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Maltraitance chez les personnes âgées

comment la détecter à l’urgence ?

Élyanthe Nord  |  2023-05-01

Au Québec, 1 % des aînés ont déclaré avoir été victimes de maltraitance physique au cours de l’année précédente. Comment les reconnaître ? Quels outils peuvent aider le médecin ?

Dr Patrick Tardif

À l’Hôpital de la Cité-de-la-Santé, à Laval, le Dr Patrick Tardif, chef médical de l’urgence, voit des personnes âgées venir fréquemment dans son service ou encore consulter pour des blessures ou des traumatismes. Parfois, l’histoire est difficile à obtenir. Se pourrait-il que certains de ces patients aient été victimes de maltraitance ?

Une étude publiée dans le JAMA Network Open vient de montrer que les aînés subissant de mauvais traitements ont presque trois fois plus de risque de se rendre à l’urgence et une probabilité presque deux fois plus élevée d’être hospitalisés1. Leur profil de consommation de soins est différent de celui des autres personnes du même âge.

L’étude a été effectuée aux États-Unis à partir des données de l’assurance Medicare. Les chercheurs, le Dr Tony Rosen et ses collaborateurs, ont comparé les services de santé utilisés par 114 personnes âgées victimes de maltraitance à ceux de 410 sujets témoins de même âge, de même sexe, de même race et de même région. Ils ont analysé les réclamations faites douze mois avant et douze mois après la dénonciation de l’agresseur. La date du signalement était généralement le moment où la victime ou une autre personne avait appelé le 911.

Un portrait particulier d’utilisation des soins s’est alors dessiné chez les personnes maltraitées. Ces dernières étaient plus nombreuses que les sujets témoins à avoir effectué au moins une visite à l’urgence, à avoir eu une consultation pour une blessure, à s’être rendues dans de multiples urgences et à avoir effectué des visites pour des problèmes peu urgents. Les aînés victimes de maltraitance avaient également plus de risque d’avoir été hospitalisés au moins une fois, admis pour des blessures et hospitalisés dans des centres différents.

Des cas non repérés

Aux yeux du Dr Tardif, l’étude de son collègue américain est intéressante. « Il est clair que certains cas de maltraitance ont dû nous échapper, estime-t-il. J’ai regardé les diagnostics au congé de l’urgence ; on n’en a eu aucun lié à ce problème. J’ai parlé aux archivistes, et on n’a même pas la possibilité d’indiquer la maltraitance comme diagnostic potentiel. »

Il y a assurément eu des cas. En 2019, au Québec, presque 6 % des personnes âgées vivant à domicile ont déclaré avoir subi un type de maltraitance au cours des douze mois précédents. Un pour cent a parlé de mauvais traitements physiques2.

« La maltraitance n’est pas un élément auquel on pense souvent dans le contexte de la médecine d’urgence. Le plus grand intérêt de cette étude est d’amener au premier plan un problème probablement sous-estimé dans le système de santé et les soins d’urgence. Elle montre certains points qui pourraient nous donner des indices », mentionne le clinicien.

Une occasion de dépistage

Pre Mélanie Couture

La visite d’une personne âgée à l’urgence ou dans une clinique constitue une occasion de dépistage à ne pas rater, estime la Pre Mélanie Couture, professeure agréée à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke. « Souvent, les personnes qui vivent de la maltraitance sont isolées. Elles n’ont pas beaucoup d’occasions de sortir en dehors des visites chez le médecin. C’est sûr que l’on va les trouver là. »

Que peut faire le clinicien quand il a un soupçon ? La première étape est d’en parler au patient lui-même. « Il faut aller chercher sa perspective. On doit lui laisser de l’espace et ne pas le brusquer, conseille la Pre Couture, également titulaire de la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées. Il faut prendre le temps de lui poser des questions et de l’observer aussi. On peut voir s’il a peur. Il faut aussi s’enquérir de sa perspective. Dans certaines dynamiques familiales, tout le monde se crie après. Il peut affirmer que lui aussi donne des coups, mais il reste qu’il peut être victime de maltraitance. »

Outils utiles

Pour avoir une meilleure idée de la situation, le médecin peut recourir à plusieurs outils et questionnaires.

Questionnaire EASI
https://bit.ly/3ZYN9QO

Le questionnaire EASI (Évidence d’abus selon des indicateurs) a été créé et testé pour aider les médecins à repérer les personnes âgées victimes de maltraitance. Il comprend six questions qui permettent de décider s’il faut demander une évaluation plus poussée aux services sociaux. Par exemple : « Est-ce que quelqu’un vous a fait peur, vous a touché d’une manière que vous ne vouliez pas ou vous a fait mal physiquement ? »

Le médecin doit lui-même répondre à l’une des questions. Remarque-t-il ou a-t-il remarqué au cours des douze derniers mois certaines manifestations qui sont parfois associées à la maltraitance : difficulté à maintenir un contact visuel, attitude de retrait, malnutrition, problèmes d’hygiène, coupures, ecchymoses, vêtements inappropriés ou manque d’adhésion aux ordonnances ?

