un premier test moléculaire pour poser le diagnostic
Comment savoir si votre patient est atteint d’encéphalomyélite myalgique ou de fibromyalgie ? Peut-être souffre-t-il des deux ? Jusqu’à présent, seuls les symptômes permettaient de poser un diagnostic. Maintenant, un tout nouveau test moléculaire distingue les deux maladies et parvient même à détecter leur présence simultanée1. L’outil n’est pas encore commercialisé, ni même homologué, mais déjà, les patients peuvent obtenir un diagnostic dans un cadre de recherche (encadré).
La nouvelle analyse a été mise au point au centre de recherche du CHU Sainte-Justine. Le Pr Alain Moreau et son équipe viennent de prouver que la présence de l’encéphalomyélite myalgique (ou fatigue chronique) et de la fibromyalgie pouvait être établie grâce à onze biomarqueurs. Leurs données, récemment publiées dans Scientific Reports, représentent une importante pièce d’un puzzle complexe.
Le diagnostic de l’encéphalomyélite myalgique s’effectue actuellement par exclusion. Plus de 80 % des personnes atteintes ne seraient d’ailleurs pas diagnostiquées. Touchant de 1 % à 3 % de la population, la maladie est caractérisée par un épuisement extrême, un dysfonctionnement cognitif, des troubles du sommeil et, surtout, par un malaise après un effort, qui en est le symptôme clé.
La fibromyalgie, elle, frappe de 2 % à 8 % de la population et se manifeste par des douleurs chroniques, un bas seuil de douleur ainsi qu’une sensibilité des muscles, des tendons et des articulations. Des problèmes de fatigue, de sommeil et des troubles cognitifs sont également présents. Le diagnostic est fondé uniquement sur des critères cliniques.
Pour chacune des deux maladies, les chercheurs québécois ont établi une signature moléculaire constituée de onze petits ARN. « Chez les patients atteints d’encéphalomyélite myalgique, on voit une forte élévation du taux de ces biomarqueurs (figure). Chez ceux qui souffrent de fibromyalgie, c’est l’opposé : on les détecte à peine », explique le Pr Moreau, directeur scientifique du Laboratoire Viscogliosi en génétique moléculaire des maladies musculosquelettiques au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine.
La découverte des chercheurs apporte notamment la preuve que les deux maladies, aux symptômes qui se chevauchent, constituent bien deux affections distinctes. Et qu’elles peuvent aussi être présentes de manière concomitante. Les taux des biomarqueurs correspondent alors à une valeur intermédiaire (figure).
Les biomarqueurs que le Pr Moreau et son équipe utilisent sont des microARN que l’on dit non codants. « Ils s’intercalent à la fin des ARN messagers et empêchent la production de la protéine. Il s’agit d’éléments régulateurs. Il en existe à peu près 2500 chez l’être humain », indique le chercheur, qui enseigne au Département de biochimie et médecine moléculaire de l’Université de Montréal.
Le dosage des microARN est déjà employé dans d’autres maladies. « Ils sont de plus en plus utilisés comme biomarqueurs diagnostiques ou même pronostiques. Par exemple, ils peuvent aider à stratifier la gravité de certaines tumeurs. En médecine moléculaire, l’avenir des tests diagnostiques passe par ce genre de molécules », estime le Pr Moreau, également directeur du Réseau canadien de recherche concertée interdisciplinaire sur l’encéphalomyélite myalgique.
Pour leurs travaux, le chercheur et ses collaborateurs ont utilisé onze microARN déjà associés à la fatigue chronique et à la fibromyalgie. Afin d’en établir l’efficacité diagnostique, ils ont recruté 41 patients atteints d’encéphalomyélite myalgique ainsi que 29 souffrant à la fois d’encéphalomyélite myalgique et de fibromyalgie et 28 témoins sédentaires. Les participants ont fourni des échantillons sanguins et rempli des questionnaires d’évaluation. Pour les données sur les sujets atteints de fibromyalgie, l’équipe a recouru aux prélèvements et aux informations de la biobanque CARTaGENE.
Le Pr Moreau et son équipe ont découvert qu’ensemble, les onze microARN ciblés permettaient de poser un diagnostic à la fois dans le cas de l’encéphalomyélite myalgique, de la fibromyalgie et des deux quand elles étaient concomitantes.
En présence d’encéphalomyélite myalgique, le taux des onze microARN est beaucoup plus élevé. Leur concentration est d’ailleurs liée à la gravité de la maladie. Les chercheurs ont ainsi établi des corrélations entre le taux de certains de ces petits ARN et le malaise post-exercice ainsi qu’avec les douleurs musculaires et articulaires.
Ces microARN sont par ailleurs plus que de simples marqueurs. « Ils contribuent à la pathogenèse », indique le Pr Moreau. On sait qu’ils réduisent la production de certaines
protéines : des interleukines, des chimiokines, des facteurs de croissance, etc. Ils pourraient ainsi avoir des répercussions sur la prolifération des cellules immunitaires, l’inflammation chronique, la différenciation des macrophages et le recrutement des leucocytes.
Et qu’en est-il pour la fibromyalgie ? Le taux des microARN s’effondre carrément. « Cette chute contribue à l’augmentation de certaines des protéines cibles, comme la chimiokine CCL 11, qui est connue pour être élevée chez les personnes souffrant de fibromyalgie », explique le Pr Moreau. La CCL11 agirait sur les leucocytes et les phagocytes. Certains des autres microARN mesurés, eux, touchent des protéines qui peuvent influer notamment sur le sommeil, la douleur et la viabilité des cellules dendritiques.
