Entrevues

Association du Bas-Saint-Laurent

Solution pour les patients orphelins, exode vers le privé et nouveau modèle de soins

Nathalie Vallerand  |  2024-09-23

La Dre Véronique Clapperton, présidente de l’Association des médecins omnipraticiens du Bas-Saint-Laurent, présente un projet novateur d’accès aux soins pour les patients orphelins.

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M.Q. – Votre région est à l’origine du Guichet d’accès à la première ligne (GAP). Une autre initiative a vu le jour récemment. De quoi s’agit-il ?

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V.C. Les patients orphelins n’ont généralement pas accès à des infirmières ni à d’autres professionnels de la santé. Avec l’appui du CISSS, nous avons donc créé les « services transitoires du GAP », un programme destiné aux patients orphelins atteints d’une maladie chronique ou qui présentent des risques d’en avoir une. Deux infirmières cliniciennes embauchées par le CISSS leur offrent un dépistage, effectuent le suivi de leur maladie, ajustent et renouvellent leurs médicaments. Elles exercent en collaboration avec sept médecins répondants, dont moi-même, mais ce sont elles qui voient les patients. Elles sont en télétravail la plupart du temps, mais des locaux sont à leur disposition pour les consultations en personne.

M.Q. – Quel bilan faites-vous de ce programme ?

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V.C. Ce programme, qui existe depuis au moins 18 mois, a desservi 1000 patients qui ont bénéficié d’environ 4000 interventions. Il a permis d’éviter des hospitalisations et des visites aux urgences. C’est la preuve que des projets simples de collaboration interprofessionnelle peuvent être efficaces. Nous avons d’ailleurs soumis ce programme au concours des prix Hippocrate, et nous souhaitons également le faire connaître dans les autres régions.

M.Q. – Quelle est la situation de la médecine familiale dans votre région ?

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V.C. Avec 85 % de la population qui a un médecin de famille, nous arrivons au deuxième rang dans les statistiques de prise en charge. Cette bonne performance marque toutefois un recul, puisque notre taux était de 90 % il y a quatre ans. Depuis, plusieurs médecins ont pris leur retraite. Et comme c’est le cas ailleurs, les jeunes médecins ne peuvent absorber tous les patients orphelins, car ils doivent faire des gardes en deuxième ligne. De plus, l’ouverture en 2022 du campus décentralisé de médecine à Rimouski augmente notre besoin en médecins enseignants. Nous travaillons donc avec le département général de médecine familiale pour obtenir plus de médecins dans le cadre des plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM).

M.Q. – Y a-t-il un enjeu concernant la médecine familiale dont on ne parle pas assez, selon vous ?

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V.C. La privatisation des soins de santé au Québec. C’est un problème qui n’est pas assez décrié. Nous ne pouvons pas avoir un système public de santé fort et équitable lorsque plusieurs médecins migrent vers le privé et que de nouveaux diplômés en médecine passent directement de l’université au privé. On a vu combien les agences privées d’infirmières ont fait mal au réseau. Il ne faut pas que cette situation se produise aussi en médecine familiale.

M.Q. – Que faire ?

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V.C. Le gouvernement québécois a la responsabilité de légiférer pour mettre fin à l’exode vers le privé. Qu’est-ce qu’il attend ? Ailleurs au Canada, des lois encadrent le coût des soins offerts au privé. Ainsi, sauf en en médecine esthétique, rares sont les médecins qui exercent au privé dans les provinces anglophones, car cette pratique n’est pas intéressante financièrement pour eux. Pourquoi en serait-il autrement au Québec ? Il faut que le gouvernement agisse.

M.Q. – Avez-vous des suggestions pour pallier la pénurie de médecins ?

