bases pour une nouvelle culture
L’équilibre des médecins de famille doit devenir une priorité. « La santé et le mieux-être au travail des omnipraticiens doivent dorénavant faire partie intégrante des décisions relatives à la pratique de la médecine familiale », soutient la Dre Isabelle Noiseux, membre du Comité sur le mieux-être des médecins de famille et directrice adjointe à Formation professionnelle de la FMOQ.
Il y a deux ans, la Fédération a envoyé à ses membres un sondage dans lequel elle proposait 26 solutions pour améliorer leur bien-être et leur satisfaction au travail. Quelque 2250 omnipraticiens l’ont rempli. Deux comités ont analysé leurs réponses et remis un rapport au conseil d’administration de la Fédération.
L’un des constats ? Tous les facteurs de risques psychosociaux liés à l’épuisement professionnel étaient présents dans les réponses des médecins. La santé et le bien-être des omnipraticiens doivent donc devenir une priorité. Ces éléments sont d’ailleurs essentiels au bon fonctionnement du réseau. « La littérature montre bien qu’un système de santé performant et efficace est lié au bien-être de ses professionnels », affirme la Dre Noiseux.
Le Comité sur le mieux-être des médecins de famille a aussi présenté au conseil d’administration un cadre de référence. « C’est une espèce de filtre par lequel on devrait toujours passer quand on adopte une mesure touchant les omnipraticiens. » Ce cadre repose sur trois axes : la résilience individuelle, l’efficacité des pratiques et la culture du mieux-être au travail. « Ces trois domaines viennent des travaux de l’Université Stanford, en Californie, qui est une pionnière dans le mieux-être des médecins au travail. Il faut tenir compte d’au moins l’un des trois quand on prend une décision administrative ou politique liée au travail des médecins de famille. »
La résilience individuelle repose sur des facteurs comme la santé psychologique, la santé physique et le fait de prendre soin de soi. Le Comité sur le mieux-être des médecins de famille observe cependant que certains obstacles, qu’ils soient individuels, systémiques ou culturels, empêchent les médecins de bien s’occuper d’eux-mêmes. Cette situation peut avoir des répercussions sur leur santé, mais aussi sur leur équipe et la qualité des soins.
« Prendre soin de soi est essentiel. On n’ose pas le faire comme médecin. Ce n’est pas dans notre culture », indique la Dre Noiseux. Pour aider ses membres, la FMOQ a mis sur son site Web des ressources, dont des formations sur la résilience. Elle leur a également envoyé le Questionnaire santé en ligne montougo.ca (voir l’article précédent). « Il faut parler des saines habitudes de vie avec les médecins. On veut travailler main dans la main avec Capsana, l’entreprise qui a créé le questionnaire », dit la directrice adjointe.
Le comité note par ailleurs que les médecins ont un risque accru de souffrir de problèmes de santé psychologique. Au Québec, ils sont en outre plus nombreux à être atteints d’épuisement professionnel que dans le reste du Canada (60 % contre 53 %), selon un sondage de l’Association médicale canadienne (AMC) de 2021. « Il faut normaliser la recherche d’aide. On doit cesser de stigmatiser les gens et de s’autostigmatiser quand des problèmes de santé mentale apparaissent. Le Programme d’aide aux médecins du Québec est un allié formidable, et on collabore beaucoup avec lui. »
Les médecins québécois sont par ailleurs moins nombreux à avoir un médecin de famille non seulement que leurs collègues canadiens, mais aussi que le reste de la population québécoise. « Le sondage que l’on a fait récemment montre que les omnipraticiens ont nettement un problème d’accès à un médecin (encadré). On souhaite mettre sur pied des mesures pour remédier à cette situation », mentionne la Dre Noiseux.
Certains omnipraticiens doivent par ailleurs ralentir leurs activités professionnelles, notamment à cause de l’âge. « Cela doit être entendu, écouté, et respecté. Je pense qu’il serait souhaitable de trouver une façon de permettre à ces cliniciens de travailler à leur rythme et de transmettre leur grande expérience et leur savoir qui sont très précieux. » La FMOQ et le Collège des médecins du Québec ont d’ailleurs créé un comité sur la transition de la pratique à la retraite.
Pouvoir pratiquer efficacement est essentiel pour les médecins de famille. Cependant, les faiblesses du réseau et les aberrations administratives entravent leur travail. Certains systèmes, comme le Centre de répartition des demandes de service, le Dossier Santé Québec et les dossiers médicaux électroniques non interopérables, ne sont ainsi pas encore optimaux. « Il y a beaucoup d’amélioration à apporter aux systèmes informatiques. On sait qu’il existe une surcharge technocognitive que l’on appelle le « travail invisible » (shadow work). Par exemple, quand on cherche un lien pendant cinq minutes, on n’est pas en train de soigner le patient. Il faut donc avoir des outils technologiques vraiment conçus pour faciliter le travail des médecins. » Par contre, il en existe de très efficaces, comme le conseil numérique et la télédermatologie, qu’un plus grand nombre de praticiens pourraient utiliser.
