir eu un VEMS inférieur à 70 % de la valeur prédite. Dans le cas des jeunes enfants, il est bien connu que le VEMS n’est pas fiable. Pour la Fédération, il faut alors s’en remettre à d’autres moyens d’évaluer la gravité de l’asthme : hospitalisation pour une crise d’asthme, prise de corticostéroïdes par voie orale, prise régulière de corticostéroïdes en inhalation. Pour les enfants plus âgés ou les adultes qui ne sont pas déjà codifiés en raison de leurs problèmes en bas âge, il faudra donc inscrire leur VEMS, surtout lors d’une exacerbation, à moins que leur maîtrise à long terme de la maladie ne soit pas bonne.
L’entente particulière prévoit que la codification se fait à l’occasion d’une visite ou d’un examen. Le médecin a 90 jours pour en informer la RAMQ, faute de quoi il devra attendre à la prochaine visite pour inscrire le problème. Parfois, un médecin apprend qu’un patient souffre d’une maladie entre deux visites, soit en recevant les résultats d’une analyse de laboratoire ou d’un test ou le rapport d’un consultant. Il faut alors conserver ces éléments de façon à effectuer la codification de patient vulnérable à la visite suivante.
Les critères diagnostiques de l’état de vulnérabilité ne sont souvent pas énoncés. Toutefois, dans certains cas (code 01 et 20, par exemple), le texte fait référence au DSM-IV ou au DSM-5. La RAMQ, lors de ses contrôles, s’attend à ce que les critères diagnostiques soient inscrits dans le dossier. |
Les critères de certaines catégories de vulnérabilité ont été modifiés en juillet 2017, ce qui peut compliquer l’évaluation d’une codification d’origine préalable à cette date. Il faut alors appliquer les critères à la date de codification, sauf dans quelques cas bien particuliers.
En 2017, la RAMQ a modifié pour vous la codification de certains de vos patients. Comme le code du trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité ne s’applique depuis qu’aux dix-sept premières années de vie, la RAMQ y a elle-même mis fin à partir de 18 ans et continue de le faire depuis selon l’évolution de l’âge de ces patients. Les critères ont été élargis en même temps pour inclure les patients sans hyperactivité. Il revenait au médecin de codifier ces patients de moins de 18 ans, la RAMQ n’ayant pas l’information pour apporter seule la modification.
Les autres changements automatiques visaient la scission de la catégorie de santé mentale en épisode aigu (avec une durée maximale de deux ans, à moins de prolongation) et en maladie chronique ainsi que le changement de catégorie des patients prenant des anticoagulants. Pour ces clientèles, la RAMQ a transféré les patients dans des catégories à durée temporaire. Le médecin devait donc, dans le délai de durée de la catégorie, inscrire le nouveau code de la fibrillation auriculaire ou de la maladie thrombo-embolique nécessitant une anticoagulation à vie ou, pour les cas de santé mentale, remplacer le code par celui de la maladie chronique ou confirmer, à l’expiration du délai, que le patient souffrait toujours du problème aigu. La codification antérieure était valable jusqu’au 1er juillet 2017, date du changement, en fonction des règles qui existaient jusqu’alors.
Pour d’autres codes, il revenait au médecin de modifier la codification si le patient ne répondait pas au nouveau critère : insuffisance rénale avec débit de filtration glomérulaire de 30 ml/min à 50 ml/min et démence avec score de plus de 26 au MMSE. Aucun délai particulier n’était fixé pour le faire. En raison des problèmes techniques de la RAMQ, plusieurs médecins ont dû attendre plus de deux ans pour faire les modifications. Pour le diabète (autre que celui de la grossesse), si le patient était traité, rien ne changeait. Toutefois, pour les nouvelles codifications du 1er juillet 2017, un taux d’hémoglobine glyquée au-dessus du seuil indiqué est requis.
Pour les patients codifiés avant le 1er juillet 2017 et souffrant de ces problèmes, la codification demeurait valable selon les anciennes règles jusqu’à ce que le médecin change la codification après le 1er juillet 2017. Comme nous l’avons indiqué, ces modifications peuvent avoir été faites seulement en 2019 ou même plus tard (selon la simplification par la RAMQ des modalités pour modifier la codification des patients vulnérables) ou au gré des visites des patients.
De façon générale, l’entente particulière ne prévoit aucune obligation de réévaluer périodiquement l’état de vulnérabilité du patient ni d’y mettre fin lorsqu’il n’existe plus. Lors des modifications de 2017, il a été convenu que les médecins devraient modifier leur codification pour quelques codes. Toutefois, pour les autres, il n’y a pas d’obligation plus large de mettre fin à l’état de vulnérabilité lorsqu’il n’existe plus. On peut penser au jeune asthmatique qui n’a plus besoin de traitement lorsqu’il passe à l’âge adulte ou même à un diabétique qui « guérit » après une perte de poids engendrée par une chirurgie bariatrique. Le médecin inscripteur n’a aucune obligation de mettre fin au code dans pareille situation. Le médecin qui prendra en charge ce patient ultérieurement devra se demander, au moment de l’inscription, si le patient respecte toujours les conditions d’admissibilité. Le fait d’avoir été asthmatique en bas âge ne justifie pas nécessairement une codification d’asthmatique à l’âge adulte par un nouveau médecin.
