les prothèses auditives peuvent-elles freiner le déclin cognitif ?
Les appareils auditifs et les implants cochléaires peuvent-ils avoir un effet bénéfique sur le déclin cognitif et la démence ? C’est ce qu’ont voulu savoir M. Brian Sheng Yep Yeo, de l’Université nationale de Singapour, et ses collaborateurs.
Les chercheurs ont effectué une étude, publiée dans le JAMA Neurology, comprenant une première méta-analyse de huit études sur les effets d’interventions auditives sur le déclin cognitif d’un total de 127 000 sujets malentendants1. Leur conclusion : les systèmes de restauration de l’ouïe sont associés à une diminution de 19 % du risque de baisse des fonctions cognitives. Leur seconde méta-analyse, comptant 568 participants venant de onze études, elle, indique même une amélioration de 3 % des résultats des tests cognitifs liée au rétablissement de l’audition. « Cette étude s’ajoute à une base croissante de preuves et sert à inciter les cliniciens à persuader leurs patients malentendants d’adopter des dispositifs de restauration de l’audition afin d’atténuer le risque de troubles cognitifs comme la démence », écrivent les auteurs.
Ces résultats ne convainquent cependant pas le Dr Christian Bocti, neurologue et professeur à l’Université de Sherbrooke. Parce que la plupart des études incluses dans les méta-analyses sont observationnelles. « Est-ce que ces données sont suffisantes pour installer des prothèses auditives dans le but de prévenir la démence ? La réponse est non. L’analyse des chercheurs porte sur des observations, et non des interventions. Ils n’ont donc pas montré que l’emploi des prothèses auditives permet d’éviter les troubles cognitifs », explique le chercheur qui travaille également à Clinique de mémoire de l’Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke.
La question est d’autant plus importante que les appareils auditifs ne sont pas forcément très populaires auprès des personnes malentendantes. « Je demeure toujours surpris du nombre de patients qui me disent qu’ils n’aiment pas porter ces prothèses. Les bruits de fond sont souvent trop forts, et beaucoup n’entendent pas nécessairement mieux avec », précise le spécialiste.
À New York, le Dr Michael Denham et ses collaborateurs se sont eux aussi intéressés à l’étude de M. Yeo. Dans l’éditorial qu’ils signent, ils indiquent que « ce rapport est probablement le plus fort jusqu’à présent » concernant l’association entre les interventions auditives et les fonctions cognitives. Pour eux, « la restauration de l’audition en tant qu’atténuateur potentiel du déclin cognitif reste un secteur actif de la recherche ».
Le Dr Denham et ses collègues estiment, par ailleurs, que l’évaluation de l’ouïe constitue un élément important du bilan des patients susceptibles d’avoir des troubles cognitifs. Le Dr Bocti est d’accord. Les troubles de l’audition peuvent d’ailleurs causer une interférence. Le neurologue a lui-même fait partie d’un groupe de travail de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux en 2015 sur ce sujet. « Dans les recommandations de prise en charge de la démence en première ligne, on conseillait déjà de dépister les problèmes sensoriels visuels et auditifs avant de conclure à un problème cognitif. »
Douze facteurs de risque modifiables pourraient prévenir ou retarder jusqu’à 40 % des démences, affirme de son côté le rapport de 2020 de la Commission du Lancet2. Les problèmes d’audition seraient l’un d’eux. Le groupe de travail préconise donc l’utilisation de prothèses auditives et l’adoption de mesures de protection contre une exposition excessive au bruit.
Les autres facteurs de risque ? La faible scolarité, l’hypertension, le tabagisme, l’obésité, la dépression, l’inactivité physique, le diabète, le manque de contacts sociaux, la consommation excessive d’alcool, les traumatismes crâniens et la pollution de l’air. Mais le lien de la majorité de ces éléments avec le déclin cognitif n’est pas causal, précise le Dr Bocti. « Ils sont associés aux troubles cognitifs, mais il n’a pas été prouvé que des interventions ciblant la plupart de ces facteurs prévenaient réellement la démence. Il n’y a que l’hypertension et l’inactivité physique pour lesquelles, selon moi, on a montré qu’une intervention prospective avait une certaine efficacité. » //
1. Yeo BSY , Song HJJMD, Toh EMS et coll. Association of hearing aids and cochlear implants with cognitive decline and dementia: a systematic review and meta-analysis. JAMA Neurol 2022. DOI : 10.1001/jamaneurol.2022.4427. (publié en ligne le 5 décembre 2022)
2. Livingston G, Huntley J, Sommerlad A et coll. Dementia prevention, intervention, and care: 2020 report of the Lancet Commission. Lancet 2020 ; 396 (10248) : 413-46. DOI : 10.1016/S0140-6736(20)30367-6.