des avantages pour le suivi des patients et l’accès aux soins
Comment les pharmaciens de GMF peuvent-ils contribuer à une meilleure prise en charge des patients ? Cinq GMF ont participé à un projet pilote qui augmentait le nombre d’heures de travail de ces professionnels. Bilan de l’expérience.
Intégrés dans le cadre des GMF en 2015, les pharmaciens sont aujourd’hui présents dans 95 % des groupes de médecine de famille. Ils y travaillent en moyenne 16 heures par semaine. L’an dernier, le Réseau québécois des pharmaciens en groupe de médecine de famille (RQP GMF) a convaincu le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) de lancer un projet pilote pour augmenter les heures de travail de leurs membres afin de démontrer le rôle qu’ils peuvent jouer en première ligne.
« Nous pouvons épauler les médecins et les délester de certaines tâches, mais pour y arriver, nous avons besoin de plus de temps », soutient la pharmacienne Anne Maheu, coordonnatrice du projet de recherche de cette communauté de pratique de 350 pharmaciens.
Le projet pilote s’est déroulé du 1er avril 2022 au 31 mars 2023 dans cinq GMF qui ont obtenu chacun entre 11 et 28 heures de temps pharmacien de plus par semaine. Il s’agit des GMF Saint-Donat, Lafontaine, Sud-Ouest, Cyriac et des Abénakis (qui n’existe plus). Ces cliniques ont des profils différents (urbain ou rural, un emplacement ou plusieurs, etc.), mais ont en commun d’avoir mis en place une « entente de pratique avancée en partenariat » (EPAP). Un tel accord peut être conclu entre des pharmaciens et un groupe de médecins et d’infirmières praticiennes spécialisées s’ils partagent une clientèle et un même dossier consignant l’information relative aux patients. Il permet ainsi aux pharmaciens qui exercent dans un GMF d’amorcer ou de modifier de façon autonome les traitements médicamenteux des patients dont le problème de santé est déjà diagnostiqué. Seulement 17 % des GMF disposent d’une telle entente, selon un sondage du RQP GMF mené en 2022.
L’EPAP permet de mettre pleinement à profit les compétences du pharmacien de GMF, explique Mme Amélie Boudreau, elle-même pharmacienne au GMF Lafontaine, à Rivière-du-Loup. « Lorsqu’il n’y a pas de signaux d’alarme, je n’ai pas à retourner constamment vers les médecins pour faire approuver un traitement ou un changement de molécule. C’est moins lourd pour eux, et cela accélère le processus pour les patients. Je suis aussi autonome quant aux plans de traitement des bronchopneumopathies chroniques obstructives. Les médecins n’ont plus besoin d’en faire. »
Dans le cadre du projet pilote, Mme Boudreau est passée de 13 à 37 heures par semaine. Forte de son EPAP, elle a formé les adjointes administratives pour qu’elles lui fassent suivre les appels des patients présentant des problèmes de médicaments n’ayant pu être résolus par un pharmacien d’officine. « Je leur dis : “Je gère les effets indésirables des médicaments. Si un client téléphone parce qu’il fait de l’insomnie dans un ciel bleu, c’est un médecin qu’il doit voir. Mais s’il ne dort plus depuis qu’il a un nouveau médicament, je m’en occupe.” J’ai réglé ainsi plusieurs cas avant qu’ils se retrouvent dans le cabinet du médecin ou à l’urgence de l’hôpital. » En octobre et en novembre derniers, elle a effectué 41 interventions de la sorte qu’elle a pour la plupart gérées sans que le patient ait à consulter un médecin de famille.
