même taux de mortalité peu importe l’approche thérapeutique initiale
Quelle est la meilleure approche initiale devant un cancer de la prostate localisé ? La surveillance active ? La prostatectomie ? La radiothérapie ? La réponse apparaît dans une nouvelle étude publiée dans le New England Journal of Medicine1.
L’essai clinique Prostate Testing for Cancer and Treatment (ProtecT) révèle que tous ces choix sont bons. Dans les trois cas, le taux de mortalité lié à la maladie est d’environ 3 % au bout de quinze ans (tableau). « Par conséquent, pour sélectionner le traitement, il faut évaluer les avantages et les inconvénients des diverses options thérapeutiques contre le cancer localisé de la prostate », écrivent les auteurs de l’étude, le Dr Freddie Hamdy, de l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni, et ses collègues.
« Déjà, après le suivi de dix ans, les résultats de cette étude étaient révélateurs, affirme le Dr Fred Saad, chef du Service d’urologie du Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Les participants avaient alors seulement 1 % de risque de mourir du cancer de la prostate. Après un suivi de quinze ans, ce taux est monté à 3 %. Cela montre qu’un patient bien suivi et bien traité a très peu de chances de mourir de cette maladie. »
L’étude ProtecT rassemblait 1643 hommes. Tous avaient eu un dosage de l’antigène prostatique spécifique (APS) entre 1999 et 2009, puis reçu un diagnostic de cancer de la prostate localisé. Alors âgés de 62 ans en moyenne, ils avaient un taux moyen d’APS de 4,6 ng/ml et une espérance de vie d’au moins dix ans. Le tiers d’entre eux, toutefois, avaient un cancer dont le risque s’est révélé, avec les récentes méthodes de stratification, intermédiaire ou élevé.
Les sujets ont été répartis au hasard en trois groupes traités par des approches différentes : la surveillance active, la prostatectomie et la radiothérapie. Ils étaient évalués annuellement, leur APS était mesuré régulièrement, et ils pouvaient recevoir des traitements additionnels si leur état l’exigeait.
Que leur est-il arrivé au cours des quinze années de suivi ? La maladie a davantage évolué chez les hommes sous surveillance active. Le cancer a ainsi progressé localement chez 26 % alors que cela n’a été le cas que chez 11 % de ceux qui ont eu un traitement radical (prostatectomie ou radiothérapie). Des métastases sont également apparues chez plus de participants du groupe sous surveillance (9 %) que du groupe opéré (5 %) ou ayant eu une radiothérapie (5 %). Un traitement anti-androgène a par ailleurs été amorcé chez davantage de patients seulement surveillés (13 %) que dans les deux autres groupes (respectivement 7 % et 8 %) (tableau). Ainsi, par rapport à la surveillance active, la prostatectomie et la radiothérapie ont réduit de moitié l’incidence des métastases, de la progression locale du cancer et des traitements de privation androgénique.
Pourquoi alors le nombre de décès par cancer de la prostate est-il resté faible dans tous les groupes ? « De nouveaux traitements généraux contre la maladie évolutive ont de plus en plus été offerts, et il est probable qu’ils aient contribué à accroître la survie des hommes présentant des métastases dans notre essai », estiment le Dr Hamdy et ses collaborateurs.
Les résultats de ProtecT sont-ils toujours valables même si le traitement du cancer de la prostate a progressé depuis 1999 ? « Oui, répond le Dr Saad, également professeur de chirurgie à l’Université de Montréal. Bien sûr, la prostatectomie et la radiothérapie se sont un peu raffinées. Leur taux de complications a probablement baissé, mais leur efficacité n’a pas vraiment changé. Ce qui s’est amélioré, c’est le traitement après une récidive ou après l’apparition de métastases. Aujourd’hui, on a beaucoup plus à offrir aux patients pour les garder en vie qu’il y a dix ou quinze ans. »
Globalement, parmi tous les sujets de l’étude, 22 % sont morts de diverses causes. Leur pourcentage était semblable dans les trois groupes. Environ 32 % sont décédés de maladies cardiovasculaires ou respiratoires et 52 %, d’autres cancers.
