Influence sur le raisonnement diagnostique
Saviez-vous que la manière dont vous acquérez des connaissances médicales influerait sur votre capacité à les utiliser ? Et même sur vos diagnostics ? Les stratégies d’apprentissage actives, contrairement aux stratégies passives, faciliteraient l’emploi de nouvelles notions.
Notre façon de traiter l’information pendant qu’on l’assimile aurait un important effet sur la mémoire. Ainsi, les stratégies passives, consistant par exemple à répéter et à apprendre par cœur l’information, sont moins efficaces que la récupération active de l’information qui, elle, demande qu’on se remémore, qu’on transforme ou qu’on manipule les connaissances acquises.
Le processus de récupération active semblerait créer des traces plus fortes et plus souples dans la mémoire. On sait, par exemple, que des sujets qui apprennent des histoires de cas en répondant à des questions s’en souviennent mieux et sont davantage capables d’appliquer les connaissances acquises que lorsqu’ils les étudient de manière répétée.
Des chercheuses, la Pre Signy Sheldon, du Département de psychologie de l’Université McGill, et ses collègues, ont voulu creuser le lien entre stratégies d’apprentissage et raisonnement diagnostique. Elles ont demandé à 55 étudiants du premier cycle d’apprendre quatre diagnostics psychiatriques (schizophrénie, manie, trouble de la personnalité paranoïde et trouble obsessionnel compulsif) auxquels étaient associés quatre symptômes. À la fin de la phase d’apprentissage, les participants devaient effectuer un test pour s’assurer qu’ils avaient bien retenu les notions1.
Les sujets passaient ensuite à la phase d’entraînement où on leur présentait des cas écrits de patients. Ils ont alors été distribués au hasard dans deux groupes. Les sujets du premier devaient simplement lire les cas deux fois, ce qui constituait une stratégie d’apprentissage passive. Ceux du second groupe, eux, devaient lire les cas, puis récupérer activement les renseignements dans leur mémoire en écrivant tous les détails dont ils se souvenaient. « On les faisait ainsi travailler avec les informations », explique la Pre Sheldon, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en neuroscience cognitive de la mémoire. Les sujets recouraient de cette manière à leur mémoire épisodique, qui est la mémoire des événements personnels enregistrés avec leur contexte.
Dernière phase : le test. Les quatre chercheuses ont soumis aux étudiants des cas aux diagnostics ambigus. Les sujets devaient indiquer chaque fois la probabilité de chacun des quatre diagnostics. Résultat : les participants qui avaient employé une stratégie d’apprentissage active donnaient un plus grand pourcentage de probabilité aux diagnostics dont ils reconnaissaient les symptômes. Chez eux, le transfert des connaissances acquises à partir des cas étudiés pendant la phase d’entraînement était meilleur.
« Les participants ont plus facilement utilisé des cas antérieurs pour poser un diagnostic chez de nouveaux patients, quand ces cas avaient été assimilés activement. Ce résultat semble indiquer que la récupération active permet aux apprenants de mieux appliquer des informations provenant de cas complexes à des tâches diagnostiques ultérieures », écrivent les expertes.
Les stratégies d’apprentissage actives mettraient en jeu des processus particuliers de la mémoire épisodique. Elles permettraient de créer des représentations globales et flexibles des événements passés. « Selon la théorie classique de la mémoire, l’apprentissage fondé sur la récupération active favorise la création d’une représentation générale du souvenir, c’est-à-dire qui capte l’essentiel d’un événement, contrairement à la répétition passive », écrivent la Pre Sheldon et ses collaboratrices dans leur article. La représentation des notions apprises serait ainsi plus souple et pourrait plus facilement s’appliquer à de nouveaux scénarios.
À l’opposé, la répétition et l’apprentissage par cœur produiraient des souvenirs plus rigides et spécifiques, qui se concentrent sur des détails précis. Ils seraient donc moins susceptibles d’être utilisés dans de nouveaux cas.
