des recommandations par et pour les médecins de famille
De nouvelles lignes directrices simplifiées sur les lipides viennent d’être publiées par le groupe PEER (Patients, Experience, Evidence, Research)1. Ce panel canadien composé de cinq médecins de famille, de deux internistes, d’une infirmière praticienne et d’une patiente a été épaulé par une équipe de 19 professionnels de la santé qui ont examiné les données probantes. « Il s’agit de recommandations faites par et pour des professionnels de la santé en première ligne », affirme le Dr Michael Kolber, président du comité et professeur au Département de médecine familiale de l’Université de l’Alberta.
Outre la volonté de simplification, les recommandations tiennent compte de notions comme la décision partagée et le « temps nécessaire au traitement ». « Ce dernier concept, qui vient d’Europe, repose sur le fait que les médecins de famille sont débordés et que, par conséquent, les lignes directrices doivent prendre en considération le temps dont ont besoin le clinicien et son patient pour discuter des recommandations et les appliquer », explique le Dr Kolber, qui pratique dans le nord de l’Alberta.
Les nouvelles lignes directrices du groupe PEER ne recommandent pas certains tests*. Elles proposent de :
h Faire un bilan lipidique pour :
h Mais de ne pas :
L’ajout du taux de lipoprotéines A et d’apolipoprotéines B aux facteurs de risque cardiovasculaire habituels n’améliore pratiquement pas l’évaluation du risque, indique le groupe PEER. « Le score calcique coronarien a lui aussi un apport faible. Des essais cliniques à répartition aléatoire le comparant aux facteurs de risque classiques sont en cours », précise le Dr Kolber.
Du côté des habitudes de vie, l’alimentation méditerranéenne et l’exercice sont évidemment des mesures clés. « Par rapport aux régimes à faible teneur en gras, l’alimentation méditerranéenne se traduit par une réduction relative de 25 % à 30 % des événements cardiovasculaires, tant en prévention primaire que secondaire, et ce, sur de cinq à sept ans », écrit le groupe PEER dans ses nouvelles recommandations, qui constituent une mise à jour de celles de 2015.
En ce qui concerne l’activité physique, le type, la durée et l’intensité sont probablement moins importants que la régularité, estiment les experts canadiens. « Pour les patients ayant une maladie cardiovasculaire connue, la réadaptation cardiaque axée sur l’exercice diminue de 10 % (réduction du risque relatif) la mortalité toutes causes confondues, et de 20 % à 40 % (réduction du risque relatif) la mortalité cardiovasculaire et l’infarctus du myocarde après trois ans. Les données probantes concernant l’activité physique en prévention primaire sont moins robustes », mentionnent-ils.
Sur le plan de la pharmacothérapie, les statines restent le traitement de première intention des maladies cardiovasculaires, tant en prévention primaire que secondaire.
Que prescrire à qui ? Le groupe PEER utilise une stratification des patients selon leur risque cardiovasculaire sur dix ans.
h Risque 10 %
Pour les patients à faible risque, les experts de PEER suggèrent de ne pas effectuer en général de réévaluation du risque cardiovasculaire ni de bilan lipidique avant cinq ans et idéalement dix ans. Le taux de lipides change seulement d’environ 1 % par année.
h Risque de 10 % à 19 %
Le médecin peut proposer aux patients ayant un risque un peu plus élevé de discuter avec eux de la prise de statines d’intensité modérée. « On peut leur montrer en utilisant le calculateur de risque (voir encadré) quel est leur risque de base et comment il diminuerait s’ils prenaient le médicament », indique le Dr Kolber.
h Risque 20 %
Une dose élevée de statine est recommandée chez les patients dont les risques sont les plus élevés. Le médecin peut donc en discuter avec eux pour parvenir à une décision partagée.
Une fois que le patient a commencé un traitement hypolipémiant, le groupe PEER recommande, comme dans ses lignes directrices de 2015, de ne pas répéter le profil lipidique ni de viser des seuils précis de cholestérol.
Les experts canadiens ont analysé les données probantes. « La plupart des études cliniques ont utilisé des statines à doses fixes (principalement d’intensité modérée) en fonction du risque de maladies cardiovasculaires et ont constaté que des bienfaits étaient obtenus, quels que soient les taux de LDL atteints », écrivent-ils. Un essai clinique à répartition aléatoire tout récent va dans le même sens. Comprenant 4400 patients coréens atteints de coronaropathie, il montre que la prise d’une statine à forte dose est liée à des taux de complications cardiovasculaires et de mortalité semblables à ceux qui sont associés à un traitement ajusté en fonction de cibles lipidiques2.
