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La Silicon Valley Bank ou l’autopsie d’une faillite bancaire

2023-05-01

À la mi-mars 2023, le secteur financier américain se réveille dans la stupeur. La Silicon Valley Bank, une banque régionale californienne spécialisée dans les jeunes pousses technologiques et les firmes de capital-risque, a été victime d’une ruée bancaire. C’est la faillite. Il n’en faut pas plus pour ressasser les écueils de 2008 et l’effondrement cathartique de la banque d’investissement Lehman Brothers. Les banquiers américains sont nerveux. Au pays, leurs confrères canadiens se font rassurants. Les experts affirment que la probabilité d’une contagion dans le secteur bancaire américain est faible. Celle d’une propagation au Canada est quasi nulle. Que s’est-il passé ?

Jetons les bases : qu’est-ce qu’une banque ?

À première vue, cette question paraît un peu simpliste. Tout le monde sait qu’une banque accepte les dépôts de ses clients d’un côté et effectue des prêts de l’autre, souvent à cette même clientèle. Il n’y a rien de sorcier. Cependant, peu de gens le réalisent, mais une banque est une machine à étirer le temps.

D’un côté du bilan bancaire, les dépôts sont un passif à court terme, soumis à une forte rotation qui suit le rythme des entrées et des sorties d’argent fréquentes que nécessite la vie moderne. Pour le commun des mortels, la paye arrive toutes les deux semaines : dépôt. Il faut bien régler les factures : retrait. C’est la marée de liquidités qui rythme le quotidien de nos banques commerciales.

Tableau

De l’autre côté du bilan bancaire, les prêts sont considérés comme des actifs à long terme pour la banque commerciale. Une entrepreneuse qui investit dans son entreprise ou un ménage qui achète une propriété empruntera des fonds et prendra un certain temps avant de rembourser sa créance. C’est là qu’intervient la sorcellerie : une banque doit gérer le décalage de durée entre son passif et son actif.

Pour expliciter ce dont il est question, considérons le bilan simplifié d’une banque commerciale, présenté ci-contre (tableau). Du côté de l’actif, une banque commerciale détient des réserves, soit des liquidités lui permettant de régler ses transactions courantes et de faire face aux retraits de dépôts. Toute banque veut minimiser le niveau d’encaisse de réserves qu’elle maintient au bilan puisqu’il y a peu d’argent à faire en les détenant. Il est en effet généralement beaucoup plus rentable de prêter des fonds au gouvernement via l’achat d’obligations, aux entreprises et aux ménages. Après tout, les banques sont en affaires pour réaliser des profits. C’est pourquoi la grande majorité de leur actif est immobilisée sous cette forme alors que leur passif est majoritairement composé de dépôts bancaires. Ces derniers ont la particularité d’être hyperactifs. Les dépôts et les retraits sont nombreux, parfois importants, mais surtout réguliers et c’est là l’essentiel.

Les secteurs bancaires américain et canadien, un monde de différences

D’entrée de jeu, le système bancaire américain est plus propice aux écueils que sa contrepartie canadienne. Érigées en oligopole, les banques canadiennes sont peu nombreuses et sont parmi les plus conservatrices au monde. L’un découle fort probablement de l’autre, c’est-à-dire qu’en raison de leur petit nombre, les banques canadiennes n’ont pas à faire face à une grande concurrence. Faisant des profits élevés et réguliers dans leurs opérations types, elles n’ont pas besoin de réinventer la roue et de chercher du rendement dans des activités plus innovantes ou plus risquées.

Du côté américain, l’histoire est tout autre. D’abord, il y a un nombre beaucoup plus important de bannières. Puisque la concurrence est féroce, les banques américaines doivent être innovantes et efficaces. Développer de nouveaux créneaux d’affaires et de nouveaux produits financiers attrayants à un prix compétitif, voilà les avantages d’un tel système. L’envers de la médaille, car il y en a toujours un, est que cette concurrence réduit leur profitabilité. Les banquiers américains sont donc contraints de chercher des avenues pour améliorer leur rentabilité. Ils le font parfois en étirant de façon inquiétante les limites du risque acceptable ou en militant pour amoindrir la réglementation du secteur, comme ce fut le cas des banques régionales de taille moyenne en 2018.