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V.C. Au Québec, la proportion d’omnipraticiens en deuxième ligne est plus grande qu’ailleurs au pays. Les hôpitaux d’ici sont dépendants des omnipraticiens. En région, où le nombre de PREM est peu élevé, ce phénomène est encore plus prononcé. Je pense qu’il faut commencer à réfléchir à des solutions pour diminuer la contribution des omnipraticiens en deuxième ligne. N’oublions pas que les médecins spécialistes ont eux aussi une responsabilité populationnelle. Il y en a qui font le suivi de leurs cas complexes, mais d’autres ont le réflexe de les diriger vers les médecins de famille. Cela doit changer ! Comme les médecins spécialistes travaillent à l’hôpital, ils ont beaucoup de soutien d’autres professionnels de la santé. S’interroger sur leur responsabilité populationnelle aiderait à désengorger la première ligne.

M.Q. – Quelles sont les demandes de votre association pour le renouvellement de l’entente-cadre ?

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V.C. Notre région a besoin de mesures d’attractivité. L’entente sur l’accessibilité, qui a pris fin récemment, comprenait une majoration liée à la pratique en région éloignée pour les tarifs en cabinet. Nous demandons le maintien de cette hausse. Nous souhaitons également une compensation pour les heures investies dans le recrutement. On ne s’en rend pas toujours compte, mais le recrutement est une tâche en soi pour les médecins en région éloignée. Se rendre à Montréal pour vanter notre région auprès des étudiants, c’est deux jours de travail perdus. En ville, les médecins n’ont pas à s’engager autant dans le recrutement.

M.Q. – Après votre élection, vous avez fait une tournée pour rencontrer les médecins. Quels besoins avez-vous constatés ?

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V.C. Lors de ma tournée, l’incertitude entourant la fin de l’entente sur l’accessibilité engendrait beaucoup de découragement et de désabusement chez les médecins. Même chose pour les ententes sur les GMF qui sont souvent modifiées à la dernière minute, juste avant leur renouvellement. Ce que nos membres espèrent, c’est de la stabilité dans leur pratique. Ils aimeraient que les règles cessent de changer au gré de la politique. Est-ce que la situation va s’améliorer avec la création de Santé Québec ? Pour le moment, nos membres n’ont pas d’élan d’enthousiasme envers cette nouvelle instance. Néanmoins, ils sont prêts à donner la chance au coureur.

M.Q. – Sur quels dossiers votre association se penche-t-elle en ce moment ?

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V.C. Nous nous intéressons notamment au bien-être des médecins. La FMOQ a effectué récemment un sondage auprès des membres qui a révélé que 40 % des répondants n’avaient pas de médecin de famille. Pour connaître la situation dans notre région, nous avons lancé notre propre sondage sur le sujet. Nous voulons savoir si nos membres ont un médecin, s’ils en cherchent un, s’ils souhaitent en avoir un sur leur lieu de travail ou non et s’ils sont disponibles pour suivre un collègue médecin. Une fois les résultats obtenus, nous comptons remettre à nos membres une liste de médecins qui acceptent de prendre en charge des collègues.

M.Q. – Pour terminer, que pensez-vous du modèle d’organisation de soins proposé par la FMOQ ?

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V.C. C’est un excellent exemple de leadership médical. Il faut adapter notre pratique à la réalité et cesser de centrer l’accès au réseau de la santé sur les médecins de famille. La pénurie d’omnipraticiens ne se résoudra pas facilement, d’autant plus que la pyramide démographique s’inverse et que la demande de soins augmente. Comme médecin de famille, la relation longitudinale avec mes patients est centrale. C’est ce qui donne le plus de sens à mon travail. Cependant, plusieurs médecins craignent de perdre l’essence de la profession si le nouveau modèle de soins est mis en place. Je les comprends. Mais je crois que nous pouvons préserver le cœur de notre profession tout en travaillant davantage en équipe. Même si l’inscription individuelle disparaît, les patients vulnérables inscrits collectivement dans une clinique pourront être attitrés à un médecin. Nous serons là pour eux. Toutefois, nous devons aussi être présents pour les patients qui ont des besoins ponctuels, et c’est ce que permet le nouveau modèle. Chose certaine, la médecine familiale va continuer d’être une pratique extraordinaire : complète, humaine et globale.