Plusieurs médecins en cabinet partagent les dépenses liées à leur pratique par l’entremise de ce qui est communément appelé une « société de dépenses ». Dans cette forme juridique, les médecins ne partagent pas leurs revenus. Ils ne partagent que les dépenses servant à l’exploitation de leur clinique médicale. Depuis un an, des médecins cherchant à inscrire leur « société de dépenses » au registre de la TPS/TVQ ont essuyé des refus des autorités fiscales et se demandent comment procéder. Traitons-en !
Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. |
Les médecins assument leurs dépenses de fonctionnement de groupe de différentes façons. Certains paient un loyer à un gestionnaire qui prend en charge l’ensemble des frais de fonctionnement. Leur facture mensuelle inclura un montant de TPS et de TVQ pour l’ensemble des services fournis. D’autres se regroupent pour signer un bail dans un immeuble et prendre en charge collectivement les dépenses de fonctionnement, soit comme association, soit sous la forme de ce qui est communément appelé une « société de dépenses ». Le choix du mode d’organisation peut influer sur les taxes à réclamer sur les frais du groupe. C’est ce qui a donné lieu à quelques questionnements de la part de plusieurs médecins. Regardons donc trois modèles courants pour comprendre les enjeux.
Lorsque vous faites affaire avec un gestionnaire, ce dernier vous offrira un ensemble de services. Il signera un bail avec un locateur pour la superficie requise et embauchera des employés pour assurer la prise des rendez-vous, l’accueil de la clientèle et les services infirmiers. Il cherchera évidemment à faire des profits sur ces activités et fixera le loyer de façon à couvrir ses frais et à générer des profits pour compenser le risque. Le tout (loyer, salaires, profits) sera sujet aux taxes (TPS et TVQ). Une telle formule « clé en mains », simple d’un point de vue administratif, limite vos responsabilités au paiement des honoraires de gestion, mais coûte cher étant donné que vous devrez contribuer aux profits et payer des taxes sur le loyer, les salaires et les autres services.
Lorsque des médecins se regroupent de la même façon en vue de gérer avec profits un espace commercial et fournir du personnel à d’autres professionnels, c’est-à-dire en exerçant une activité commerciale, le fonctionnement est le même. Un ou des médecins signent un bail avec un locateur, embauchent du personnel et proposent à d’autres médecins de louer un bureau. Le loyer inclut les frais de fonctionnement. Lorsque les services offerts dépassent 30 000 $ par année, le regroupement qui exerce une activité commerciale doit percevoir la TPS et la TVQ sur les frais qu’il réclame des médecins locataires.
D’autres médecins s’organisent différemment, soit en « société de dépenses », en signant entre eux une convention de partage des dépenses. Au lieu de verser directement un loyer à un tiers, le groupe de médecins mandate un des leurs pour payer l’ensemble des frais de fonctionnement. Chaque médecin lui rembourse ensuite les dépenses selon une formule de partage des coûts. Parfois, le groupe se divise également d’autres dépenses, comme le salaire du personnel. D’ailleurs, le groupe de médecins nommera parfois un des leurs comme représentant à titre d’employeur auprès des autorités fiscales. Cette personne deviendra alors le mandataire de chaque membre, bien que l’ensemble des médecins endossent les responsabilités de « l’employeur », dont les salaires, les charges sociales, la déduction à la source et les autres frais de fonctionnement.
Une « société de dépenses » n’est pas une forme de société ni une personne morale. Donc, chacun des membres est un particulier en affaires et devra s’inscrire séparément aux registres de la TPS et de la TVQ s’il y est tenu. |
Il arrive également que tous les médecins signent directement le bail avec le propriétaire de l’immeuble et garantissent le paiement du loyer. Dans la répartition de paiement du loyer, contrairement à une entreprise commerciale, les médecins ne chercheront pas à faire des profits sur la location ni sur les salaires. Ils se regroupent simplement pour partager de telles dépenses. Les frais de loyer incluront la TPS et la TVQ perçue par le locateur ou le propriétaire. Cependant, les salaires et autres charges des employés étant la responsabilité de tous, les médecins ne paieront pas de taxes (TPS et TVQ) sur la part des salaires qu’ils verseront.
Notez que le but de ce troisième mode d’organisation n’est pas d’éviter la TPS et la TVQ sur les salaires des employés. C’est simplement le résultat que dictent les lois fiscales pour ce modèle d’organisation. Toutefois, en raison du traitement différent en ce qui a trait aux taxes, pour éviter les ennuis, la relation contractuelle entre les médecins dans le cadre du regroupement doit être très claire et ne pas prêter à ambiguïté. C’est pourquoi une convention de partage des dépenses s’avère essentielle.
Mais revenons au point de départ, soit la question de l’inscription aux fichiers de TPS et de TVQ. La loi prévoit que les « personnes » qui offrent moins de 30 000 $ par année de services taxables peuvent s’inscrire au registre de la TPS et de la TVQ, mais n’y sont pas obligées, et que celles qui facturent plus que ce montant annuellement doivent le faire.