Le cas de la Silicon Valley Bank

Pour tirer son épingle du jeu dans le marché américain, la Silicon Valley Bank s’est spécialisée dans le secteur des jeunes pousses technologiques et du capital-risque. Un secteur prometteur, en ébullition pendant la pandémie. Les activités de la Silicon Valley Bank ont donc pris beaucoup d’ampleur au cours des dernières années. Les clients faisant de bonnes affaires ont déposé des sommes considérables auprès de la banque, ce qui a permis l’expansion des activités de prêts tant du côté du secteur public que privé. Jusque-là, il n’y avait pas de problème. Cependant, depuis la hausse des taux d’intérêt entamée le printemps dernier, le financement coûte plus cher et les liquidités se font rares pour les entreprises technologiques clientes de la Silicon Valley Bank. Elles ont besoin de leurs dépôts pour assurer leurs opérations courantes.

La première erreur de la Silicon Valley Bank a été d’axer son activité sur un petit nombre de clients, concentrés dans un seul secteur d’activité avec des moyens financiers appréciables. Lorsque les conditions de marché changent et que ces derniers tirent sur leurs dépôts, comme ce fut le cas récemment, les entrées de fonds se font plus erratiques pour la banque. Celle-ci doit être liquide afin de répondre à la demande de sa clientèle. En mars 2023, ce ne fut pas le cas.

Jouer avec le feu : le problème de la durée

Dur réveil pour la Silicon Valley Bank : son passif est éventré et il faut rapidement trouver les liquidités pour accommoder les retraits massifs. Pas de panique ! À son bilan, la banque possède des obligations du gouvernement américain qu’elle peut aisément vendre sur le marché secondaire pour obtenir les liquidités nécessaires, n’est-ce pas ? C’est effectivement le cas. Cependant, et c’est la deuxième erreur commise, la banque ne s’est pas protégée adéquatement contre le risque de taux d’intérêt.

Au cours des derniers mois, la Silicon Valley Bank a acheté des obligations à long terme du gouvernement fédéral américain pour maximiser son profit, puisque ces dernières offrent généralement un rendement supérieur aux actifs de court terme. La récente poussée des taux d’intérêt a toutefois fait fondre la valeur au livre de son portefeuille d’obligations. Rappelons-nous que le prix des obligations et les taux d’intérêt du marché évoluent en sens opposé. La perte au livre a été réalisée lorsque la banque s’est vue contrainte de liquider ses titres pour rembourser les retraits massifs. Le 8 mars dernier, la publication des résultats trimestriels de la Silicon Valley Bank faisait état d’une perte de 1,8 milliard de dollars.

Tout n’était pas perdu

Cela dit, à ce stade, encore rien n’était joué. Une semaine avant la faillite, la Silicon Valley Bank était techniquement insolvable, mais loin d’être condamnée. Sans une ruée massive sur ses dépôts, la banque aurait probablement surnagé en attendant que ses obligations à long terme arrivent à échéance. Elle aurait survécu. La mort réelle de la banque, c’est-à-dire la faillite, nécessitait une étape supplémentaire : une perte de confiance coordonnée des déposants conduisant à une ruée bancaire. C’est exactement ce qui s’est passé ensuite. Pendant que la direction de Silicon Valley Bank s’efforçait de lever des fonds pour soutenir ses activités, des partenaires de la banque ont conseillé à leurs clients de retirer tout leur argent en dépôt chez elle. Il n’en fallait pas plus pour démarrer la machine à rumeurs. Lorsque d’autres clients de la Silicon Valley Bank ont eu vent de cet exode sur des groupes de discussion et sur Twitter, ils ont couru eux aussi vers la sortie. Les jeux étaient faits. Le 9 mars, les clients de la Silicon Valley Bank ont retiré 42 milliards de dollars en une seule journée, soit 25 % du total des dépôts. Leurs retraits représentent plus de 1,2  million de dollars par seconde sur les neuf heures ouvrables. C’est une hémorragie dont peu de banques peuvent se relever. //

Note de la rédaction. Ce texte a été écrit, révisé et mis en pages par Conseil et Investissement Fonds FMOQ inc. et ses mandataires. Il n’engage que ses auteurs.