transformation de la pratique en premiere ligne
Cette année, dans le réseau de la santé, les départs de médecins de famille ont été plus nombreux que les arrivées. Un déficit de 49 omnipraticiens (figure 1). Qui sont ces médecins qui s’en vont ?
La plupart des 548 omnipraticiens qui se sont retirés du système public avaient 60 ans et plus. « Les médecins de famille de cette tranche d’âge constituent 25 % des effectifs. Dans les prochaines années, il y aura donc encore de nombreux départs à la retraite », a averti le Dr Marc-André Amyot, président de la FMOQ au cours du conseil du 30 septembre.
Cependant, 63 (11 %) des omnipraticiens qui ont quitté le réseau avaient moins de 40 ans et 124 (23 %), entre 40 et 59 ans (figure 2). « C’est très inquiétant. Peut-être qu’ils vont dans le privé, peut-être qu’un certain nombre prennent leur retraite. Dans les médias, on a également vu des médecins relativement jeunes qui décidaient de changer de profession. »
Les chiffres révèlent ainsi un grave problème. « On doit travailler à trouver des solutions. On a interpellé le ministère. Des mesures vont arriver. » Les cohortes d’étudiants en médecine, par exemple, ont déjà commencé à augmenter de manière importante. « Il faut toutefois s’assurer que ces derniers choisissent en nombre suffisant la médecine familiale comme spécialité. »
La situation n’est cependant pas propre au Québec. Elle sévit dans tout le Canada. Que font les autres provinces ? « Certaines, comme le Manitoba, la Nouvelle-Écosse et la Colombie-Britannique, ont pris des actions concrètes lors du renouvellement de l’accord-cadre des médecins de famille. Elles ont investi dans la première ligne », a indiqué le président.
Il est manifeste qu’un déséquilibre existe entre le nombre de médecins de famille – et par conséquent l’offre de service qui en découle – et les besoins de la population. « On a réussi à réduire cet écart grâce à l’inscription collective et au guichet d’accès à la première ligne (GAP). Mais on va devoir continuer à travailler pour couvrir les besoins de la population. On devra non pas pratiquer plus, mais différemment. Tout seuls ? Non, avec d’autres professionnels de la santé », a affirmé le Dr Amyot.
Le triage des patients inscrits est une avenue intéressante. « Il y a diverses façons de procéder. Est-ce que le triage doit être fait par un être humain ? Par l’intelligence artificielle ? Est-ce votre secrétaire qui écrira les symptômes des patients dans Vitr.AI et pourra leur offrir d’autres solutions qu’une visite médicale ? Est-ce le patient lui-même qui décrira ses symptômes dans un portail santé et obtiendra des conseils pour des autosoins ? Certaines de ces mesures sont déjà en train d’être créées. »
La consultation elle-même doit être plus efficace. Pour commencer, elle doit être bien préparée. « Est-ce que, comme médecin, vous avez toutes les informations nécessaires pour la consultation ? Si le patient vient pour son résultat de biopsie ou de résonance magnétique, les avez-vous ? Disposez-vous de la liste de ses médicaments ? S’il vient vous voir pour comprendre ce que le spécialiste lui a dit, avez-vous la note de la consultation ? », a énuméré le président.
Une fois le patient dans le cabinet, la rencontre doit être optimisée. Les infirmières peuvent jouer un grand rôle. Et peut-être que l’intelligence artificielle pourrait aussi apporter une aide précieuse en rédigeant la note clinique à partir de la conversation entre le patient et le médecin. « Dans la région de Québec, une clinique expérimente cette nouvelle technologie. Cela donnerait de bons résultats. » Après la consultation, un adjoint pourrait donner toutes les explications nécessaires au patient : les différentes procédures, le fonctionnement du centre de répartition des demandes de services, etc.
