le lien : l’estime de soi
Le sport produit des effets bénéfiques sur la santé mentale des enfants. Un volet d’une grande étude, Génération R, regroupant des milliers d’enfants, a permis de découvrir l’un de ses mécanismes d’action potentiels : l’estime de soi1.
Aux Pays-Bas, des chercheurs ont mesuré l’activité physique de jeunes à 6 ans, puis évalué leurs différents facteurs, notamment psychosociaux, à 10 ans, puis mesuré la présence de symptômes intériorisés (tels que la dépression, l’anxiété et les troubles somatiques) à 13 ans (encadré). En analysant les données des 4216 enfants dont les données étaient complètes, ils ont découvert qu’une plus grande pratique du sport à 6 ans était associée à moins de troubles intériorisés à 13 ans et que l’estime de soi à 10 ans expliquait, en partie, cette association.
Ces données vont dans le même sens que celles de nombreuses recherches, affirme la Pre Isabelle Doré, qui enseigne à l’École de kinésiologie et des sciences de l’activité physique et à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. L’étude néerlandaise présente toutefois certaines faiblesses. « Même si elle est très bien faite, il serait pertinent de tenter de reproduire ces résultats en prenant des mesures plus rapprochées dans le temps. Il faut s’assurer que l’activité physique que l’on mesure à 6 ans est bien associée à l’estime de soi plus tard et que cette estime de soi est à son tour liée aux symptômes intériorisés par la suite », souligne la professeure (encadré).
Le sport pourrait donc potentiellement être lié à l’estime de soi. Mais de quelle manière ? L’élément clé serait la compétence sportive, ont découvert les chercheurs en analysant leurs données. « Ces résultats confirment l’idée que les jeunes ayant une compétence perçue comme élevée sont plus susceptibles de ressentir les effets positifs du sport sur leur santé mentale », écrivent-ils.
Il faut donc que l’enfant excelle dans le sport qu’il pratique ? « Ce qui est important, c’est surtout la perception qu’il a de sa compétence. C’est-à-dire à quel point il se perçoit capable de réussir cette activité », précise la Pre Doré, également chercheuse au Centre de recherche du CHUM.
D’autres facteurs liés aux sports pourraient également favoriser l’estime de soi, affirme la professeure. L’entourage, par exemple, joue un rôle crucial. « L’entraîneur compte pour beaucoup dans l’estime de soi, tout comme le reste du groupe et les parents. »
Selon les chercheurs, les études montrent que les adolescents construisent leur estime de soi en développant leurs habiletés, en découvrant leurs préférences et en s’associant aux autres. Le sport pourrait ainsi jouer un rôle important. Il serait d’ailleurs bénéfique sur différents plans pour la santé mentale. « Les activités sportives offrent aux jeunes un moyen de développer leur estime d’eux-mêmes, de se distinguer des autres et de fonctionner dans un milieu comportant des défis en dehors du milieu scolaire. Par conséquent, il est possible que la pratique précoce de sports donne aux enfants une plus grande maturité à l’adolescence, ce qui pourrait les aider à faire face à de nouvelles circonstances de la vie (par exemple, la pression scolaire et l’influence des pairs) et protéger leur santé mentale. »
Les bienfaits du sport sur la santé mentale vont donc bien au-delà de l’action des neurotransmetteurs, de la sécrétion de sérotonine, d’endorphine ou encore de la régulation du cortisol. Ils comportent aussi de nombreuses facettes psychosociales et comportementales.
« Quand on parle de santé mentale, il n’y a pas que la quantité d’activité physique que l’on fait qui compte, indique la Pre Doré. Le contexte dans lequel elle a lieu peut renforcer des mécanismes psychosociaux positifs. Le fait, par exemple, d’avoir des amis avec qui on pratique une activité physique ou un sport et d’éprouver un sentiment d’appartenance à un groupe, constitue des facteurs protecteurs qui permettent de prévenir l’apparition de troubles mentaux. »
Les raisons de faire de l’exercice sont également importantes. « Pratiquer une activité physique pour ressentir du plaisir, pour améliorer son sentiment de compétence, pour être avec d’autres est très positif. Par contre, en faire essentiellement pour des raisons liées à l’image corporelle est beaucoup moins bénéfique pour la santé mentale. Le désir uniquement de perdre du poids, de gagner de la masse musculaire ou d’améliorer sa silhouette peut même entraîner des effets néfastes. De plus en plus d’études portent sur ce sujet. »
L’activité physique permet aussi de diminuer le stress, les idées sombres et les ruminations. « Le fait d’atteindre des objectifs que l’on s’est fixés est également associé positivement à la santé mentale », mentionne la chercheuse.
