Un nouveau traitement par la psilocybine
Dans une salle de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (IUSMM), un patient est assis dans un fauteuil confortable, les yeux recouverts d’un bandeau. Il écoute une musique douce. Autour de lui, la salle, décorée de plantes, est accueillante. Deux thérapeutes sont présents. Un médecin de famille et un psychologue. Il ne leur parle pas. L’homme, qui a reçu un comprimé de psilocybine, se concentre sur son voyage psychédélique.
C’était en juillet dernier. À la toute nouvelle clinique de psilocybine de l’Institut. « Selon les lignes directrices actuelles, la psilocybine est un traitement expérimental utilisé dans des circonstances rares et exceptionnelles. Pour qu’un patient soit dirigé vers notre clinique, il faut que plusieurs antidépresseurs, la psychothérapie, la kétamine et les traitements de neurostimulation aient échoué. Il s’agit donc de cas ultraréfractaires », explique le Dr André Do, psychiatre au Service des troubles anxieux et de l'humeur de I’IUSMM qui pratique à la clinique de psilocybine.
Depuis plusieurs années, les études se multiplient sur la psilocybine, un alcaloïde présent dans certains champignons. Les thérapies psychédéliques pourraient avoir, selon les Dres Rachel Yehuda et Amy Lehrner, de la Faculté de médecine de l’hôpital Mont Sinaï, à New York, « le potentiel d’offrir non seulement une nouvelle approche en santé mentale, mais aussi un paradigme de soin entièrement nouveau. »
Quand un patient prend une substance comme la psilocybine dans un environnement thérapeutique approprié, avec une préparation et des objectifs adéquats, il peut utiliser l’expérience qu’il vit pour acquérir des connaissances susceptibles de favoriser sa guérison, expliquent les deux expertes, dans leur récent éditorial du Journal of the American Medical Association (JAMA)1. « Le psychédélique permet des sentiments comme l'autocompassion, le pardon, la compréhension et l’acceptation de soi qui peuvent être de puissants antidotes à la honte, à la culpabilité, à la colère, à l’isolement, à la déconnexion ou à d’autres émotions négatives dont les patients ont du mal à discuter en thérapie et que les traitements classiques par les antidépresseurs ne semblent pas atténuer », écrivent-elles.
La séance peut atteindre une grande profondeur. « Un sentiment d’infini ou de dissolution de l’ego peut être ressenti comme une expérience mystique ou spirituelle et aider les gens à trouver un sens, une perspective et une connexion avec les autres et avec le monde. Ces expériences ont été associées à la réduction des symptômes et peuvent représenter un mécanisme d’action important », indiquent les deux éditorialistes. L’approche psychédélique est ainsi radicalement différente des traitements classiques qui ciblent les symptômes dépressifs.
Quels sont les résultats des essais cliniques ? L’an dernier, une étude publiée dans le New England Journal of Medicine (NEJM) a montré qu’une dose de 25 mg de psilocybine offerte avec un soutien psychologique était encore efficace au bout de trois semaines chez des sujets souffrant d’une dépression réfractaire. L’effet avait cependant disparu au bout de douze semaines2.
Récemment, une nouvelle étude de phase 2, parue dans le JAMA, s’est intéressée, elle, à des patients atteints non pas de dépression réfractaire, mais de dépression grave3. Menée par l’Usona Institute, un organisme privé faisant de la recherche médicale, elle comptait 104 participants répartis au hasard en deux groupes : un premier qui prenait une dose de 25 mg de psilocybine et un second, un placebo actif, la niacine, qui engendrait un rougissement afin de préserver l’insu de l’étude. Tous les sujets ont d’abord eu de six à huit heures de séances préparatoires avec deux thérapeutes. Puis, le jour de la prise de l’alcaloïde, ils ont été accompagnés durant de sept à dix heures, pendant l’action du médicament. Ils ont par la suite eu quatre heures de psychothérapie pour bien intégrer leur expérience (voir l’article suivant).
Quarante-trois jours après la prise du médicament, les patients du groupe psilocybine avaient encore un score de dépression plus réduit que les sujets ayant reçu de la niacine. Dans le groupe sous psilocybine, 42 % ont par ailleurs eu une réponse prolongée par rapport à 11 % dans le groupe témoin. Mais il n’y a pas eu de différence significative dans le taux de rémission. « Ce sont des résultats assez prometteurs, compte tenu de la période de suivi qui était plus longue que celle d’autres études sur la psilocybine », affirme le Dr Do, également professeur adjoint de clinique à l’Université de Montréal.
La psilocybine aurait par ailleurs eu des bienfaits dans différentes sphères. « Les chercheurs ont mesuré le degré d’altération fonctionnelle des participants dans des domaines comme le travail, la vie sociale et la vie familiale. Les patients qui avaient pris la molécule active présentaient un meilleur fonctionnement global », note le psychiatre. Les symptômes d’anxiété qu’ils ressentaient étaient également moins importants et leur qualité de vie accrue.
Les effets indésirables de la psilocybine ? Ils étaient généralement légers. Bien des participants du groupe expérimental ont eu des maux de tête (66 %), des nausées (48 %) et des effets sur la perception visuelle (44 %). Trois personnes ont toutefois eu des maux de tête et des effets visuels plus graves.
