l'expérience de deux GMF-R
Après quelques mois de participation à l’inscription collective, deux supercliniques estiment les résultats concluants. Le service rejoint la clientèle ciblée, les infirmières du GAP font un bon triage en amont, et les patients sont satisfaits. L’ajout à la charge de travail des médecins rend toutefois quasi indispensable l’embauche d’infirmières.
Depuis juin, 29 000 patients sont inscrits collectivement au GMF-R MAclinique Lebourgneuf, à Québec. Pourquoi les médecins ont-ils accepté d’adhérer à cette nouvelle formule ? Pour aider les patients du guichet d’accès à un médecin de famille (GAMF). « Plusieurs des personnes qui utilisent notre service de consultation sans rendez-vous ont déjà un médecin, souvent dans une autre clinique. Ce qui nous a interpellés dans l’inscription de groupe, c’est que les patients qu’on voit sont de vrais patients orphelins », explique la Dre Anne-Marie Beaulieu, codirectrice médicale de la clinique de Québec.
Même son de cloche du côté de la Dre Anne Gervais, directrice médicale du GMF-R Médigo, à Gatineau, dont les médecins ont inscrit 3000 patients en groupe. « L’inscription collective améliore vraiment l’accès aux soins pour la clientèle orpheline, d’autant plus que les rendez-vous qui ne trouvent pas preneur sont offerts à des patients du GAMF qui ne bénéficient pas d’une inscription collective. »
Dans ces deux GMF-R, la participation des cliniciens est facultative, et chacun décide du nombre de consultations qu’il souhaite accorder. À MAclinique Lebourgneuf, 28 des 35 médecins de famille participent. Ils proposent entre 500 et 2000 rendez-vous chacun par année, selon leur disponibilité. « On trouve important que les médecins s’engagent à la hauteur de ce qu’ils veulent et peuvent faire, dit la Dre Beaulieu. Cependant, nous avons convenu que tous doivent offrir des plages de rendez-vous aux heures défavorables. »
L’engouement est moindre chez Médigo où six des 28 médecins ont levé la main. Pourquoi ? « Il y a une certaine méfiance envers les nouvelles façons de faire, observe la Dre Gervais. Les médecins craignent de se faire imposer des obligations. Certains aussi s’inquiètent de ce que peuvent représenter l’inscription collective et le suivi de ces patients. » Un avis légal de la FMOQ indique cependant que la responsabilité du médecin consiste à effectuer le suivi médical requis par l’état du patient à la suite de son intervention, comme c’est d’ailleurs le cas pour un patient orphelin vu au service de consultation sans rendez-vous. « Il y a des suivis à faire, mais il ne faut pas oublier qu’on aide des personnes à obtenir des soins, qu’on va peut-être sauver des vies, souligne la Dre Gervais. C’est de la belle médecine familiale ! »
À MAclinique Lebourgneuf, les médecins ont décidé d’ajouter des plages de consultation pour l’inscription collective plutôt que d’utiliser à cette fin une partie des heures du service de consultation sans rendez-vous. Cette addition représente environ 7300 visites médicales de plus par trimestre. Forcément, les médecins travaillent davantage. Mais pas autant qu’on pourrait le croire. Comment font-ils ? « Les infirmières nous permettent de gagner énormément de temps. Ce sont elles qui rendent cela possible », explique la Dre Beaulieu qui pratique en dyade avec une infirmière clinicienne qu’elle paie elle-même, tout comme la plupart de ses collègues. Lorsque le projet d’inscription collective a commencé, les médecins ont augmenté le nombre d’heures de travail des infirmières. « La mienne fait de 8 à 15 heures de plus par semaine qu’avant », précise l’omnipraticienne.
Ainsi, certains patients voient une infirmière avant leur consultation avec le médecin. Par exemple, si une personne est en dépression, l’infirmière peut discuter avec elle, lui faire passer un questionnaire des risques suicidaires, prodiguer des conseils, expliquer les bienfaits des médicaments, etc. Une personne âgée qui n’a plus de médecin de famille veut renouveler ses médicaments ? De nouveaux parents consultent pour leur poupon ? L’infirmière peut faire une bonne partie de l’anamnèse et répondre aux inquiétudes. « Pendant ce temps, je vois un autre patient. À la fin de la journée, j’ai vu plus de patients, car on était deux. Et souvent, les gens repartent plus satisfaits parce qu’ils ont le sentiment qu’on s’est bien occupé d’eux », constate la Dre Beaulieu.
