Nouvelles syndicales et professionnelles

L’art et l’art-thérapie

des atouts pour améliorer la santé

Nathalie Vallerand  |  2023-03-31

Les recherches le prouvent : qu’il s’agisse de visiter un musée, de peindre ou de chanter, l’art fait du bien. Vous suggérez déjà à vos patients de bien manger et de faire de l’exercice. Et si vous leur recommandiez aussi de s’adonner à des activités artistiques ?

DrBeauchet

Les activités artistiques en groupe peuvent améliorer la santé physique des personnes âgées, montrent les recherches du Dr Olivier Beauchet, de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal. Dans une première étude publiée en 2020, le gériatre et neurologue a mesuré le bien-être général de 130 personnes de 65 ans et plus, avant, pendant et après leur participation à une session de douze semaines d’ateliers hebdomadaires de création artistique au Musée des beaux-arts de Montréal1. Ces sujets, qui vivaient tous à domicile, ont été classés selon leur degré de fragilité physique : vigoureux, légèrement fragiles et modérément fragiles. Après la série d’ateliers qui leur a permis d’expérimenter diverses techniques, comme la peinture sur vitrail et la reliure de livres, des effets positifs ont été constatés sur leur bien-être et leur qualité de vie, mais aussi sur leur condition physique. Le nombre de sujets considérés comme vigoureux est en effet passé de 63 à 100, soit une augmentation de 59 %.

« On savait déjà que les arts étaient bénéfiques pour la santé mentale des personnes qui ont une maladie, dit le Dr Beauchet, également professeur titulaire à l’Université de Montréal. Mais c’est la première fois qu’une étude prouve qu’ils peuvent aussi améliorer la santé physique des personnes âgées. »

Une deuxième étude, menée également auprès de 101 su­jets d’au moins 65 ans, a révélé que ces bienfaits perdurent souvent, même s’ils s’atténuent. Ainsi, quinze mois après le début des ateliers, la valeur moyenne du score de fragilité et le pourcentage d’aînés fragiles demeuraient plus bas.

Le Dr Beauchet a également effectué, en 2022, un essai contrôlé à répartition aléatoire où 106 aînés isolés socialement participaient en vidéoconférence à des visites guidées du musée, suivies d’une discussion. Après trois mois de ces rencontres virtuelles hebdomadaires, le groupe d’intervention a vu une amélioration notable de sa santé tant mentale que physique, contrairement au groupe témoin2.

« Participer à des ateliers artistiques permet à la personne de sortir de chez elle, de rencontrer des gens, de créer une oeuvre. Elle éprouve du plaisir. Elle se reconnecte aussi à elle-même, car l’art a une dimension émotionnelle très riche. »

– Dr Olivier Beauchet

Mais comment expliquer les bienfaits de l’aquarelle ou du modelage d’argile sur la forme physique ? « Ces activités changent la perception et la vision du monde, indique le Dr Beauchet. Participer à des ateliers artistiques permet à la personne de sortir de chez elle, de rencontrer des gens, de créer une œuvre. Elle éprouve du plaisir. Elle se reconnecte aussi à elle-même, car l’art a une dimension émotionnelle très riche. Son cerveau est stimulé. Son humeur est meilleure. Et comme elle a une vision du monde plus positive, elle a davantage envie d’aller vers les autres, de marcher, de faire plein de choses. Elle devient plus résistante à l’effort, sa pression artérielle et son poids diminuent. Donc, son état de santé s’améliore. »

Le Dr Olivier Beauchet est par ailleurs en train de mener une étude sur la « prescription muséale », une initiative lancée en 2018 par Médecins francophones du Canada (MFC) et le Musée des beaux-arts. MFC avait ainsi commencé à offrir aux médecins des blocs d’ordonnances qu’ils pouvaient remplir et qui servaient de billet d’entrée au musée. La visite était ainsi gratuite. « Nous voulons vérifier si ce projet a un effet positif sur le bien-être des patients. Pour y arriver, nous demandons aux participants de répondre à un questionnaire validé d’auto-évaluation avant et après la visite. » L’étude, qui devrait être terminée l’été prochain, ciblera 123 patients adultes, peu importe leur problème de santé, suivis par une quinzaine de médecins de famille. La prescription muséale en dehors de l’étude, qui a été suspendue depuis le début de la COVID-19, devrait reprendre après l’obtention des résultats.

Les Impatients

DrTourian

Depuis trente ans, l’organisme Les Impatients vient en aide aux personnes ayant des problèmes de santé mentale par l’intermédiaire de l’expression artistique. Ses ateliers d’arts visuels, de bande dessinée, de chant ou de musique sont offerts dans vingt et un sites répartis dans treize villes du Québec. L’organisme de bienfaisance peut compter sur le soutien de plusieurs partenaires du secteur de la santé (CISSS et CIUSSS, fondations hospitalières, etc.). D’ailleurs, certains ateliers sont réservés à la clientèle de ces derniers, comme les jeunes du Centre jeunesse de la Montérégie, les patients de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal ou encore les personnes hospitalisées au Centre hospitalier régional de Lanaudière.

