Nouvelles syndicales et professionnelles

Surveillance active du cancer de la prostate

les deux côtés de la médaille

Élyanthe Nord  |  2023-07-01

 

En 2023, en quoi consiste la surveillance active du cancer de la prostate ? « Cette approche thérapeutique ne signifie pas qu’il n’y a aucun traitement ni aucun suivi. Les patients ne sont pas laissés à eux-mêmes. Soixante pour cent d’entre eux finiront par être traités pour un cancer qui progresse (article précédent) », explique le Dr Fred Saad, chef du Service d’urologie du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).

La surveillance active constitue une démarche rigoureuse. Les patients doivent se soumettre régulièrement à des dosages de l’antigène prostatique spécifique (APS), à des examens d’imagerie par résonance magnétique et, éventuellement, à des biopsies.

Certains hommes, toutefois, ne prennent pas ces mesures au sérieux. « Ils manquent leur rendez-vous, ne viennent pas, ne vont pas passer leur biopsie », explique l’uro-oncologue.

La surveillance active moderne a pourtant un nouveau visage. « Au Québec, on fait moins de biopsies qu’auparavant. Maintenant, quand le taux d’APS augmente, on ne prescrit plus automatiquement cette intervention. On peut plutôt envisager de faire une résonance magnétique. Cet examen peut nous indiquer si le risque d’un cancer agressif est faible ou élevé », mentionne le Dr Saad, également titulaire de la Chaire Raymond Garneau en cancer de la prostate, à l’Université de Montréal.

Le Dr Saad, comme plusieurs experts du cancer de la prostate, tente de réduire le surdiagnostic. « Cela fait longtemps que l’on évite le surtraitement. Maintenant, on essaie de diminuer le nombre de diagnostics de cancers insignifiants qui constitueront seulement une source de stress pour le patient. Dans un monde idéal, on ne poserait pas de diagnostic chez les patients que l’on ne veut pas traiter. On épargnerait ainsi des biopsies aux hommes présentant un faible risque de mortalité dans les quinze prochaines années », dit le Dr Saad, qui mène une étude sur ce sujet.

Bien des patients finissent néanmoins par passer une biopsie, étape nécessaire au diagnostic du cancer de la prostate. « Souvent, on en refait une au moins une fois, après un an, pour être sûr que l’on n’a pas raté un foyer important. Ensuite, on peut en represcrire une, juste par prudence, deux ou cinq ans plus tard. Cependant, peu à peu, le dosage de l’APS et la résonance magnétique sont en train de remplacer les biopsies. Le suivi est donc moins agressant et plus acceptable pour les patients. »

Effectuée moins fréquemment, la biopsie devient toutefois plus déterminante. Les cancers qu’elle permet de découvrir sont souvent plus avancés. « C’est comme si l’on effectuait une surveillance avant même la biopsie du patient. » Mais ce test est loin d’être parfait. « On ne peut établir le stade du cancer que dans les zones qui ont été piquées. Et l’on pique dans une petite portion de la prostate », mentionne le spécialiste.

Contrepartie de la surveillance active

Le cancer de la prostate n’est souvent pas mortel. L’étude ProtecT l’a confirmé (article précédent). Mais elle montre aussi les limites de la surveillance active. Cette approche double la probabilité d’apparition des métastases, de progression locale du cancer et d’un traitement anti-androgène par rapport à la prostatectomie et à la radiothérapie.

Ce risque doit entrer dans l’équation au moment de déterminer la stratégie à adopter. « Si on pouvait traiter dès le début les patients les plus à risque, on éviterait, des années plus tard, une maladie récidivante difficile à traiter », dit le Dr Saad. Certes, toute une panoplie de nouveaux traitements existe maintenant, mais ils sont loin d’être une panacée.

« On réussit à garder en vie des gens que l’on ne peut pas guérir, mais à quel prix ? On ne fait que prolonger leur vie de quelques mois. Puis on ajoute un autre médicament pour encore quelques mois. » Il y a ainsi un coût humain : les effets indésirables des chimiothérapies et de l’hormonothérapie. Et il y a un coût financier. « Les médicaments que l’on donne aux patients, comme les hormones de nouvelle génération, reviennent à 3000 $ ou 4000 $ par mois. »

La surveillance active n’est par ailleurs pas une recette parfaite. « Dans l’étude ProtecT, des métastases sont apparues chez des participants malgré tous les efforts des chercheurs pour bien suivre ces derniers et intervenir avant la propagation du cancer », rappelle le Dr Saad.

