le pouvoir des bonnes habitudes de vie
Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir des bonnes habitudes de vie. Chez les femmes, elles seraient associées à neuf ans de vie de plus en bonne santé, c’est-à-dire sans démence, sans cancer, sans maladies cardiovasculaires et sans diabète. Chez les hommes, à sept ans de plus.
Selon de récentes estimations, une femme de 50 ans ayant une bonne hygiène de vie vivrait ainsi presque jusqu’à 84 ans sans les quatre principales maladies chroniques, tandis que celle qui a de moins bonnes habitudes de vie ne resterait en bonne santé que jusqu’à 74 ans. Les hommes, eux, pourraient atteindre l’âge de 78 ans sans maladie, s’ils ont un mode de vie sain, sinon ils n’échappent à la maladie que jusqu’à 71 ans (tableau)1.
L’étude à l’origine de ces évaluations, la UK Biobank, repose sur une grande cohorte d’adultes de 40 à 69 ans recrutés dans tout le Royaume-Uni entre 2006 et 2010. Parmi ces participants, 135 199 ne présentant initialement ni démence, ni cancer, ni maladie cardiovasculaire, ni diabète ont répondu à différents questionnaires sur leurs habitudes de vie et se sont prêtés à différentes mesures. Au cours du suivi, les chercheurs, Dr Xuan Wang et ses collègues, ont obtenu les informations sur l’apparition des quatre affections par les dossiers médicaux des hôpitaux et sur les morts par les certificats de décès.
Il s’agit d’une très belle étude, estime le Dr Martin Juneau, directeur de l’Observatoire de la prévention de l’Institut de Cardiologie de Montréal. Les données confirment ce que le cardiologue affirme dans ses conférences depuis dix ans. « Si l’on a de bonnes habitudes de vie, on ne va pas seulement réduire le risque d’infarctus du myocarde (ce dont les gens ont maintenant beaucoup moins peur grâce à tous les traitements), mais aussi de cancer, de diabète et de démence (ce qui effraie davantage). »
Le Dr Wang et son équipe ont mesuré la santé cardiovasculaire des sujets en utilisant le score LE8 (Life’s Essential 8) de l’American Heart Association, qui évalue :
1) l’alimentation ;
2) l’activité physique ;
3) l’exposition au tabac ou à la nicotine ;
4) le sommeil ;
5) l’indice de masse corporelle ;
6) le cholestérol non HDL ;
7) la glycémie ;
8) la pression artérielle.
À l’aide du score global calculé à partir de ces facteurs de risque, les chercheurs ont classé les participants dans trois catégories selon leur santé cardiovasculaire : faible, moyenne et élevée. Ils ont alors pu constater que meilleure était la santé cardiovasculaire, plus grande était l’espérance de vie en bonne santé, c’est-à-dire sans les quatre maladies chroniques ciblées (tableau). Tous les facteurs mesurés, à l’exception du cholestérol non LDL, se sont révélés associés de manière statistiquement significative à une plus grande longévité en bonne santé.
Dans leur cabinet, les médecins peuvent recourir à une évaluation plus simple, estime le Dr Juneau. « Si on regarde seulement les habitudes de vie comme telles, soit l’activité physique, l’alimentation, la masse corporelle et le tabac, on aurait probablement les mêmes résultats qu’avec les marqueurs (cholestérol, etc.). Des facteurs comme la pression ou la glycémie sont de toute façon liés à l’alimentation, à l’exercice et à la masse corporelle. »
La manière de procéder peut être simple. « Sans aucun test sophistiqué, juste avec l’anamnèse, l’examen physique, le poids et le tour de taille, on peut prédire la longévité de nos patients. On les interroge pour commencer sur leur alimentation et leur activité physique. Pour ma part, je ne fais pas passer de questionnaire nutritionnel. Je demande seulement à mes patients : mangez-vous des légumes ? On le voit immédiatement. Ceux qui en consomment m’en nomment spontanément trois ou quatre : poivrons, épinards, laitue, etc. Les gens qui en mangent peu me répondent : “Bof, des patates”. Pour l’exercice, les patients qui en font vont dire par exemple : “Oui, je marche tous les jours”. Ensuite, on demande au patient s’il fume. »
L’une des données les plus intéressantes de la UK Biobank est ce lien méconnu qu’elle révèle entre statut socio-économique, habitudes de vie et longévité en bonne santé. Ainsi, dans le groupe ayant le meilleur mode de vie, aucune différence statistiquement significative n’est apparue dans l’espérance de vie sans maladie entre ceux qui avaient un statut socio-
économique faible et les autres. Une bonne santé cardiovasculaire peut ainsi, mentionnent les chercheurs, « contribuer à la fois chez les hommes et chez les femmes à réduire les inégalités socio-économiques sur le plan de la santé ».