Traiter un patient sans viser un seuil précis est par ailleurs plus simple, ajoute le Dr Kolber. « Beaucoup de gens ne parviendront pas aux valeurs fixées. En outre, le cholestérol LDL ne constitue qu’un élément dans l’évaluation du risque. Il faut donc cibler un traitement plutôt que de traiter une cible. »
Que faire quand le patient ne tolère pas les statines après une première prescription ? S’il n’a pas eu de graves symptômes musculaires, le médecin peut proposer un nouvel essai. « Environ 15 % des patients qui prennent une statine vont se plaindre de problèmes musculaires contre 14 % des sujets témoins », mentionne le directeur adjoint du groupe PEER. Le clinicien peut donc offrir quatre avenues : la même statine à la même dose, une autre statine, une dose différente et une prise un jour sur deux.
En prévention primaire, seules les statines sont recommandées comme hypolipémiants. Et en prévention secondaire ? Les possibilités sont plus larges en cas d’intolérance. « Nous suggérons de discuter de l’ézétimibe, des fibrates ou des inhibiteurs de la PCSK9. Étant donné les effets indésirables potentiels de l’ester éthylique de l’EPA (icosapent) (fibrillation auriculaire, saignements), il ne devrait être envisagé que si les autres options ont été explorées », indiquent les recommandations.
Chez les personnes de plus de 75 ans, les lignes directrices du groupe PEER ne recommandent pas de manière générale de bilan lipidique, d’évaluation du risque de maladie cardiovasculaire ni de traitement systématique par une statine en prévention primaire. « Toutefois, il peut être raisonnable que les cliniciens discutent d’un traitement aux statines en prévention primaire avec certains patients de plus de 75 ans en bon état de santé général », mentionne le comité. En prévention secondaire, par contre, un traitement hypolipémiant est recommandé, peu importe l’âge.
Les recommandations du groupe PEER sont-elles très différentes des autres lignes directrices ? Elles ressemblent beaucoup à celles des ministères américains des Anciens Combattants et de la Défense de 2020. Et par rapport aux lignes directrices de 2021 de la Société cardiovasculaire du Canada sur la dyslipidémie ? L’une des principales différences entre les deux concerne l’objectif du suivi : simplement traiter dans un cas et viser un seuil de cholestérol dans l’autre.
Néanmoins, il y a beaucoup de similitudes entre les diverses recommandations. « Toutes proposent les statines comme traitement de première intention en prévention primaire et secondaire et toutes ont des catégories de risque similaire », explique le Dr Kolber.
Le groupe PEER avait cependant ce désir de simplification. « À chaque mise à jour, les différents groupes ajoutent plus de recommandations. On ne peut pas continuer à alourdir la tâche du médecin de famille. Il faut toujours voir si les nouvelles mesures changent le résultat final », estime le président du panel. Le groupe a par ailleurs déjà rédigé des lignes directrices sur la douleur chronique, le trouble de consommation d’opioïdes et les cannabinoïdes. //
* Les recommandations ne s’appliquent pas aux patients atteints d’hypercholestérolémie familiale, aux femmes enceintes ou qui allaitent ni aux adolescents.
Des tests peuvent être effectués plus tôt chez des patients qui ont des facteurs de risque cardiovasculaire.Pour discuter avec le patient de ses risques cardiovasculaires et des différentes options existantes, le médecin de famille peut utiliser l’outil conçu par le groupe PEER : https ://decisionaid.ca/cvd/. Offert en français et en anglais, il demande quelques données comme le sexe du patient, son âge, sa pression artérielle, son taux de cholestérol, etc.
Une fois les informations saisies, le patient voit son risque (sur 100) de troubles cardiovasculaires au cours des dix prochaines années. Il peut ensuite choisir ses traitements. S’il décide d’adopter une alimentation méditerranéenne, il constate une diminution de son risque. S’il fait de l’activité physique, il observe une réduction supplémentaire. S’il prend une statine, son risque baisse encore davantage.
Le groupe PEER a également créé deux outils en anglais :
h une prescription d’activité physique : https://bit.ly/414el2H ;
h un feuillet illustrant l’alimentation méditerranéenne : https://bit.ly/46ME00S.
Interviewés par la Dre Emma Glaser, le Dr Marc-Antoine Turgeon et le Dr Samuel Boudreault analysent les nouvelles lignes directrices du groupe PEER dans un balado de 52 minutes intitulé : « Top du gras : mise à jour des lignes directrices sur les lipides de PEER ».
1. Kolber M, Klarenbach S, Cauchon M et coll. Lignes directrices simplifiées de PEER sur les lipides : actualisation 2023. Prévention et prise en charge des maladies cardiovasculaires en soins primaires. Can Fam Physician 2023 ; 69 (10) : e189-e201. DOI : 10.46747/cfp.6910e189.
2. Hong S, Lee Y, Lee SJ et coll. Treat-to-target or high-intensity statin in patients with coronary artery disease : a randomized clinical trial. JAMA 2023 ; 329 (13) : 1078-87. DOI : 10.1001/jama.2023.2487.