L’exercice agirait donc sur le bien-être psychologique par toute une série de mécanismes différents. « Le message à retenir, c’est qu’il ne faut pas seulement dépenser le maximum d’énergie pour voir des bienfaits sur la santé mentale. Il faut aussi tenir compte des raisons pour lesquelles un jeune est actif ainsi que du contexte qui favorise notamment les interactions sociales pour maximiser les bienfaits sur la santé mentale. » //
Aux Pays-Bas, Mme Maria Rodriguez-Ayllon, du Centre médical Rotterdam de l’Université Érasme, et ses collaborateurs ont tenté de comprendre les mécanismes par lesquels l’activité physique pouvait diminuer les symptômes psychiatriques chez les enfants. Ils ont exploré une grande diversité de facteurs neurobiologiques (volume total du cerveau, microstructure de la matière blanche et connectivité fonctionnelle), psychosociaux (image corporelle, estime de soi et liens d’amitié) et comportementaux (alimentation, temps d’écran et sommeil).
Les travaux des chercheurs constituaient un volet de l’étude Génération R portant sur une cohorte d’environ 10 000 enfants de Rotterdam recrutés quand leur mère était enceinte et qui seront suivis jusqu’à l’âge adulte. Mme Rodriguez-Ayllon et son équipe ont analysé les données des 4216 participants dont les résultats étaient complets à l’âge de 6 ans, de 10 ans et de 13 ans.
À 6 ans, l’activité physique des participants a été calculée : l’éducation physique à l’école, les jeux à l’extérieur, la natation, le sport et la marche ou l’utilisation de la bicyclette pour aller en classe. Quand les enfants ont eu 10 ans, différents médiateurs potentiels ont été évalués. Ils ont ainsi passé une résonance magnétique et rempli différents questionnaires sur des facteurs psychosociaux et comportementaux. À 13 ans, la présence de symptômes intériorisés (comme la dépression, l’anxiété et les symptômes somatiques) et extériorisés (tels que les problèmes de conduite, un comportement rebelle et le trouble de déficit de l’attention et d’hyperactivité) a été mesurée.
Les enfants effectuaient en moyenne 14,6 heures d’activité physique par semaine à 6 ans. Les associations avec la santé mentale ne se sont révélées significatives que pour le sport. Plus les enfants en faisaient à 6 ans, moins ils avaient de symptômes intériorisés à 13 ans. L’association était modeste (r = 20,063), mais c’est généralement le cas dans ce domaine. « Dans l’activité physique et la santé mentale, il est assez fréquent de voir des effets de faibles à modérés », précise la Pre Isabelle Doré, chercheuse au Centre de recherche du CHUM.
Parmi tous les facteurs mesurés, le seul qui constituait un médiateur entre le sport et les symptômes intériorisés était l’estime de soi. Ainsi, le fait de faire plus de sport était associé à une plus grande estime de soi qui, ensuite, était liée à une diminution des symptômes intériorisés. Les analyses stratifiées montrent cependant que l’estime de soi ne servait de médiateur que chez les enfants dont la mère était moins instruite.
Les données de Mme Rodriguez-Ayllon et de son équipe présentent cependant certaines failles. Les mesures effectuées à 6 ans, à 10 ans et à 13 ans étaient très espacées, souligne la Pre Doré. Le sport pratiqué à 6 ans a-t-il vraiment un effet quatre ans plus tard ? L’estime de soi à 10 ans a-t-elle vraiment un lien avec les symptômes intériorisés trois ans plus tard ? Les données devront être confirmées par d’autres études. « Les résultats n’en sont toutefois pas moins valables dans la mesure où l’étude a été faite de manière très rigoureuse. Les travaux de recherche qui produisent des données d’une telle richesse et qui explorent conjointement trois types de mécanismes sont très rares », mentionne la chercheuse.
1. Rodriguez-Ayllon M, Neumann A, Hofman A et coll. Neurobiological, psychosocial, and behavioral mechanisms mediating associations between physical activity and psychiatric symptoms in youth in the Netherlands. JAMA Psychiatry 2023 ; 80 (5) : 451-8. DOI : 10.1001/jamapsychiatry.2023.0294.