« Il est important de proposer une approche complémentaire aux médicaments et aux thérapies, estime le psychiatre Leon Tourian, qui préside le conseil d’administration de l’organisme. Tout ce qui brise l’isolement a des répercussions positives sur la santé mentale en diminuant la détresse et en augmentant la qualité de vie. Une recherche effectuée en 2014 auprès de notre clientèle a même montré une réduction du nombre d’hospitalisations. Sans compter que la création artistique améliore l’estime de soi. Vous devriez voir la fierté des participants lorsque des gens achètent leurs œuvres lors des expositions-encans Parle-moi d’amour ! »

Le Dr Tourian exerce au Centre universitaire de santé McGill auprès de patients souffrant de douleurs chroniques. Il lui arrive d’en diriger certains vers les ateliers des Impatients. « Il s’agit d’une activité non stressante, qu’ils peuvent faire à leur rythme, sans jugement ni pression. Il y a même des moments où ils en oublient leur douleur. » S’exprimer par l’art s’avère aussi thérapeutique pour ces personnes fréquemment habitées par un sentiment d’injustice. Il se souvient d’une patiente, accidentée de la route, qui lui a offert un tableau où elle avait extériorisé sa rage et sa souffrance. « Elle avait l’impression que ses émotions l’empoisonnaient moins ensuite. Je regarde souvent son œuvre qui me rappelle, chaque fois, pourquoi je m’engage auprès des Impatients. »

Projet Espace Transition

DreGarel

Violoncelle, danse, opéra, percussions, théâtre… Le projet Espace Transition du CHU Sainte-Justine a également recours à l’art, mais cette fois pour favoriser l’insertion sociale de jeunes de 14 à 25 ans atteints de troubles psychiatriques stabilisés. « Le retour à la vie normale est une période critique, car ces jeunes sont encore fragiles, dit sa fondatrice et directrice, la psychiatre Patricia Garel. Le risque de rechute est grand. Nos programmes les aident à se remettre en mouvement en participant à la réalisation d’une œuvre collective qui sera ensuite présentée devant public lors d’un spectacle ou d’un vernissage, par exemple. »

La particularité du projet est de réunir des jeunes qui ont un diagnostic de trouble mental et d’autres qui n’en ont pas. « Comme les artistes qui animent les ateliers ignorent lesquels souffrent d’une psychopathologie, ils ne sont pas portés à les protéger en leur demandant moins qu’aux autres, indique la Dre Garel. Les jeunes, eux, ne sont pas étiquetés. Et à leur grande surprise, ils constatent qu’ils sont capables de beaucoup plus qu’ils ne le pensent. » Pour assurer un filet de sécurité, un accompagnateur clinique est toutefois présent en tout temps pour offrir du soutien au besoin.

Espace Transition fait par ailleurs l’objet d’un cours optionnel du programme d’études médicales de premier cycle de l’Université de Montréal. Mais oubliez la théorie. Les futurs médecins sont des participants comme tous les autres. Et leur statut d’étudiant en médecine n’est pas divulgué. Une expérience souvent déstabilisante. « Être sur une scène, c’est plus facile pour un jeune qui a un trouble bipolaire que pour un étudiant en médecine », lance la Dre Garel. Selon elle, ce stage hors de l’ordinaire permet de déstigmatiser la maladie mentale et de mieux comprendre les maladies psychiatriques.

Depuis les débuts d’Espace Transition, en 2009, des activités de recherche en continu y sont associées. « Les résultats montrent des effets positifs sur le bien-être affectif et le fonctionnement psychosocial des participants », souligne la psychiatre. Elle invite d’ailleurs les médecins de famille à communiquer avec son équipe s’ils pensent que ce projet pourrait être bénéfique pour un de leurs jeunes patients. « Demandez-lui la permission de nous transmettre ses coordonnées, et nous allons le contacter. C’est nous qui appelons les jeunes, sinon ils ne le font pas, car ils se croient souvent incapables de suivre nos programmes. Avec le temps, nous avons mis au point des stratégies pour les convaincre. » Des ateliers sont offerts à Montréal, à Chicoutimi, à Rivière-du-Loup, à Rouyn-Noranda, à Saint-Jérôme et à Vaudreuil.

L’art-thérapie, une démarche plus structurée

Le recours à l’art pour aider des personnes aux prises avec divers problèmes de santé ou difficultés peut aussi s’inscrire dans une véritable démarche thérapeutique. L’accompagnement est alors effectué par un art-thérapeute, un professionnel qui a une formation de 2e cycle universitaire en art-thérapie.