« C’est une donnée vraiment nouvelle, affirme le Dr Juneau, également professeur titulaire à l’Université de Montréal. Le statut socio-économique semble être un peu comme la génétique. Quand vous avez de mauvais gènes, vous vivez moins longtemps. Mais si vous avez de bonnes habitudes de vie, vous allez contrecarrer les effets de l’hérédité. » Évidemment, un faible statut socio-économique peut rendre plus ardu d’adopter un bon régime de vie. Mais un certain nombre de participants de la UK Biobank y sont parvenus.
L’étude britannique montre également qu’une bonne santé cardiovasculaire semble associée à une plus grande longévité globale (tableau). Mais l’augmentation n’est pas énorme. Selon les estimations des chercheurs, les hommes ayant de bonnes habitudes de vie pourraient vivre en moyenne cinq ans de plus que ceux qui sont moins en forme. Chez les femmes, l’écart serait de six ans.
Ainsi, ce qu’offre un régime de vie sain, ce sont surtout des années de vie supplémentaires sans maladies. Il s’agit de la « compression de la morbidité », un concept inventé par le Dr James Fries en 1980, explique le Dr Juneau. « Une personne qui a de bonnes habitudes de vie vivra donc un peu plus longtemps, mais surtout passera beaucoup moins d’années à souffrir d’une ou de plusieurs maladies. »
Dans les universités, surtout américaines, bien des chercheurs s’intéressent à ce phénomène. « Ils ont remarqué que toutes les maladies chroniques qui tuent prématurément ont les mêmes facteurs de risque. Et ces derniers ont une origine identique : le vieillissement cellulaire. Ainsi, au lieu de viser séparément le cancer, les maladies cardiovasculaires et d’autres affections, on devrait cibler le vieillissement des cellules. On connaît maintenant, par de nombreuses études sur les animaux et les humains, ce qui le retarde : l’exercice et l’alimentation, plus précisément la restriction calorique et la consommation principalement de végétaux. »
Dans certains laboratoires, des chercheurs se sont posé une étrange question : une molécule pourrait-elle avoir le même effet sur le vieillissement cellulaire que l’exercice ou le jeûne ? « Beaucoup de produits qui auraient ce potentiel sont étudiés, comme la merformine et la rapamycine, un puissant immunosuppresseur. Des milliards de dollars sont également investis pour trouver de nouvelles molécules ayant cette propriété », indique le cardiologue.
Les mécanismes en jeu sont complexes. « L’exercice et le jeûne, par exemple, inhibent mTOR (mechanistic target of rapamycin), un ensemble de protéines qui accélère le vieillissement. La neutralisation de ce dernier a des effets très positifs sur la cellule et le corps en général. » Plus précisément, mTOR régule plusieurs fonctions physiologiques importantes, comme la croissance, la prolifération et le métabolisme des cellules, la synthèse des protéines et l’autophagie.
Des essais cliniques sur les molécules anti-âge sont actuellement en cours, même si certaines, comme la rapamycine, ont d’inquiétants effets indésirables. Les bonnes habitudes de vie, elles, donnent des résultats sûrs et sans risque. //
1. Wang X, Ma H, Li X, Heianza Y et coll. Association of cardiovascular health with life expectancy free of cardiovascular disease, diabetes, cancer, and dementia in UK adults. JAMA Intern Med 2023 ; 183 (4) : 340-349. DOI : 10.1001/jamainternmed.
2023.0015.