L’augmentation des heures des pharmaciens a été bénéfique pour le suivi des patients. Cette mesure favorise notamment un encadrement beaucoup plus serré, selon le Dr Jean-Marc Hébert, du GMF Saint-Donat. Il donne l’exemple de la prescription d’antidépresseurs. « J’explique aux patients qu’il y a des effets indésirables au début. Mais certains arrêtent de prendre leurs médicaments après quelques jours si je ne les relance pas rapidement. Cependant, lorsqu’une pharmacienne rappelle les patients et ajuste la dose au besoin, l’adhésion au traitement est excellente. Cette professionnelle de la santé peut même changer la molécule pour une autre si les effets sont trop importants. »
L’ajustement de l’insuline des personnes diabétiques ainsi que les analyses de laboratoire qui suivent la prescription d’antihypertenseurs sont d’autres tâches que le Dr Hébert confie désormais à une pharmacienne. « Pendant ce temps-là, je peux voir plus de patients », dit-il.
Des médecins ont également profité de la disponibilité supplémentaire des pharmaciennes pour offrir aux patients fragiles un filet de sécurité. Cela a été le cas, par exemple, d’une patiente du GMF Lafontaine qui était en grave dépression. « Si le médecin, la travailleuse sociale et moi n’avions pas pu la suivre de près, il aurait probablement fallu l’hospitaliser, car elle présentait un risque suicidaire », raconte Amélie Boudreau qui a aussi augmenté la dose d’antidépresseur de la femme plus rapidement que l’ordonnance médicale initiale le prévoyait.
Mme Caroline Pichette, l’une des pharmaciennes du GMF Saint-Donat, a eu pour sa part à intervenir dans le cas d’un homme diabétique atteint d’un cancer en phase terminale. « Il était en attente d’une opération, mais le médicament qu’il prenait contre la douleur causait une hyperglycémie. J’ai ajusté son insuline, je l’ai suivi quotidiennement, et il a pu demeurer chez lui au lieu d’être hospitalisé avant son opération. C’était précieux pour sa famille et lui, car il lui restait peu de temps à vivre. »
La présence accrue des pharmaciennes pendant le projet pilote a par ailleurs été très utile lorsque les médecins des cinq emplacements du GMF ont inscrit collectivement 2000 patients orphelins, ajoute Mme Pichette. « Plusieurs de ces patients avaient des maladies chroniques et n’avaient pas vu de médecin depuis des années. Mes collègues et moi nous sommes donc chargées de réviser leurs traitements médicamenteux. »
Les pharmaciennes se sont aussi occupées du suivi de patients atteints de maladies chroniques pour lesquelles il n’y a pas de protocole de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux, comme la douleur chronique, l’anxiété généralisée ou l’asthme. Elles pouvaient également intervenir dans les cas où le protocole prévoit une contre-indication, comme le diabète de type 1, empêchant une infirmière clinicienne d’agir.
À l’occasion, les pharmaciennes ont suivi certains patients pendant l’absence prolongée de médecins et d’infirmières. « Il y a eu entre autres une patiente qui prenait de la cortisone et qui avait un gros problème d’insomnie, relate Amélie Boudreau, du GMF Lafontaine. J’ai essayé trois molécules avant de trouver la bonne. Il a fallu quelques rencontres avec la patiente, mais elle n’a pas eu besoin de voir un médecin. » Caroline Pichette rapporte de son côté que ses consœurs et elle ont pris en charge les patients d’une infirmière clinicienne pendant son congé de maladie. « On a ainsi évité l’interruption des soins », dit-elle.
Pendant le projet pilote, les pharmaciennes de GMF ont réalisé davantage de révisions de la pharmacothérapie. « Quand des patients prennent 12 ou 15 pilules, il faut faire un peu de ménage là-dedans, lance le Dr Hébert. Par où commencer ? Y a-t-il moyen de retirer certains médicaments ? Contrairement aux pharmaciens d’officine, les nôtres ont accès à tout le dossier médical électronique des patients, pas seulement à la liste des médicaments. Elles ont donc une vue d’ensemble qui leur permet de déterminer s’il y a une cascade médicamenteuse. »
L’intervention d’un pharmacien apporte en effet un autre éclairage. « Comme pharmacienne, mon réflexe est de me demander s’il s’agit d’un effet indésirable d’un médicament alors que le médecin va plutôt penser au symptôme d’une maladie. C’est notre formation respective qui veut ça ! Mais cela montre aussi l’importance du travail interdisciplinaire », dit Mme Boudreau, qui a mis de l’ordre dans le dossier d’un homme qui prenait 32 médicaments.