Les priorités du patient

Un autre facteur doit par ailleurs être pris en considération : l’espérance de vie du patient. « Ce qui vient ajouter à la complexité de la situation est d’avoir à estimer le temps qu’il lui reste à vivre. Nos patients reçoivent un diagnostic autour de 70 ans. Et en plus du cancer de la prostate, ils peuvent avoir une maladie cardiaque, le diabète ou une autre affection. Dans l’essai ProtecT, il y a eu 3 % de décès liés au cancer de la prostate en 15 ans, mais 22 % des morts toutes causes confondues. Par conséquent, la majorité des participants sont morts d’une autre raison », dit le Dr Saad.

Un point est par ailleurs encore plus important : les priorités du patient. « Il ne s’agit pas juste de vivre ou de mourir. Nos efforts pour prolonger la vie du patient ou pour conserver la meilleure qualité de vie possible dépendent de ses choix. Certains nous disent : ‘‘Pour moi, la seule chose qui compte, c’est d’avoir la meilleure maîtrise possible du cancer’’. D’autres nous indiquent : ‘‘Pour moi, la qualité de vie est encore plus importante que la longévité’’. Nos discussions et notre approche vont alors être totalement différentes. »

Le Canada, un précurseur

Le Canada et certains centres américains ont été des précurseurs dans la surveillance active, explique le Dr Saad. « On préconise cette approche depuis longtemps. Au début, on était très craintifs. On avait peur de rater un cancer agressif. Les patients étaient suivis très étroitement. Dans certains centres, ils subissaient des biopsies tous les ans. Maintenant, on fait un suivi qui ressemble à celui de l’étude ProtecT : surveillance de l’APS, résonances magnétiques et au moins une biopsie de contrôle. »

Déjà en 2010, au CHUM, plus de 80 % des patients ayant un cancer de la prostate à faible risque bénéficiaient d’une surveillance active. Dans le reste du Canada, ce taux était de 77 %1. « Aujourd’hui, ce chiffre doit être autour d’au moins 90 % », mentionne le chercheur.

Le Dr Saad est un fervent défenseur de la surveillance active. Mais pas à tout prix. Seulement chez les patients pour qui cette approche est sûre. « Tant que le cancer de la prostate reste parmi les cancers les plus meurtriers, on doit continuer à faire des efforts et à utiliser judicieusement les ressources du système de santé. »

Mais la surveillance active reste un choix intéressant dans la gamme des approches offertes. « Toutes ces options permettent de mieux personnaliser le diagnostic, l’approche thérapeutique et le suivi du patient. » //

1. Timilshina N, Ouellet V, Alibhai SMH et coll. Analysis of active surveillance uptake for low-risk localized prostate cancer in Canada: a Canadian multi-institutional study. World J Urol 2017 ; 35 : 595603. DOI : 10.1007/s00345-016-1897-0.

Encadré

Âge et cancer de la prostate

Dans le cancer de la prostate, l’âge pourrait être un facteur important. « Il existe un mythe selon lequel un cancer est plus agressif quand on est jeune et l’est moins quand on est vieux. Ce n’est pas nécessairement vrai », affirme le Dr Fred Saad.

Dans l’étude ProtecT, contrairement aux sujets plus jeunes, les hommes de 65 ans et plus du groupe de surveillance active présentaient un risque plus élevé de décès par cancer de la prostate que ceux qui avaient eu un traitement. « De façon paradoxale, quand les patients plus âgés arrivent dans notre cabinet, ils ont fréquemment des cancers plus agressifs. Et ils ont aussi souvent un taux de mortalité plus élevée. C’est difficile à comprendre, mais c’est un fait que l’on voit régulièrement dans les études. »

Pourquoi ? « C’est comme si ces patients avaient eu un suivi moins rigoureux et n’avaient pas eu un diagnostic assez rapidement. Devant un patient de 45 ou de 55 ans possiblement atteint de cancer, les médecins sont tous très mobilisés et font un suivi très serré. »

Parfois, le Dr Saad reçoit des octogénaires en colère. « Quand ils arrivent, ils ont des cancers métastatiques épouvantables qui vont les emporter dans un ou deux ans. Ils me disent : “Pourquoi est-ce que personne ne me suivait ? Je l’ai demandé. On m’a dit : non, vous êtes trop vieux. Cela ne vaut plus la peine”. Ils en veulent au système. »

Le problème est d’autant plus important que l’espérance de vie ne cesse de s’allonger. « Aujourd’hui, un homme de 75 ans en très bonne santé peut avoir 15 ans devant lui, selon les nouvelles données. Ce n’est pas vrai que son espérance de vie est de 80 ans et qu’il ne lui reste qu’un maximum de cinq ans à vivre. Il ne faut pas surtraiter, mais il ne faut pas non plus abandonner des patients. » Les chercheurs de l’étude ProtecT indiquent d’ailleurs que les patients de
plus de 65 ans pourraient peut-être gagner à avoir rapi­dement une prostatectomie ou une radiothérapie.