« Si vous voyez un patient au cas compliqué et que vous parvenez à poser un diagnostic, la meilleure chose à faire est ensuite de prendre un moment pour s’en souvenir activement ou de le coucher par écrit. Après avoir fait cet exercice, vous serez plus susceptible d’appliquer les connaissances acquises à un prochain patient. » – Pre Signy Sheldon |
Comment appliquer ces nouvelles données dans la vie professionnelle ? Après une formation, un atelier ou un cours, on peut essayer de se souvenir des notions médicales apprises, les écrire, se poser des questions à leur sujet ou les mettre en perspective. « Cette façon de procéder va vous aider à les mémoriser et à vous en servir ensuite efficacement pour poser des diagnostics », affirme la Pre Sheldon. On peut même employer cette technique en clinique. « Si vous voyez un patient au cas compliqué et que vous parvenez à poser un diagnostic, la meilleure chose à faire est ensuite de prendre un moment pour s’en souvenir activement ou de le coucher par écrit. Après avoir fait cet exercice, vous serez plus susceptible d’appliquer les connaissances acquises à un prochain patient. »
En se remémorant le cas, on doit par ailleurs tenter d’avoir une vue d’ensemble. « Il faut se concentrer sur les symptômes sur un plan général plutôt que particulier. On doit essayer d’en comprendre le concept global, et non regarder les détails précis du cas. Cette façon de faire va nous aider à utiliser cette information de manière plus souple et à l’appliquer à de nouvelles situations. »
Un autre exercice utile est d’établir des liens entre les nouvelles informations et les connaissances déjà acquises. « Si vous associez les cas que l’on vous enseigne à d’autres que vous connaissez ou à des notions venant de votre formation, vous pourrez vraiment accroître l’utilisation des nouveaux acquis dans vos futurs diagnostics », mentionne la Pre Sheldon.
Cette technique fonctionnerait tant en recourant aux connaissances universitaires passées qu’aux informations glanées dans les médias ou la vie quotidienne. Les chercheuses ont d’ailleurs montré, dans la deuxième partie de leur étude, que les notions acquises en dehors d’un contexte de formation influencent elles aussi le raisonnement diagnostique.
La Pre Sheldon et ses collaboratrices ont remarqué dans la première partie de leur étude que le diagnostic le plus connu, soit le trouble obsessionnel compulsif, était plus souvent posé par les participants. Il s’agit d’une affection avec laquelle le public est particulièrement familier, ont-elles d’ailleurs prouvé par un sondage. Et ces connaissances générales ont pu influencer les sujets. « Des travaux antérieurs ont montré qu’une expérience passée avec un diagnostic donné influence le raisonnement diagnostique », écrivent-elles.
Les quatre expertes ont donc refait leur expérience avec 61 nouveaux étudiants. Cependant, dans un groupe, le nom des maladies a été remplacé par des appellations fictives (Ritners, Patrase, Blakins et Togastin) tandis que dans l’autre les véritables noms ont été conservés. Le premier groupe n’avait donc plus la possibilité de se servir des notions déjà acquises. Résultat : il n’a pas posé davantage de diagnostics de trouble obsessionnel compulsif, contrairement au groupe pour lequel les noms des maladies étaient réels.
Ces résultats ont des répercussions dans la pratique médicale, soutient la Pre Sheldon. « La population, dont sont issus les étudiants qui entrent en médecine, a différents degrés de connaissances médicales. Et ce bagage peut influencer la manière dont les futurs médecins, une fois en pratique, utiliseront les notions acquises dans des histoires de cas pour faire des diagnostics. Apprendre à faire un diagnostic n’arrive ainsi pas dans le vide. Il faut être conscient que les informations médicales acquises en dehors des cours de médecine peuvent implicitement orienter le raisonnement diagnostique. »
Que retenir de l’étude ? Que la récupération active d’informations est une bonne méthode d’acquisition des connaissances ? « Nous n’avons pas testé la mémoire comme telle dans cette étude, précise la Pre Sheldon. Nous avons plutôt testé l’utilisation des informations acquises dans des histoires de cas pour poser des diagnostics dans des situations apparentées. »
Dans leur article, les chercheuses spécifient : « Notre étude apporte de nouvelles preuves que la récupération active pendant le raisonnement effectué dans des histoires de cas constitue une méthode utile pour permettre le transfert de l’apprentissage – une compétence essentielle pour le développement de l’expertise en médecine. Nos résultats semblent également indiquer que les futures études devraient se concentrer sur la compréhension de facteurs (comme les connaissances initiales) qui influencent la capacité à recourir efficacement à cette forme d’apprentissage. » //
1. Sheldon S, Fan C, Uner I et coll. Learning strategy impacts medical diagnostic reasoning in early learners. Cogn Res Princ Implic 2023 ; 8 (1) : 17. DOI : 10.1186/s41235-023-00472-3.