Le projet pilote a par ailleurs permis d’augmenter le nombre de sevrages, un processus qui exige d’informer, d’encadrer et de rassurer les patients. Le Dr Hébert a ainsi fait équipe avec des pharmaciennes pour des sevrages de benzodiazépines et d’opioïdes. « On discute avec le patient de ses options, puis on fait un suivi partagé. On n’a que des succès. Le patient est en confiance, car il constate qu’il y a non seulement un médecin, mais toute une équipe derrière lui. »
Au GMF Saint-Donat, des sevrages ont même été effectués chez des patients de l’inscription collective. « Une femme a consulté pour des douleurs qui se sont révélées être une hyperalgésie provoquée par la petite dose de fentanyl qu’elle prenait depuis des années, raconte la pharmacienne Caroline Pichette. Maintenant qu’elle a cessé cet opioïde, sa qualité de vie est bien meilleure. »
De quelles autres façons les pharmaciennes des projets pilotes ont-elles utilisé leurs heures additionnelles ? Entre autres, celles du GMF Saint-Donat ont collaboré avec le Dr Hébert pour rédiger un protocole d’instauration de la suboxone et le présenter aux médecins. Elles ont aussi formé des infirmières à ajuster l’insuline pour le diabète de type 2.
Mme Boudreau, qui a inclus les patients orphelins dans son EPAP, a quant à elle mis au point une trajectoire pour que les patients du Guichet d’accès à la première ligne lui soient transférés dans certaines situations. « Par exemple, je peux faire le “défrichage” de cas complexes avant le rendez-vous avec un médecin ou aider au suivi. » En collaboration avec l’équipe des soins à domicile, elle a aussi lancé un projet d’ajustement des médicaments des patients souffrant de douleur chronique. Et en partenariat avec les infirmières du GMF, elle a rédigé des ordonnances collectives sur la sinusite et la cystite.
La pharmacienne a de plus créé un groupe Teams pour les professionnels de la santé de son GMF afin de partager les informations sur les nouveaux médicaments, les récentes indications des traitements, les changements de couverture, etc. D’ailleurs, l’équipe du GMF Lafontaine a décidé de ne plus rencontrer de représentants pharmaceutiques ni d’accepter d’échantillons. « Selon les études, c’est une façon de diminuer le recours à des traitements qui sont souvent plus coûteux et non optimaux pour les patients. Je donne de l’information plus neutre », affirme Mme Boudreau.
Par ailleurs, les pharmaciennes des GMF ont profité de leur présence accrue pour prendre contact avec leurs collègues d’officine et déterminer des balises de leur collaboration. Elles jouent en effet un rôle de liaison avec les pharmaciens de quartier en répondant à leurs questions, en discutant des plans de traitement ou encore en leur transférant des cas simples d’ajustement de médicaments et des suivis de patients dont l’état est stabilisé. « Et s’ils sont moins à l’aise avec certains des actes maintenant permis par la loi no 31, je peux aussi leur offrir de l’aide », ajoute Amélie Boudreau en mentionnant que les pharmaciens d’officine ont de plus en plus le réflexe de la contacter pour les cas complexes.
Bien que le MSSS n’ait pas reconduit le projet pilote, au moins deux des GMF participants pourront continuer à offrir plus d’heures à leurs pharmaciennes en utilisant leur budget existant. Le GMF Saint-Donat est l’un d’eux. « L’expertise des pharmaciennes est très utile. Je serais déçu si on retournait en arrière », dit le Dr Jean-Marc Hébert qui compte 39 ans de pratique. « Nous proposons aux médecins une nouvelle corde à leur arc », résume Mme Pichette. //