Qui sont ces « personnes » ? Revenu Québec indique qu’il s’agit de particuliers en affaires, de sociétés de personnes, de sociétés (personnes morales), de fiducies, d’associations, de coopératives, d’organismes ou de toute autre entité visée. Selon la loi et le Code civil du Québec, ce qui est appelé une « société de dépenses » (un « regroupement de dépenses », pour être exact), n’est ni une personne ni une société de personnes. Chacun des membres constituants demeure indépendant même si un mandataire les représente et couvre les dépenses pour eux. Le mandataire qui ne facture pas de montant additionnel (profit) n’est qu’une courroie de transmission. Il paie les frais et se les fait rembourser.
Pour ceux qui trouvent curieux qu’une « société de dépenses » ne soit pas une « personne », il faut s’en remettre aux principes de base de ce qu’est une société. Outre les diverses exigences administratives, une société doit aussi être constituée dans le but de générer des profits. Dans le cas du « regroupement de dépenses », les médecins facturent plutôt individuellement leurs honoraires et les conservent personnellement. Ils partagent seulement les dépenses. Une telle structure n’entraînera jamais de profits ni de pertes, juste des dépenses.
Il faut donc comprendre que si les médecins offrent des services taxables (frais pour remplir des formulaires d’invalidité ou d’assurance, honoraires pour des services purement esthétiques) et qu’ils perçoivent des honoraires ou que la clinique le fait pour eux, ce sont eux qui peuvent ou doivent, selon la situation, s’inscrire au registre de la TPS et de la TVQ si le total de leurs services dépasse 30 000 $. Si la clinique perçoit des frais en leurs noms (qu’elle remet par la suite aux médecins), les reçus devront préciser que le fournisseur est le médecin et devront contenir le numéro d’inscription de ce dernier aux registres de la TPS et la TVQ, le cas échéant.
Il peut ainsi n’y avoir qu’un seul médecin au sein d’une clinique ou d’un regroupement qui est inscrit au registre de la TPS et de la TVQ. Les autres médecins qui n’atteignent pas le seuil minimal pour être obligés de s’inscrire peuvent avoir choisi de ne pas le faire afin de s’éviter les formalités associées.
Afin d’éviter toute confusion, on devrait plutôt parler de « regroupement de dépenses ». Vous devriez avoir une convention écrite qui décrit bien les buts visés et éviter d'employer dans tous vos documents l’expression « société de dépenses ». |
Donc, si c’est votre modèle d’organisation, il est normal que le « regroupement de dépenses » ne puisse pas s’inscrire auprès des autorités fiscales, car ce n’est pas une personne ni une société de personnes, mais bien un regroupement de personnes. Toutefois, les personnes (médecins) qui en font partie individuellement pourraient devoir s’inscrire aux registres de la TPS et de la TVQ pour la facturation de leurs services. Si votre regroupement de dépenses (par opposition aux médecins individuels) s’est par le passé inscrit aux registres de la TPS et de la TVQ, cette inscription pourrait laisser croire que vous êtes une société de personnes générant des profits ou des pertes. Vous devriez donc discuter avec votre comptable ou votre conseiller fiscal des correctifs à apporter. Lorsqu’au moins deux membres de cette « société de dépenses » exercent par l’entremise d’une société par actions, des règles fiscales particulières s’appliquent et pourraient engendrer des impôts additionnels.
Pour la retenue des déductions à la source, il est possible d’obtenir un numéro pour un regroupement de personnes qui exploitent la même activité afin d’éviter la multiplication des numéros de compte individuels de déductions à la source. C’est la voie à privilégier pour les regroupements de partage de dépenses qui ont des employés. |
Afin d’éviter toute ambiguïté et des conséquences fiscales non désirées, il serait prudent lorsque vous nommez ou décrivez votre « regroupement de dépenses » de ne pas inclure le mot « société » dans son titre ou sa description. Utilisez plutôt le syntagme « regroupement de dépenses » et retrouvez cette description non seulement dans vos interactions avec les autorités fiscales, mais aussi dans toute correspondance ou convention interne ou tout contrat (bail) signé par votre regroupement. Et, de grâce, n’inscrivez pas le regroupement aux registres de la TPS et de la TVQ.
Il serait également prudent d’avoir une convention écrite qui précise les éléments suivants pour votre regroupement de dépenses :
h une description de l’intention, soit de s’unir dans le seul but de partager les dépenses communes, de ne pas se constituer en société, de ne pas partager les revenus et de ne pas exercer une activité commerciale qui génère des bénéfices ;
h les dépenses qui font l’objet de partage ;
h comment les dépenses seront partagées de façon détaillée ;
h le nom du mandataire parmi les « membres » du regroupement et les actes qu’il peut accomplir au nom des autres membres ainsi que les limites de ses responsabilités ;
h les conditions pour se joindre au regroupement de partage de dépenses ; et
h la procédure pour se retirer du regroupement et la période durant laquelle le médecin demeure responsable de sa part des dépenses.