Quand à la fois l’encéphalomyélite myalgique et la fibromyalgie sont présentes, les taux des microARN atteignent un niveau moyen. Cependant, la gravité de la maladie du patient s’accroît. Les questionnaires standardisés remplis par les sujets le montrent. « Le score des douleurs musculaires et articulaires était significativement plus élevé chez les participants atteints des deux maladies que chez ceux qui souffraient uniquement d’encéphalomyélite myalgique, mentionne le Pr Moreau. Le fait d’avoir en plus la fibromyalgie aggrave un ensemble de symptômes, dont la douleur. Notre étude apporte donc un éclairage nouveau et confirme ce que plusieurs cliniciens avaient déjà constaté. »
Quelle est la précision du test avec les onze microARN ? Pour distinguer l’encéphalomyélite myalgique de la fibromyalgie, sa sensibilité et sa spécificité sont de 100 % (tableau). Elles sont aussi de 100 % pour différencier un patient fibromyalgique d’une personne saine.
Et pour diagnostiquer l’encéphalomyélite myalgique ? La sensibilité de l’épreuve est de 70 % et sa spécificité, de 60 %. Il est cependant possible d’obtenir un résultat beaucoup plus élevé, respectivement d’environ 100 % et 75 %. Il faut, pour cela, effectuer un test comprenant une manœuvre provoquée.
« Nous avons créé un test permettant de produire le malaise post-effort grâce à un stress mécanique engendré par un brassard qui se gonfle et se dégonfle tranquillement2. Chez les personnes en bonne santé, la manœuvre correspond à un massage thérapeutique. Chez les gens atteints d’encéphalomyélite myalgique, elle équivaut à courir un marathon. Après 90 minutes de stimulation, ils sont épuisés. On provoque ainsi le malaise après effort, qui est le symptôme cardinal de l’encéphalomyélite myalgique », explique le Pr Moreau. Grâce à ce stress, le taux de certains des onze microARN s’élève alors davantage.
La manœuvre provoquée permet par ailleurs de récolter une multitude de données en temps réel. « Les patients peuvent, par exemple, avoir des pertes de mémoire et même présenter des changements de la concentration d’oxygène cérébrale. On a ainsi plus qu’une photo de base de l’état du patient. On l’amène à une phase plus critique qui nous montre quelles sont ses anomalies. On peut alors poser un diagnostic beaucoup plus précis. »
Les chercheurs peuvent ainsi déterminer le sous-groupe du patient atteint. « L’encéphalomyélite myalgique ne constitue pas une entité homogène. Elle comporte un spectre », ajoute le Pr Moreau. Son équipe a établi quatre profils. L’un est caractérisé par une maladie beaucoup plus grave, d’autres sont associés à des symptômes particuliers comme le brouillard mental ou des problèmes vasculaires tels que le syndrome de tachycardie orthostatique posturale. Les traitements à envisager sont alors différents.
L’intérêt des onze microARN va au-delà du diagnostic. Ils ouvrent aussi de nouvelles avenues thérapeutiques. « On va étudier plus en profondeur les protéines ciblées par les onze microARN. Certaines peuvent être bloquées par des médicaments déjà existants. Les cytokines, par exemple, peuvent être neutralisées par des anticorps monoclonaux. Certaines molécules peuvent également bloquer leurs récepteurs ou interagir avec elles », dit le Pr Moreau.
Le chercheur ne tente pas de découvrir de nouveaux médicaments. La démarche serait trop longue. « Nous préférons intervenir avec des molécules connues pour normaliser la concentration de marqueurs dont le taux est anormalement bas ou élevé. » Récemment, des collègues médecins du Pr Moreau ont obtenu de bons résultats avec certaines statines. Mais elles ne fonctionnent pas chez tous les patients.
« On veut essayer d’atténuer les symptômes les plus handicapants, même si l’on n’obtient pas forcément de guérison. Pour un patient alité presque 20 heures sur 24, le fait de pouvoir fonctionner pendant six ou sept heures dans une journée, et même d’être indépendant pour la première fois depuis plusieurs années, constitue un progrès important. »
Les onze microARN attirent par ailleurs l’attention de la communauté scientifique. En seulement deux mois, l’article du Scientific Report du Pr Moreau et de son équipe a été téléchargé plus de 10 000 fois. « On pense qu’il sera parmi le top 100 en 2023, tout comme l’a été en 2020 celui que nous avons publié sur le test avec stress. Chaque année, la revue présente presque 30 000 articles. »
Quelle est la suite ? Quand le test sera-t-il offert aux patients ? Il ne demande qu’une simple prise de sang. « Comme il s’agit d’un test PCR, demain matin, les laboratoires des hôpitaux tout comme les entreprises privées pourraient l’offrir. Il s’agit de la même technique que pour la détection du virus de la COVID-19. On s’est efforcé de concevoir un test qui peut être effectué avec les appareils que possèdent déjà les laboratoires cliniques. »
Pour accélérer le processus, les chercheurs vont faire eux-mêmes une demande d’homologation. « Tant qu’il n’y a pas d’homologation, le gouvernement du Québec ne payera pas pour les tests. Les laboratoires privés, eux, hésiteront peut-être à l’offrir, parce que les assurances privées pourraient ne pas vouloir en rembourser les coûts. » En attendant, le test diagnostique peut être obtenu dans le cadre d’une étude (encadré). //
1. Nepotchatykh E, Caraus I, Elremaly W et coll. Circulating microRNA expression signatures accurately discriminate myalgic encephalomyelitis from fibromyalgia and comorbid conditions. Sci Rep 2023 ; 13 (1) : 1896. DOI : 10.1038/s41598-023-28955-9.
2. Nepotchatykh E, Elremaly W, Caraus I et coll. Profile of circulating microRNAs in myalgic encephalomyelitis and their relation to symptom severity, and disease pathophysiology. Sci Rep 2020 ; 10 (1) : 19620. DOI : 10.1038/s41598-020-76438-y.