Quant à la Dre Gervais, elle utilise le montant forfaitaire associé à l’inscription collective pour engager une infirmière clinicienne deux jours par semaine. « Grâce à elle, je peux me concentrer sur l’examen physique, le diagnostic et les soins, ce qui me permet de voir de 12 à 15 patients de plus par jour. Je ne m’en passerais plus. »
Les infirmières auxiliaires peuvent elles aussi contribuer à accroître l’efficacité des médecins. MAclinique Lebourgneuf en a quelques-unes. Elles ont comme tâches de prendre les signes vitaux des patients, de remettre et d’expliquer les ordonnances, de peser et de mesurer les bébés, de faire des prises de sang, etc.
Cela dit, là où la Dre Beaulieu a vu la plus grande augmentation de sa charge de travail liée à l’inscription de groupe, c’est dans la gestion des demandes de tests et du suivi des résultats. « Comme ce sont des patients qui n’ont pas vu de médecin depuis longtemps, il y a souvent des examens à faire. Je travaille peut-être une heure de plus par jour juste en paperasse. Heureusement que pour les patients qui ont une maladie chronique, mon infirmière clinicienne peut s’occuper de transmettre et d’expliquer les résultats. Finalement, les infirmières sont nos anges gardiennes ! »
Qui sont ces patients provenant du GAMF ? Il y a des personnes âgées avec des troubles cognitifs et en perte d’autonomie, des gens avec des problèmes de santé mentale, d’autres qui veulent renouveler leurs médicaments. Il y a aussi beaucoup de personnes atteintes d’une maladie chronique, parfois sans le savoir. Les Dres Beaulieu et Gervais diagnostiquent des hypertensions, des diabètes, des emphysèmes. Elles découvrent des cancers, dont certains sont avancés. Mais elles soignent également des infections de toutes sortes, des éruptions cutanées, des pneumonies, des petites blessures, etc.
« Plusieurs des patients que nous avons vus jusqu’à maintenant sont vulnérables, constate la Dre Beaulieu. Ce n’est pas étonnant puisque ceux qui sont classés A, B et C ont la priorité pour l’inscription de groupe, et que les plus malades ont sans doute pris rendez-vous rapidement. Je pense que le portrait va changer un peu avec le temps, car il y a des gens qui vont bien parmi nos 29 000 patients du GAMF. »
Mais qu’en est-il de la pertinence des rendez-vous avec un médecin ? Plus de 90 % sont justifiés, selon la Dre Beaulieu. Bien sûr, des ajustements ont été nécessaires. Au début du projet, il y avait plus de cas où des patients auraient dû être dirigés vers un autre professionnel de la santé. La clinicienne a alors proposé au GAP de tenir une réunion mensuelle pour discuter de ces erreurs d’aiguillage. Ces rencontres, qui ont toujours lieu, ont contribué à améliorer grandement la qualité du triage effectuée par les infirmières du GAP.
Quant aux patients, ils sont très contents de voir enfin un médecin. L’inscription collective est une avancée pour l’accès aux soins, d’après les deux omnipraticiennes interrogées. « C’est presque mieux que d’avoir un médecin de famille, lance la Dre Anne-Marie Beaulieu. Ici, à la clinique, les patients de l’inscription collective ont accès aux plages de rendez-vous de 28 médecins. Il y en a le jour, le soir et la fin de semaine. Il y a également des avantages pour les médecins qui peuvent travailler plus en équipe. Par exemple, si on est moins à l’aise avec un type de cas, un collègue qui a une meilleure expertise dans ce domaine peut faire le suivi du patient. » Tout aussi enthousiaste, la Dre Anne Gervais indique que cette nouvelle mesure favorise le travail interdisciplinaire. « Je pense que cette façon de faire va nous amener vers un nouveau mode de pratique. » //