Les multiples formulaires et la bureaucratie alourdissent également la tâche du clinicien. « Il faut simplifier, uniformiser, déléguer et réduire, mais déjà de belles initiatives ont été entreprises », souligne la Dre Noiseux. Ainsi, la Fédération a collaboré avec l’AMC et l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes pour parvenir à un formulaire unifié d’assurance invalidité. Le projet RCAM (réduction de la charge administrative des médecins) a aussi été lancé avec le ministère de la Santé. « Le ministère, avec la collaboration de la FMOQ, a commencé cet automne les sondages auprès des GMF. Les médecins doivent dénombrer les formulaires qu’ils ont à remplir, indiquer pour qui, pour quoi, etc. On est en train de colliger ces données pour s’attaquer au problème. »
La culture au sein du milieu de travail a une grande influence sur le bien-être du médecin. Mais ce dernier peut y jouer un rôle important. La FMOQ a d’ailleurs mis sur pied un programme sur le leadership. « On peut influencer les équipes et les motiver pour atteindre des objectifs communs, comme l’optimisation de la collaboration et l’amélioration du climat de travail, qui ont des répercussions directes sur la qualité des soins », dit la Dre Noiseux.
Certains milieux sont toutefois difficiles. Des personnes au comportement blessant peuvent y sévir. Il est cependant possible de les neutraliser. Le programme sur le leadership donne également des outils sur ce plan. « Si, par exemple, on a un climat de travail dans lequel les gens se sentent écoutés et respectés, le poids du nombre peut faire en sorte que l’effet du comportement perturbateur sera réduit. »
Comment s’épanouir au travail ? Il faut avoir des activités stimulantes et motivantes. « La littérature nous dit que quand on en a moins de 20 %, on risque l’épuisement professionnel. Ce pourcentage n’est pas énorme, mais il faut le protéger », mentionne la directrice adjointe. Le Comité sur le mieux-être pense ainsi que le médecin de famille doit évoluer dans un cadre qui lui permet d’avoir des tâches dans un domaine qu’il affectionne particulièrement : la santé mentale, les lésions musculosquelettiques, l’enseignement, la recherche, etc.
La conciliation travail-famille est également importante, estime le Comité du mieux-être. « Il faut que cela fasse partie de la culture du milieu. Si l’on vous dit : “Prenez soin de vous, prenez soin de votre famille’’, mais que vous devez être de garde trois fois par semaine, cela ne fonctionne pas. La solution à ce problème ne peut relever que de l’individu, il faut que ce soit dans la culture du groupe. Il faut que ce soit accepté et normalisé. » Des changements devraient peut-être même être apportés dans l’organisation de la première ligne.
Le comité a posé les bases d’une nouvelle culture au sein de la communauté médicale. « Le cadre de référence que l’on propose doit être discuté et abordé comme un enjeu collectif par tous les acteurs du système de santé, pas seulement la FMOQ. Le bien-être des médecins ne doit pas être qu’une quête individuelle, parce que ce n’est pas suffisant », estime la Dre Noiseux.
La satisfaction et l’épanouissement professionnel des médecins ont par ailleurs des répercussions importantes sur le système de santé. « Ils sont en lien direct avec l’amélioration des soins », souligne la directrice adjointe. Ils peuvent également être des éléments d’attractivité à l’égard de la médecine familiale. « Si on a une profession qui tient compte des trois domaines, tant personnel que professionnel et culturel, elle devient extrêmement intéressante pour les jeunes. //
En septembre dernier, la FMOQ a effectué un sondage auprès de ses membres sur leur propre prise en charge médicale. Parmi les 684 qui ont répondu, 60 % avaient un médecin de famille. Dans 63 % des cas, il s’agissait d’un médecin « neutre », c’est-à-dire qui ne faisait pas partie de leur entourage. Dans 32 % des cas, toutefois, il s’agissait d’un collègue sur leur lieu de travail.
Quarante pour cent des répondants n’avaient par ailleurs pas de médecin de famille. « C’est un taux plus élevé que dans la population générale », souligne la Dre Isabelle Noiseux, directrice adjointe à la Formation professionnelle, à la FMOQ. Le plus grand obstacle pour avoir un médecin neutre ? La difficulté à avoir accès à un tel clinicien. Vient ensuite celle d’obtenir un rendez-vous médical.
Que va faire la Fédération ? « Nous allons créer un groupe de travail en collaboration avec nos associations affiliées afin de mettre sur pied un projet pilote dans deux régions du Québec. »