DreMasrouha

« Les enfants et les adolescents s’expriment parfois plus facilement avec des dessins et des bricolages qu’avec des paroles, indique la psychiatre Nisrine Masrouha, cheffe du programme de pédopsychiatrie de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, qui compte deux art-thérapeutes. Avec l’art-thérapie, ils apprennent aussi à canaliser leurs émotions de manière plus constructive. Par exemple, on remarque une meilleure gestion de la colère et des frustrations chez les enfants de 6 à 12 ans qui fréquentent notre hôpital de jour en raison de difficultés d’adaptation à l’école. »

L’art-thérapie offre plusieurs avantages, dont celui de faciliter la communication parent-enfant, selon la Dre Masrouha. « Les parents sont parfois invités à assister à l’une des séances d’art-thérapie de leur enfant. Le jeune peut ainsi se servir de sa création pour leur dire ce qui le dérange, ce qui ne va pas bien. Les parents, eux, comprennent mieux ce qu’il vit. Par la suite, certains utilisent l’art pour maintenir le dialogue avec leur jeune, par exemple en faisant des activités artistiques avec lui. »

L’art-thérapie, qui ne nécessite aucun talent artistique particulier, est utile dans plusieurs contextes. Ainsi, le Musée des beaux-arts de Montréal a un partenariat avec l’Institut Raymond-Dewar, du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, pour offrir des ateliers d’art-thérapie aux jeunes qui présentent des troubles langagiers, comme la surdité, l’aphasie ou le bégaiement. Il a aussi des ententes semblables avec des organismes du secteur de la santé, notamment Anorexie et Boulimie Québec et Parkinson Québec.

SLegari

Si l’approche varie selon la réalité de la clientèle, l’organisation des séances au musée reste la même : visite des collections autour d’un thème, discussion sur le ressenti lié aux œuvres vues, activité de création et partage à propos des œuvres de chacun. « L’idée est de parler de soi à travers les œuvres, explique Stephen Legari, art-thérapeute et responsable des programmes éducatifs en art-thérapie au musée. Et l’approche fonctionne, car les intervenants entendent souvent des choses qu’ils n’entendent pas en milieu clinique. »

Les thèmes explorés n’ont pas nécessairement un lien avec les difficultés des membres du groupe. « L’art-thérapie est holistique, affirme M. Legari. Elle s’adresse à toutes les dimensions de la personne. Avec les gens qui ont des trou­bles de l’alimentation, par exemple, on aborde le sujet de l’image corporelle, mais on ne s’y limite pas. »

Mettre des mots sur des maux

LSarrasin

Les personnes atteintes du cancer retirent aussi des avantages de l’art-thérapie. « Pendant la méditation qui précède la création, et tout au long du processus, j’invite les participants à porter attention aux émotions, aux sensations, aux images et aux couleurs qui montent en eux, dit l’art-thérapeute Lucie Sarrasin, qui donne des ateliers en ligne ou en personne pour la Fondation québécoise du cancer. Pour certains, c’est la première fois qu’ils s’accordent la permission d’exprimer ce qu’ils ressentent depuis qu’ils ont le cancer. D’autres déposent dans leur œuvre un ressenti dont ils n’étaient pas conscients. L’art-thérapie permet d’extérioriser et d’accueillir les émotions. Elle libère un espace intérieur et permet d’apprendre à mettre des mots sur des maux. »

Cette forme de thérapie aide également les patients à reprendre un peu de pouvoir sur ce qu’ils vivent. Mme Sarrasin donne l’exemple d’une femme qui a projeté sa colère sur une grande feuille avec de la peinture, pour ensuite la déchirer. « Elle a trouvé ce geste libérateur. Cela lui a fait du bien. »

Cependant, il ne faut pas croire pour autant que ces ateliers sont tristes et déprimants. Il y a aussi de la lumière et de l’espoir qui ressortent des créations. Et surtout, il y a la solidarité et le soutien qui se développent entre les participants. Coralie, 39 ans, peut en témoigner. Atteinte d’un cancer du sein, elle s’est inscrite aux ateliers d’art-thérapie de la Fondation québécoise du cancer pour se changer les idées après une mastectomie. « À l’hôpital, on entre, on sort, on va rencontrer des médecins, mais il n’y a pas d’esprit de communauté, dit-elle. En art-thérapie, on a un groupe juste à nous, composé de gens qui vivent des choses similaires. J’apprends beaucoup des femmes qui sont plus avancées que moi dans leur parcours avec la maladie. Par exemple, je me prépare à retourner au travail, et leurs expériences nourrissent ma réflexion. Et quand une nouvelle arrive, je peux redonner au suivant. Je ne suis plus seulement une patiente, je suis aussi une personne qui peut aider et réconforter les autres. »

Même s’il y a parfois des pleurs, l’atmosphère n’est pas lourde, et le cancer n’est pas le seul sujet de discussion, assure Coralie. « On rigole, on parle un peu de tout. La dernière chose que je voulais en faisant de l’art-thérapie, c’est que cela me fasse sentir malade. Mais ce n’est pas du tout le cas. Quand je termine un atelier, je me sens bien. » //

1. Beauchet O, Bastien T, Mittelman M et coll. Participatory art-based activity, community-dwelling older adults and changes in health condition: Results from a pre-post intervention, single-arm, prospective and longitudinal study. Maturitas 2020 ; 134 : 8-14. DOI : 10.1016/j.maturitas.2020.01.006

2. Beauchet O, Matskiv J, Galery K et coll. Benefits of a 3-month cycle of weekly virtual museum tours in community dwelling older adults: Results of a randomized controlled trial. Front Med 2022 ; 9 : 969122. DOI : 10.3389/fmed.2022.969122