dépistage précoce nécessaire chez les femmes noires
Le cancer du sein frappe plus tôt et plus durement les femmes noires. Une étude publiée dans le JAMA Network Open vient de montrer que chez elles le dépistage devrait commencer à l’âge de 42 ans.
Au Québec, une mammographie est proposée aux femmes dès leur cinquantième anniversaire. Cette mesure, toutefois, ne tient pas compte d’un facteur : la race. Les femmes noires courent un risque beaucoup plus élevé de mourir jeune d’un cancer du sein, viennent de montrer des chercheurs dans le JAMA Network Open. Par conséquent, elles devraient avoir un premier dépistage plus tôt. Huit ans plus tôt1.
Le Dr Mahdi Fallah, du Centre de recherche sur le cancer d’Allemagne, et ses deux collaborateurs ont analysé les données des patientes américaines mortes d’un cancer du sein entre 2011 et 2020. Chez les femmes de 40 à 49 ans, le taux de mortalité pour 100 000 années-personnes s’élevait à 27 chez les femmes noires contre 15 chez les Blanches et 11 chez les Autochtones américaines ou de l’Alaska, les Hispaniques, les Asiatiques et les résidentes des îles du Pacifique (tableau).
La mammographie proposée à partir de 50 ans à l’ensemble de la population féminine correspond à un risque cumulé de décès par cancer du sein sur 10 ans de 0,329 %. Les femmes noires, elles, atteignent ce seuil à 42 ans. Les femmes blanches, à 51 ans.
Certains organismes, comme l’American Cancer Society, pour leur part, conseillent une mammographie annuelle dès l’âge de 45 ans. Le risque cumulé de mortalité sur 10 ans diminue alors à 0,235 %. Les femmes noires atteindraient toutefois ce niveau de risque à 38 ans. L’American College of Obstetricians and Gynecologists, lui, est en faveur d’un dépistage encore plus précoce : dès 40 ans. Le risque est alors réduit à 0,154 %. Les femmes noires devraient, dans ce cas, passer une mammographie six ans plus tôt, à 34 ans pour obtenir ce niveau de risque.
« Il s’agit d’une étude d’une très grande qualité », estime le Dr David Fleiszer, chirurgien oncologue au Centre universitaire de santé McGill. Cofondateur de la Clinique du sein des Cèdres, il traite le cancer du sein, mais en fait aussi le diagnostic. Il n’est pas vraiment surpris des résultats de l’étude. Lui-même fait passer une mammographie beaucoup plus tôt à ses patientes noires. « Il faut savoir que ces dernières tendent à avoir le cancer du sein à un plus jeune âge. J’ai vu de jeunes patientes noires avec des cancers avancés ou agressifs. En faisant un dépistage précoce, on peut probablement sauver beaucoup de vies. » Le spécialiste est néanmoins étonné de l’ampleur de l’écart découvert entre les femmes noires et celles des autres races.
Le Dr Fleiszer, qui suit beaucoup de patientes à risque élevé, prescrit aux femmes noires sans facteurs de risque particulier une mammographie de base au début de la quarantaine. « Cette radiographie permet de voir l’aspect initial des seins et de vérifier s’ils ne sont pas trop denses pour ce test », explique le professeur adjoint de chirurgie à l’Université McGill.
Chez les patientes noires présentant des facteurs de risque, comme des antécédents familiaux, le spécialiste commence le dépistage dès le début de la trentaine. Et il prescrit d’emblée une échographie. « À cet âge, le tissu mammaire est trop dense pour la mammographie. Souvent, les femmes noires ont des seins plus volumineux et présentent probablement plus de risque génétiquement d’avoir le cancer du sein plus jeune. Si, en plus, la mammographie est moins précise, on risque de rater des tumeurs. »
Qu’en est-il de la fréquence ? Normalement, la mammographie est proposée tous les deux ans aux femmes de la population générale. « Pour les patientes à risque, dont les femmes noires, je la prescris plutôt tous les 12 à 18 mois, selon leur degré de risque », indique le Dr Fleiszer.
Des mammographies plus fréquentes et plus précoces ont un corollaire : une hausse des faux positifs. « Cependant, une étude a montré que le risque accru de faux positifs lors des dépistages précoces peut être contrebalancé par les avantages d’une détection précoce du cancer du sein, du moins chez les jeunes femmes noires de 40 à 50 ans2 », soulignent le Dr Fallah et ses collègues.
Ces mesures ont toutefois un coût important. Les médecins doivent donc évidemment sélectionner judicieusement les femmes qui passeront des mammographies plus tôt et plus souvent. « On ne peut tester toutes les patientes fréquemment, reconnaît le Dr Fleiszer. Il est cependant très difficile pour moi de mettre dans la même balance l’argent dépensé et les vies sauvées. »
Par ailleurs, aux yeux du chirurgien oncologue, sensibiliser les médecins au taux de décès plus élevé par cancer du sein des femmes noires ne suffit pas. La communauté noire doit aussi être consciente du problème. « Il faut qu’elle soit au courant des données et de l’importance du dépistage. Certains groupes peuvent être moins au fait de la question du cancer du sein ou être plus réticents à voir un médecin. » Selon le spécialiste, un grand travail de sensibilisation est nécessaire.
L’étude du Dr Fallah et de ses collaborateurs portait par ailleurs non seulement sur les femmes noires, mais aussi sur celles de différentes races et groupes ethniques. Pour ces dernières, les nouvelles sont bonnes. Ainsi, si le dépistage du cancer du sein est recommandé à partir de 50 ans dans la population féminine générale, les femmes autochtones américaines ou de l’Alaska et les femmes hispaniques pourraient passer leur première mammographie à 57 ans pour atteindre le même niveau de risque. Les femmes asiatiques et celles venant des îles du pacifique, quant à elles, pourraient attendre à 61 ans (tableau).
Les chercheurs recommandent, pour finir, de changer les recommandations officielles. « Modifier les lignes directrices en fonction des facteurs de risque facilement disponibles, tels que la race et le groupe ethnique, est possible et peut être une étape initiale, mais importante, vers un programme de dépistage équitable et personnalisé », écrivent-ils. //
Selon les statistiques canadiennes estimées sur le cancer du sein, on évalue qu’en 2022 :
h 28 600 Canadiennes ont reçu un diagnostic de cancer du sein ;
h 5500 Canadiennes sont mortes d’un cancer du sein ;
h 78 Canadiennes en moyenne ont reçu chaque jour un diagnostic de cancer du sein ;
h 15 Canadiennes en moyenne sont mortes chaque jour d’un cancer du sein.
Selon Statistique Canada, la population noire représente 3,5 % de la population totale du Canada.
1. Chen T, Kharazmi E et Fallah M. Race and ethnicity-adjusted age recommendation for initiating breast cancer screening. JAMA Netw Open 2023 ; 6 (4) : e238893. DOI : 10.1001/jamanetworkopen.2023.8893.
2. Chapman C, Schechter C, Cadham C et coll. Identifying equitable screening mammography strategies for Black women in the United States using simulation modeling. Ann Intern Med 2021 ; 174 (12) : 1637-46. DOI :10.7326/M20-6506.