Certains pourront penser qu’ils devraient se constituer en société en nom collectif pour éviter de devoir payer TPS et TVQ sur les salaires des employés de la société. C’est le mode d’organisation de bien des cabinets d’avocats, de comptables, d’architectes et d’ingénieurs en pratique, mais il est moins répandu chez les médecins. De telles « sociétés », constituées par plusieurs associés en vue de partager un profit, assument les dépenses de fonctionnement, perçoivent aussi les honoraires pour les services professionnels des sociétaires et nécessitent une mise de fonds des associés au moment de leur entrée dans la société. Cette dernière dresse un bilan des profits et des pertes et, par la suite, partage les profits entre les associés en fonction de différentes règles internes. Le partage des profits est un élément essentiel sur le plan légal pour pouvoir prétendre être une société (encadré 2).
Enfin, se constituer en société en nom collectif a d’autres conséquences sur le plan fiscal qui peuvent donner à réfléchir. Bref, ce n’est pas la solution à envisager lorsqu’on se fait refuser l’inscription aux registres de la TPS et de la TVQ.
Outre la question de la TPS et de la TVQ, il y a aussi celle des déductions à la source sur les salaires versés aux employés. Les règles fiscales en cette matière sont légèrement différentes de celles visant la TPS et la TVQ. Il faut donc s’assurer de choisir la bonne approche.
Lorsque vous versez un loyer « clé en mains » à un gestionnaire qui exploite une clinique, c’est cette entreprise qui paie les salaires et qui s’inscrit auprès des autorités fiscales. C’est le principal attrait de ce mode de fonctionnement pour les médecins qui veulent s’en tenir seulement au volet professionnel de leur pratique, sans devoir participer à la gestion de la clinique ni prendre des engagements à plus long terme.
Mais lorsque des médecins s’entendent pour partager les dépenses liées au fonctionnement de leur milieu de travail, y compris la rémunération des employés, ils doivent se soucier de respecter ces obligations fiscales.
Nous avons vu que les regroupements de partage de dépenses ne sont pas des « personnes » au sens de la loi. Par conséquent, ils ne sont pas tenus de s’inscrire aux registres pour la retenue à la source des impôts sur les salaires de leurs employés. Ce sont les membres de ce regroupement qui doivent le faire comme employeurs. Cette inscription exige un « numéro d’entreprise » de Revenu Québec.
Est-ce que chaque médecin doit s’inscrire individuellement et ainsi verser sa part des déductions à la source pour chaque employé ? Il est possible de désigner un membre du groupe comme mandataire et d’obtenir un seul numéro pour un regroupement de personnes qui exercent la même activité afin d’éviter la multiplication des numéros de compte de déductions à la source.
Le regroupement en question devra s’inscrire au Registre des entreprises en remplissant la documentation pour le Registraire des entreprises, puis en la gardant à jour. C’est donc dire que chaque ajout ou retrait d’un membre du regroupement exigera d’en informer cette autorité. En outre, il faudra payer des frais chaque année et attester que les renseignements sont à jour. Si cela vous semble désavantageux, gardez en tête que l’inscription au registre rend la nature de votre regroupement opposable aux tiers, ce qui réduit sensiblement les risques que les autorités fiscales aient l’impression que vous êtes une « société » qui doit percevoir la TPS et la TVQ sur les paiements réclamés aux membres du regroupement.
Vous devrez donc faire deux démarches : une première pour enregistrer le regroupement auprès du Registraire des entreprises et, par la suite, vous inscrire pour les retenues d’impôts auprès des autorités fiscales. Lors de cette première démarche, vous devrez fournir certaines informations.
h Forme juridique : Autre regroupement
h Précisions sur la forme juridique : Partage de dépenses
h Code d’activité économique (CAE) : 7799
h Activité : Autres services aux entreprises
h Précisions : Services administratifs et paiement des dépenses communes des participants
h Liste des administrateurs : Inscription de chacun des membres du groupe à titre d’administrateur
Dans un deuxième temps, vous pourrez remplir le formulaire LM-1 de Revenu Québec, en vous assurant de bien préciser que vous cherchez seulement à vous inscrire pour les retenues d’impôts sur les salaires.
Vous êtes constitués en « société de dépenses » et êtes inscrits aux registres de la TPS et de la TVQ ou vous êtes inscrits pour les retenues d’impôts et n’êtes pas certains que vous avez procédé de la bonne façon ? Par prudence, vérifiez auprès de votre comptable ou conseiller fiscal afin d’éviter que les autorités fiscales remettent en question la nature de votre regroupement. Comme nous l’avons évoqué plus tôt, si au moins deux des membres du regroupement exercent en société par actions, il peut y avoir d’autres enjeux. Une consultation est donc de mise.
Vous avez trouvé le sujet du mois compliqué ? C’est malheureux, mais ces éléments découlent des règles fiscales et de la possibilité de créer des entités distinctes des personnes physiques qui les constituent. Espérons que ces explications vous ont rassuré ou vous orienteront dans la bonne direction si vous avez besoin d’aide. À la prochaine ! //
Si vous êtes constitué en regroupement de dépenses et n’êtes pas certain de vous être inscrit de la bonne façon, vous devriez consulter votre comptable pour éviter des conséquences fiscales possibles pour le regroupement ou pour certains des participants. |