« On est en train de revoir le mode d’organisation. On ne pratiquera plus la médecine familiale dans les cinq à dix prochaines années comme on l’a exercée au cours des cinq à dix dernières années. La médecine familiale est en cours de transformation, et on doit faire partie de ce changement. Il ne doit pas nous être imposé », a soutenu le Dr Amyot.
Les différents formulaires et les formalités administratives constituent de 20 % à 25 % de la charge de travail des médecins de famille. Mais la situation s’améliore. La FMOQ a ainsi fait pression auprès des compagnies d’assurances pour qu’une prescription médicale ne soit plus nécessaire pour le remboursement de services comme la physiothérapie ou la massothérapie. La Sunlife et Beneva, par exemple, se conforment à cette directive. « S’il reste des compagnies d’assurances qui ne le font pas, écrivez-nous. Nous allons intervenir directement », a assuré le Dr Amyot qui a été vivement applaudi.
La FMOQ a par ailleurs transmis au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) une partie des recommandations de son Comité sur les difficultés vécues en première ligne. Un sous-ministre adjoint s’emploie maintenant à mettre en place les mesures proposées pour réduire le fardeau administratif des médecins. Déjà, du côté de la Société de l’assurance automobile du Québec, des progrès ont lieu. « Il n’y a plus de formulaire à remplir systématiquement pour les patients de 75 à 80 ans qui veulent renouveler leur permis de conduire. Cette mesure élimine 100 000 formulaires annuellement. »
En ce qui concerne les billets médicaux de justification des absences, il pourrait être interdit aux entreprises d’en demander pour les affections de moins de cinq jours. « Cette mesure est possible, mais il faudra modifier la loi. Certaines provinces l’ont fait », a mentionné le président.
Qu’arrive-t-il quand, dans un GMF, les professionnels de la santé ne peuvent être engagés ou remplacés ? Où va l’argent prévu pour leur rémunération ? La FMOQ s’est intéressée à la question. Elle s’est aperçue que les sommes restent en fait dans les coffres des établissements.
« Nous avons dit au MSSS que l’argent qu’il verse aux centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) pour couvrir les salaires des professionnels dans les GMF constitue une somme destinée à la première ligne. Le ministère était d’accord », a expliqué le Dr Amyot. L’argent non dépensé doit donc être remis pour des services aux patients. Comment ? Il a été convenu que les GMF concernés pourront soumettre des projets spéciaux.
« Il peut s’agir de projets d’innovation ou de projets visant à offrir un nouveau service. J’imagine que si vous avez une somme de 50 000 $ ou de 60 000 $ non utilisée, vous pourriez l’employer pour faire évaluer certains enfants par un neuropsychologue ou pour payer à certains patients des consultations auprès, par exemple, d’un ergothérapeute ou d’un orthophoniste. »
Les CISSS ont récemment reçu une lettre leur indiquant la nouvelle directive. Peut-être que certains établissements ignoreront combien d’argent est destiné à un GMF donné. « Si vous vous trouvez dans cette situation, je vous invite à faire la liste des dates d’absence des professionnels manquants », a dit le président aux médecins présents. Le salaire non payé ne constitue cependant pas exactement la somme que le GMF pourra récupérer. Pour certains postes, le ministère ne fournit qu’un pourcentage de la rémunération. La FMOQ connaît toutefois le montant octroyé pour le salaire d’une infirmière clinicienne, d’un travailleur social ou d’un autre professionnel et peut fournir les chiffres.
Autre bonne nouvelle pour les GMF : la compensation pour les frais de cabinet d’une infirmière praticienne spécialisée sera accrue de 37 %. Elle n’avait pas été haussée depuis au moins dix ans. Cette mesure sera rétroactive au 1er avril 2023.
D’importants dossiers de négociation sont par ailleurs à venir : le renouvellement de l’accord-cadre, échu le 31 mars 2023, la valorisation de la médecine familiale, la réduction de l’écart de rétribution entre les omnipraticiens québécois et leurs collègues spécialistes ainsi que la révision du mode de rémunération en première ligne. //