Un problème particulier est celui de l’épuration des dossiers. Dans le respect des règles énoncées par le Collège (du moins d’ici le changement du règlement qu’on nous annonce prochainement), un médecin peut éliminer certains éléments remontant à plus de cinq ans dans ses dossiers, que ces derniers soient actifs ou non. Si la codification s’est faite avant cette date (la notion de vulnérabilité a quand même commencé il y a une quinzaine d’années, soit en janvier 2007), il se peut que vous ayez supprimé la documentation l’appuyant.
Il s’ensuit une question intéressante sur le plan légal, mais qui l’est moins pour le médecin, soit de savoir si la remise en question de la codification par la RAMQ après cinq ans est prescrite (ne peut plus être remise en question par elle) ou si le délai se renouvelle du fait que le médecin reçoit des paiements périodiques pour cette codification ou qu’il s’appuie sur cette codification pour réclamer la visite périodique du patient vulnérable. Il y aura sans doute des débats sur cette question, et les parties négociantes pourraient devoir statuer sur ce point s’il n’est pas résolu.
L’autre élément qu’étudie la RAMQ dans le cadre des inspections sur la vulnérabilité est le respect des exigences de la visite périodique du patient vulnérable. Afin d’éviter d’alourdir le texte, nous en traitons dans un article séparé de la chronique En fin la facturation du présent numéro. Vous êtes invités à la consulter.
De façon générale, l’entente particulière ne prévoit aucune obligation de réévaluer régulièrement la présence de vulnérabilité ou d’y mettre fin lorsqu’elle n’existe plus. |
Nous avons indiqué que la RAMQ évalue un échantillon de votre facturation. Généralement, elle va chercher à extrapoler le taux de « non-conformité » de cet échantillon sur l’ensemble de votre facturation du code en question. Si quinze de vos dossiers (soit 20 % de l’échantillon de 75 dossiers) ne respectent pas les conditions de la visite (réévaluation du plan de traitement et évaluation de l’évolution), la RAMQ prétendra sans doute que 20 % de l’ensemble de votre facturation de ce code depuis les quatre ou cinq dernières années n’est pas conforme. Elle cherchera à transformer votre facturation de visite périodique du patient vulnérable en visite de suivi ou en intervention clinique (selon la qualité de l’information à vos dossiers), au tarif de patient vulnérable ou non vulnérable selon le cas. Ce changement pourrait diminuer de moitié le montant de votre facturation du code pour 20 % des visites sur cinq ans. On imagine facilement que la somme peut être appréciable.
Toutefois, sur la base de l’étude des quelques dossiers de l’échantillon, la RAMQ ne peut extrapoler votre non-conformité de la codification à l’ensemble de vos patients vulnérables. Elle se limite par conséquent à modifier la codification pour tous les patients de l’échantillon dont la codification est jugée non conforme, rétroactivement à la date de codification ou à un maximum de cinq ans. Comme nous l’avons indiqué précédemment, elle devrait aussi respecter le délai possible de changement de catégorie pour certains patients après juillet 2017. Une fois ce changement apporté, elle revoit l’ensemble de la facturation de ces patients depuis la date retenue.
C’est donc dire que les visites de suivi ou les visites périodiques réclamées avec le tarif du patient vulnérable seront ramenées au tarif du patient non vulnérable et que les visites périodiques du patient vulnérable seront ramenées à celui de la visite de suivi du patient non vulnérable. De plus, certains suppléments annuels (paragraphe 15 de l’Entente particulière sur la prise en charge et le suivi) sont fonction du nombre de patients vulnérables inscrits. Les patients au-delà du seuil le plus élevé dans votre calcul ont un effet disproportionné par rapport aux premiers patients vulnérables. La RAMQ révise donc ces calculs jusqu’à cinq ans en arrière.
La RAMQ extrapole votre taux de non-conformité à l’ensemble de votre facturation de visites périodiques du patient vulnérable, mais modifie aussi la codification de vulnérabilité des patients de l’échantillon et révise l’ensemble des services facturés pour ces patients depuis la date de la codification ou depuis cinq ans, selon la période la moins longue. |
La facture pour les deux opérations peut ainsi être salée. Il est toujours de mise de spécifier la codification des problèmes de vulnérabilité de votre clientèle et de s’assurer de respecter le libellé des différentes visites. Encore une fois, sans donner raison à la RAMQ, dans une perspective préventive lors de contrôles, vous voudrez peut-être également tenir compte de ses attentes en rédigeant vos dossiers.
Notez enfin que vous ne serez pas nécessairement le seul touché par les révisions de la RAMQ. Les collègues de votre groupe de pratique qui se sont prévalus du tarif du patient vulnérable lors de visites ponctuelles ou d’autres services pour vos patients verront aussi des ajustements à leur facturation. Ainsi, le tarif passera à celui du patient non vulnérable pour les patients dont l’état de vulnérabilité est retiré rétroactivement par la RAMQ.
L’existence de ces contrôles et l’approche retenue par la RAMQ influenceront sans doute la réflexion de la Fédération sur la conception des modalités de la capitation qui feront prochainement l’objet de discussions.
Espérons que vous ne serez pas un des malheureux « gagnants ». Si jamais vous le devenez dans les prochaines années, espérons que cette information réduira le temps que vous mettrez dans des pourparlers avec la RAMQ. À la prochaine ! //