La psilocybine pourrait ainsi être employée non seulement contre les dépressions réfractaires, mais aussi contre les dépressions graves. « Peut-être que les nouvelles lignes directrices ne la proposeront plus uniquement comme traitement de dernier recours, mais au même titre que la kétamine ou l’électroconvulsivothérapie », dit le spécialiste.
Les psychédéliques comme la psilocybine et la kétamine ouvrent de nouvelles avenues. « Leur côté novateur vient du fait que l’on peut associer leur effet pharmacologique à la psychothérapie. On pense qu’ensemble, ces deux types d’approches auraient une action antidépressive plus longue », explique le Dr Do. Une petite étude a d’ailleurs montré que plusieurs patients ont eu des effets antidépresseurs jusqu’à douze mois après deux doses de psilocybine associée à la psychothérapie, affirme-t-il4.
Mais qu’ajoute la psilocybine à la thérapie ? « Je pense que ce sont des changements dans l’état subjectif du patient, le fait qu’il vive des émotions positives ou négatives plus intenses, qu’il connaisse des expériences mystiques ou spirituelles (comme la dissolution de l’ego ou un sentiment de connexion profonde avec l’univers ou la nature) qui jouent un rôle important. Certaines personnes vont aussi revivre des événements douloureux de leur passé. Mais comme elles ont un accompagnement thérapeutique qui peut être pendant et après la séance, elles vont se sentir en sécurité et peut-être pouvoir surmonter ces souvenirs difficiles en leur accordant un nouveau sens par exemple. On ne sait cependant pas avec certitude comment agit la psilocybine. »
Cliniquement, quels progrès peut-on espérer chez le patient ? « Pour le moment, la psychothérapie assistée par la psilocybine n’est utilisée dans notre clinique que chez les patients ultraréfractaires. On ne peut donc pas s’attendre à des miracles, indique le Dr Do. Si on peut avoir de petits changements positifs, ce serait un très bon début. Si le patient pouvait simplement mobiliser son énergie dans un projet de vie, être moins envahi par ses symptômes anxiodépressifs, arriver à mieux fonctionner, ce serait pour nous un pas dans la bonne direction. Tant mieux si le patient peut avoir une rémission ou une guérison complète de ses symptômes. »
La psilocybine pourrait-elle par ailleurs déclencher des symptômes psychotiques persistants ? « Dans aucun essai clinique, un patient n’en a eu de manière permanente ». Et pour les risques de suicide ? « Dans l’étude du NEJM, certains ont eu des comportements suicidaires, mais il s’agissait de patients souffrant de dépression réfractaire. Il n’y a toutefois pas eu de tels cas dans l’étude du JAMA », mentionne le psychiatre.
Une psychothérapie assistée par la psilocybine est complexe à organiser. Elle exige deux thérapeutes et comprend une série de rencontres avec le patient pour la préparation, la prise de l’alcaloïde et l’intégration de l’expérience. Au moins une douzaine, si ce n’est une vingtaine d’heures, en tout sont nécessaires. « C’est sûr que c’est un investissement de temps et de ressources considérables », reconnaît le Dr Do.
Néanmoins, ce traitement pourrait être avantageux. « Quand on conçoit un plan de traitement, on veut avoir une approche biopsychosociale. En ce moment, on traite les patients en leur donnant des médicaments et, s’ils ont de la chance, ils ont accès à un thérapeute. Avec le traitement par la psilocybine, on associe l’aspect biologique et psychologique. Je pense qu’il peut ainsi amener chez les patients des changements positifs plus rapides et plus durables. »
Les psychédéliques offrent donc de nouvelles perspectives. « C’est assez excitant cette nouvelle vague avec la kétamine et la psilocybine. On espère qu’elle va modifier la manière dont on soigne les patients dépressifs. Je pense cependant qu’il faudra un certain temps avant que ces traitements deviennent plus courants et plus accessibles, dit le psychiatre. Néanmoins, plusieurs grands centres comme le Centre hospitalier de l’Université de Montréal et l’Institut universitaire en santé mentale Douglas recourent à la kétamine, une molécule pour laquelle il existe plus d’études. » //
1. Yehuda R, Lehrner A. Psychedelic therapy–A new paradigm of care for mental health. JAMA 2023 ; 330 (9) : 813-4. DOI : 10.1001/jama.2023.12900.
2. Goodwin G, Aaronson S, Alvarez O et coll. Single-dose psilocybin for a treatment-resistant episode of major depression. N Engl J Med 2022 ; 387 (18) : 1637-48. DOI : 10.1056/NEJMoa2206443.
3. Raison C, Sanacora G, Woolley J et coll. Single-dose psilocybin treatment for major depressive disorder: A randomized clinical trial. JAMA 2023 ; 330 (9) : 843-53. DOI : 10.1001/jama.2023.14530.
4. Gukasyan N, Davis A, Barrett S et coll. Efficacy and safety of psilocybin-assisted treatment for major depressive disorder: Prospective 12-month follow-up. J Psychopharmacol 2022 ; 36 (2) : 151-8. DOI : 10.1177/02698811211073759.