Listes des facteurs de risque
http://bit.ly/3GBAWue

Le médecin peut aussi vérifier si le patient présente des facteurs de risque liés à la maltraitance. La Pre Couture et ses collaborateurs ont créé des listes publiées sur le site du Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale. « Elles ne permettent pas de dire qu’il y a de la maltraitance, mais indiquent si le risque de la personne de subir de la maltraitance est plus élevé. » Ces listes comprennent des éléments comme les troubles cognitifs, une dépendance financière, l’isolement social, etc.

Questionnaire DACAN CONCERNANT LES aidants naturels
https://bit.ly/43pE1Y3

« Il est important de poser des questions à l’accompagnateur ou aux proches aidants. On peut parfois se rendre compte dans leur discours qu’ils sont un peu à bout ou qu’ils sont brusques », dit la Pre Couture. Un outil utile : le questionnaire DACAN (Dépistage de l’abus chez les aidants naturels). Il a été conçu pour tous ceux qui prennent soin de personnes âgées, que l’on soupçonne ou non la présence de maltraitance.

Le questionnaire peut, entre autres, faire ressortir des tendances ou des tensions susceptibles de mener à la maltraitance. Il comprend huit questions telles que : « Trouvez-
vous difficile de faire face au comportement du proche que vous aidez ? », « Vous sentez-vous souvent fatigué ou épuisé au point que vous ne pouvez pas combler les besoins de cette personne ? » Plus les réponses affirmatives sont nombreuses, plus la probabilité de mauvais traitements est grande. Le DACAN peut non seulement contribuer à dépister la maltraitance, mais aussi à la prévenir.

Ligne Aide Abus Aînés : 1-888-489-2287
http://bit.ly/3mnHm9u

« Si le médecin soupçonne un cas de maltraitance et ignore quoi faire, il peut appeler la Ligne Aide Abus Aînés. Il peut poser des questions et clarifier la situation avec les intervenants. Le médecin peut ensuite retourner vers la personne avec une stratégie plus complète », explique la Pre Couture. La ligne offre des services téléphoniques tant aux personnes âgées victimes de maltraitance et aux témoins de mauvais traitements sur des personnes de 50 ans et plus qu’aux professionnels. Les intervenants sont bilingues et peuvent aussi recourir à des interprètes.

Signalement parfois obligatoire

Dans certains cas, le médecin peut avoir l’obligation de signaler la présence de maltraitance au commissaire aux plaintes et à la qualité des services, dont les coordonnées sont dans la politique de l’établissement pour contrer la maltraitance. « En 2017, le Québec a adopté la Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité. Elle comporte une section sur le signalement obligatoire pour les personnes qui répondent à certains critères, comme le fait de vivre dans un CHSLD (encadré) », explique la Pre Couture.

Que se passe-t-il dans les autres cas ? Si la personne âgée est apte, c’est elle qui doit normalement communiquer avec le commissaire. « Le rôle du médecin sera alors de l’accompagner et de lui faire comprendre l’importance de déposer une plainte. Le clinicien peut aussi lui indiquer qu’il existe de l’aide comme la Ligne Aide Abus Aînés et faire appel à une travailleuse sociale. Cependant, il n’est pas rare que le patient refuse. Il faut petit à petit l’amener à se rendre compte qu’il subit de la maltraitance et l’encourager à obtenir de l’aide. » //

Encadré

Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité (L-6.3)

Article 21

Tout prestataire de services de santé et de services sociaux ou tout professionnel au sens du Code des professions qui, dans l’exercice de ses fonctions ou de sa profession, a un motif raisonnable de croire qu’une personne est victime de maltraitance doit faire un signalement sans délai pour les personnes suivantes :

h un usager hébergé dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée ;

h un résident en situation de vulnérabilité en résidence privée pour aînés (RPA) ;

h un usager en ressource intermédiaire (RI) ou en ressource de type familial (RTF) ;

h une personne inapte selon une évaluation médicale ;

h une personne en tutelle, en curatelle ou sous mandat de protection homologué.

(http://bit.ly/3mjsQjj)

bibliographie

1. Rosen T, Zhang H, Wen K et coll. Emergency department and hospital utilization among older adults before and after identification of elder mistreatment. JAMA Netw Open 2023 ; 6 (2) : e2255853. DOI : 10.1001/jamanetworkopen.2022.55853.

2. Institut de la statistique du Québec. Enquête sur la maltraitance envers les personnes aînées au Québec 2019 – Portrait de la maltraitance vécue à domicile. Québec, 2020, 153 pages. (http://bit.ly/40fxcWB)