« C’est toujours la question : qu’est-ce qui va emporter le patient ? Le cancer ou une autre cause, comme une maladie cardiaque ? C’est une course entre les deux. Quand on voit un patient, c’est ce qu’il faut évaluer. C’est notre défi continuel », souligne le Dr Saad.
Dans l’étude ProtecT, quel a été le parcours des patients sous surveillance active ? Dans ce groupe, les cliniciens réanalysaient leur cas dès qu’il y avait une augmentation d’au moins 50 % de l’APS en 12 mois ou que le patient ou le médecin avait des inquiétudes. Différentes possibilités étaient alors étudiées, dont la poursuite de la surveillance, la prescription de nouveaux tests, le recours à la chirurgie ou à la radiothérapie et l’emploi de traitements palliatifs.
Au cours des quinze ans de suivi, la majorité des participants surveillés ont fini par être traités. Ainsi, au bout de trois ans, environ 30 % ont subi une prostatectomie ou une radiothérapie ; au bout de dix ans, 55 % ; au bout de quinze ans, 61 %. À la fin de l’étude, seulement 24 % des participants surveillés étaient vivants et n’avaient pas eu de traitement. « La surveillance active ne veut ainsi pas dire que les patients ne sont pas traités. Parfois, les patients pensent qu’ils ont le choix entre l’opération, la radiothérapie et aucun traitement », précise le Dr Saad.
Par ailleurs, dans l’étude ProtecT, des participants du groupe sous surveillance ont été traités sans que ce soit nécessairement requis sur le plan médical. « La décision de changer d’approche dans les premières années a souvent été prise sans preuve de progression du cancer, ce qui reflète probablement l’anxiété des patients ou de leurs médecins », mentionnent les chercheurs.
Aujourd’hui, la situation serait possiblement différente. « On a appris avec les années à ne pas réagir à la seule hausse de quelques points de l’APS. On désire maintenant avoir la preuve d’une réelle progression du cancer avant d’intervenir. La proportion de patients surveillés qui ont été traités au bout de quinze ans serait probablement maintenant autour de 40 % ou de 50 % plutôt que de 60 % », estime le Dr Saad.
Ces temps-ci, le Dr Saad voit dans son cabinet bien des patients qui lui parlent de l’étude ProtecT. « Il faut faire très attention pour que les gens ne simplifient pas trop le message. J’ai des patients ayant des métastases et un taux d’APS très élevé qui me disent : “J’ai juste 3 % de chances de mourir d’un cancer de la prostate”. Ce n’est pas ce que l’étude montre. Certains de ces patients atteints d’un cancer avancé ont un risque de mourir de la maladie qui dépasse largement 80 %. Le cancer de la prostate reste, malgré tous nos efforts, le troisième cancer le plus meurtrier au Canada chez les hommes. »
Néanmoins, l’étude confirme que la surveillance active est une approche sûre pour de nombreux patients. « Elle renforce l’idée que l’on pourrait offrir pour commencer une surveillance active, même à ceux dont le cancer est moyennement agressif. J’ai des patients ayant ce genre de cancer qui voulaient éviter les risques liés aux traitements. Je les surveille depuis plus de dix ans, et ils vont très bien », assure l’urologue.
L’étude ProtecT éclaircit ainsi la situation. « Notre essai apporte une preuve que la survie après un cancer de la prostate détecté par le dosage de l’APS est longue, quelle que soit la méthode de stratification des patients utilisée, et que cette maladie mortelle n’est pas facilement modifiée par un traitement radical », résument les chercheurs. //
1. Hamdy F, Donovan J, Lane J et coll. Fifteen-year outcomes after monitoring, surgery, or radiotherapy for prostate cancer. N Engl J Med 2023 ; 388 (17) : 1547-58. DOI : 10.1056/NEJMoa2214122. (Publié d’abord en ligne le 11 mars 2023)